Les victimes des inondations de Gatumba délocalisées à Matyazo rencontrent plusieurs problèmes. Aléas climatiques, insuffisance des produits vivriers, manque d’endroits décents pour dormir, difficile accès des enfants à l’école, longues distances pour avoir de l’eau, violences sexuelles, …. Voilà ce qu’ils vivent au quotidien. Reportage
Il est 9h du matin, le mardi 12 novembre au site de Matyazo dans la commune Mubimbi dans la province de Bujumbura. Ce site se localise à 4,39 km du centre de Kinama. Il abrite environ 1 000 familles de victimes des inondations de Gatumba.
A l’entrée du site, on est accueilli par un petit marché composé de petits étals où plusieurs femmes essaient tant bien que mal de vendre des produits vivriers pour joindre les deux bouts du mois. Plusieurs jeunes et de vieux hommes sont assis sur des pierres en train de discuter. Le désœuvrement est total.
Une femme qui vend du manioc se plaint : « J’ai peu de clients dans ce marché. Ces marchandises, on les a achetées à deux. Chacune d’entre nous après la vente va prendre un bénéfice de 1 000 FBu ».
Une autre femme à côté n’est pas non plus dans une situation confortable : « Moi, je n’ai pas pu continuer à vendre car c’est trop cher ! J’achète par exemple une tige de canne à sucre à 3 000 BIF. Je vais la revendre à combien ? Cela fait que je ne trouve pas de clients ! Le marché de Kinama Centre est assez loin ! C’est difficile pour moi d’y aller et d’acheter des marchandises et venir après les revendre ici dans ce site!».
Une troisième femme, un peu plus loin assise les mains vides ajoute ː« On ne trouve pas où aller travailler, on passe toute la journée assises ici! Même pour nous les commerçantes, on nous ramène peu de marchandises qu’on vend seulement pendant deux jours et le reste du temps, on reste les bras croisés ».
Dans un groupe d’hommes assis sur des tas de pierre, l’un d’entre eux se lamente ː« On n’a pas de boulot ici. Il est difficile de faire du business ici. Le transport coûte cher. Pour arriver là où il y a un petit marché afin d’y faire du business, c’est environ 20 000 BIF par jour. Tu te retrouves avec 0 franc à la fin du mois. L’argent est bouffé dans le transport. Si on a la chance d’être emmené à Cibitoke, les difficultés vont diminuer. Cette localité se trouve dans la plaine de l’Imbo. Au moins, ce sera comme le milieu qu’on a quitté de Gatumba »
Un logement précaire
Dans le site, il y a des tentes construites par l’Office burundais de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction, Obuha, avec l’aide de l’Organisation internationale pour les migrations, OIM. Mais ce programme n’a pas pu continuer selon un habitant de ce site. De part et d’autre, des gens se sont construit des abris avec des tentes reçues comme aide.
Une femme de cinq enfants se plaint de l’infiltration des eaux de pluie dans leurs tentes et de l’espace exigu de leurs habitations. « Nous sommes en haut de la montagne. Hier, de vents forts ont soufflé et ont failli détruire les habitations. Nous dormons par terre. On a couvert le sol avec des tentes. Nous dormons dans un même espace, les enfants, mon mari et moi ».
Pour les enfants en bas âge, poursuit-elle, on divise la tente en plusieurs parties avec des sachets et ainsi, ils ont leur chambre. « Même si tu as cinq enfants ou plus, vous vous entassez dans une même tente. On doit aussi aménager un espace où conserver les ustensiles de cuisine et les habits ».
Les aléas climatiques remettent une couche aux mauvaises conditions des habitations des gens du site comme en témoignent certains individus.
« Certains de mes enfants ne vont plus à l’école, c’est assez loin. La pluie, le vent, le tonnerre et la foudre de tous les jours ne me permettent pas d’envoyer mes enfants qui sont encore très jeunes ».
Une autre femme indique qu’elle ne peut plus envoyer son enfant à l’école car elle a peur qu’il meure sur le chemin de l’école. « Il devait commencer la 1ère année ».
Ces déplacés environnementaux ayant des enfants en âge de fréquenter l’école secondaire demandent un hébergement tout près des écoles qu’ils fréquentent.
Une aide alimentaire au compte-goutte et insuffisante
« La dernière fois (octobre dernier) qu’on a reçu de l’aide en denrées alimentaires, c’était 9 kg de riz seulement et une somme de 110 000 BIF par famille. Ce qui n’était pas suffisant. Ils ne durent qu’un petit moment », déplorent-elles.
Elles signalent qu’avant ce mois d’octobre, une somme de 235 000 BIF était donnée par mois à chaque famille sans considérer le nombre des membres de cette famille. « Les fonds étaient insuffisants. Lors de la rentrée scolaire par exemple, une personne était obligée d’acheter le matériel scolaire pour ses enfants en puisant dans cette somme. Elle était contrainte de se débrouiller avec la somme restante pour les autres besoins ».
Mais pour ce mois de novembre, cela n’a pas été possible. « On nous a dit qu’ils n’avaient pas pu trouver ce riz et ce mois semble long. Même s’ils amenaient ce riz maintenant, nous avons déjà de nombreuses dettes ».
En attendant cette aide alimentaire, nos sources soulignent qu’elles se procurent de la nourriture vendue dans le site par les petits commerçants. « Malheureusement, la nourriture coûte cher. Un tas de patates douces qui coûte 2 000 BIF est très petit. Pour nourrir les enfants, c’est un véritable casse-tête. Des fois, ils mangent peu de nourriture ou bien ils passent un jour entier sans manger ».
Entre l’école et la survie
Arrivé à ce site, le premier constat est qu’il y a des écoles y aménagées mais qui ne sont visiblement pas fonctionnelles. Il y a une école située loin du site. Pour y arriver, les élèves font beaucoup d’efforts. Beaucoup d’enfants de la 1ère et de la 2ème années ont abandonné l’école.
« Pour un enfant commençant la 1ère année, ce serait très difficile pour lui d’atteindre l’établissement à pied. Moi par exemple, j’ai un enfant qui devait commencer la 1ère année. Je ne l’ai pas emmené à l’école car c’est loin et il ne pourrait pas supporter la longue distance », témoigne l’une des femmes rencontrées dans le site.
Cette dame dit également que les aléas climatiques compliquent la scolarisation de leurs enfants. Quand les vents forts mélangés avec le tonnerre soufflent, ajoute-t-elle, on a peur pour nos enfants. Plus de neufs enfants sont déjà foudroyés. C’est pourquoi on n’accepte pas qu’ils partent à l’école. « Entre la survie de nos enfants et l’éducation, on choisit qu’ils restent vivants ».
Des violences sexuelles dans le site
Selon des témoignages à Matyazo, il y a des cas de violences basées sur le genre qui restent impunis. « Ces cas sont pris à la légère. Il y a des gens qu’on a déjà attrapés avec les femmes dans des maisons et ils se sont enfuis. Il y a déjà eu un cas d’emprisonnement. Un homme a déjà été attrapé en flagrant délit avec une femme mariée ».
Selon nos sources, le chef de ce site est aussi impliqué dans ce genre de cas, mais les femmes n’osent jamais se plaindre contre lui. « Il cible les tentes des femmes célibataires et il vient les rejoindre la nuit quand elles dorment. La nuit elles sentent quelqu’un les déshabiller. Si tu cries, il court rapidement mais si tu te tais, il continue sa sale besogne ! Il y a déjà eu huit cas de ce genre où la population a failli l’attraper ». Contacté sur ces accusations, le chef du site Matyazo est resté injoignable.
Le porte-parole du ministère de la Solidarité Ildephonse Majambere explique que le site est géré par l’administration territoriale de la commune Mubimbi. Il précise que l’administrateur ne lui a jamais donné de rapport concernant le manque de nourriture dans le camp. « Le ministère a envoyé dix tonnes de riz dans le site de Matyazo. Les gens qui disent qu’ils manquent de nourriture ne savent pas bien gérer les quantités qu’on leur a fournies. Les fonds ont diminué car maintenant le ministère se concentre à diminuer les gens se trouvant sur le site ».
Le porte-parole du ministère a dit qu’ils sont au courant de tous ces aléas climatiques. « Nous envisageons le réaménagement du site ». Pour le cas des écoles, éclaire-t-il, les enfants peuvent fréquenter les écoles que les autres enfants de la localité fréquentent.
Pour le cas des violences sexuelles, il dit qu’il n’a pas encore reçu de rapport sur de tels cas.
Gatumba : la vie continue après les inondations
Nous sommes dans la zone Gatumba de la commune Mutimbuzi dans la province de Bujumbura. Les mares et les flaques d’eau, témoignant des dernières inondations dues à la montée des eaux du lac Tanganyika et aux crues de la rivière Rusizi, se sont asséchées dans les quartiers Kinyinya I et Kinyinya II. Les activités se poursuivent comme avant l’inondation.
Certains habitants dont les maisons ont été endommagées par les inondations se sont construit des tentes ou des abris de fortune. Les autres sont retournés dans leurs ménages après avoir fait quelques réaménagements.
Margueritte Nibizi, la quarantaine, mère de six enfants, fait partie des victimes de ces inondations. Elle n’a pas eu la chance d’être délocalisée avec sa famille vers le site de Matyazo.
Avec l’aide de son mari, elle a tout fait pour trouver de quoi construire une tente avec du matériel de récupération, dont des sacs en plastique, de vieilles bâches…
« Ma famille est composée de huit personnes et nous dormons tous dans cette tente. Nous vivons dans des conditions tellement difficiles. La cherté de la vie vient empirer la situation. On ne mange qu’une seule fois la journée », raconte Nibizi avec tristesse.
Toutefois, 25 familles des quartiers Mushasha I et II qui n’ont pas eu la chance d’être délocalisées vers les différents sites habitent dans les immeubles de la zone Gatumba. Ces derniers craignent le retour des inondations avec la saison pluvieuse.
« La peur est grande puisque nous sommes dans la saison des pluies. Nous ne savons pas si un jour on va nous délocaliser ou pas. Nous étions 50 ménages qui s’étaient inscrits pour aller à Matyazo. Nous demandons au gouvernement de nous venir en aide », déplore un parmi ceux qui habitent dans les locaux de la zone.
Interrogé sur la question de ceux qui n’ont pas été délocalisés, Jean Muyoboke, chef de la zone Gatumba, explique que jusqu’aujourd’hui, il attend la réponse en provenance de la plateforme qui était chargée de la délocalisation des habitants de Gatumba pour savoir la suite réservée à ces familles qui attendent toujours la délocalisation.
Certains habitants délocalisés vers le site de Matyazo mais rencontrés dans la zone Gatumba affirment qu’ils ont dû retourner vivre dans leur zone d’origine parce que la vie était dure dans le site.
Sous anonymat, NN explique qu’il se présente à Matyazo seulement s’il y a des dons. « C’est vrai, j’ai été délocalisé avec ma famille à Matyazo, mais la vie là-bas est tellement difficile avec les enfants. Lorsque nous sommes arrivés à Matyazo, mes enfants sont tous tombés malades à cause des mauvaises conditions de vie. Il y avait du froid, de la famine, de la fatigue pour avoir de l’eau. C’est pourquoi j’ai décidé de revenir. Je mourrais ici. » NN ajoute également qu’il n’est pas le seul à avoir pris cette décision.
« À Matyazo, il n’y en a pas de boulot. Je ne pouvais pas rester là en train d’attendre seulement cet argent qu’on nous donne chaque fin du mois, alors qu’ici à Gatumba, il y a plein de business. Je pars à Matyazo lorsqu’on m’appelle, sinon je vis à Gatumba », poursuit NN.
Certains habitants de la localité se sont organisés pour ériger des digues tout au long de la rivière Rusizi en vue de se protéger contre les crues. Mais les travaux ont été arrêtés, comme l’explique le chef de zone Gatumba. « Les hautes autorités ont pris la décision d’arrêter les travaux parce que les experts leur ont dit que la digue que la population voulait construire ne peut rien protéger. »
Les habitants de la localité de Gatumba appellent le gouvernement de construire une digue pour lutter contre les inondations. « Même si on nous a dit que cette zone est inhabitable, nous demandons le curage de la Rusizi et la construction de la digue. Nous croyons que ces inondations vont cesser et on continuera notre vie comme avant », lâche un habitant de Kinyinya I.
Et quelle la solution durable que le gouvernement et ses partenaires envisagent pour ces victimes