Iwacu a rencontré Domitien Ndayizeye, l’occasion de revenir sur l’actualité de l’heure avec l’ancien président de la République. Un entretien sans concessions.
Le Parlement a récemment voté un projet de loi qui accorde de nombreux avantages au statut d’anciens chefs d’Etat. Votre réaction ?
Par rapport à la loi existante en la matière, cette loi apporte un changement sur deux points majeurs : la distinction qu’elle établit entre les anciens chefs d’Etat élus au suffrage universel et les autres ayant accédé à la tête de l’exécutif, soit par coup d’Etat ou consensus.
Personnellement, un ancien chef d’Etat n’a pas à être jugé sur la manière dont il a pris le pouvoir mais plutôt sur le bilan de ses réalisations. Un chef d’Etat peut gagner des élections avec des scores fabuleux mais justifier d’un bilan largement médiocre au bout de cinq, voire même dix années de pouvoir. En outre, vouloir insister sur l’élection au suffrage universel direct d’un président, c’est prendre la situation par le mauvais bout. Aux Etats-Unis d’Amérique, le futur président de la République est élu au suffrage universel indirect (Par un collège de grands électeurs) et là, on parle de la plus grande démocratie du monde ! L’autre facette du projet concerne l’arrêt du mandat de sénateur à vie pour les anciens chefs d’Etat non élus au suffrage universel. En ce qui me concerne, j’ai toujours considéré que le rôle d’un ancien président n’est pas d’aller voter des lois mais d’exercer des missions consultatives auprès de personnes morales ou physiques, au Burundi ou à l’étranger, qui puissent vouloir profiter de son expérience d’ancien dirigeant à la tête d’un pays. Quant aux aspects financiers de cette loi, il se dit beaucoup de choses…….
Certains dénoncent un véritable hold-up du trésor public. Votre avis ?
Je suis absolument d’accord. Dans l’ancienne loi qui avait été votée sous ma présidence, l’allocation unique d’un milliard de francs burundais à un ancien président n’existait pas. Et avec une situation financière du trésor public qui est loin d’être confortable, de tels émoluments à l’égard d’un ancien chef d’Etat ne sont pas raisonnables. Pour parler franc, au vu de l’état actuel de la caisse, le président pourrait se passer de ces sommes mirobolantes sans que ça l’empêche de vivre douillettement après son départ de fonction.
Le Burundi et le Rwanda sont en froid depuis un moment. Votre commentaire.
La tension qui règne actuellement entre le Burundi et le Rwanda découle des conséquences de la crise de 2015. Ce qui est gênant, c’est la manière dont les dirigeants actuels gèrent cette dissension avec notre voisin du nord de la Kanyaru. Ils sont dans une véritable fuite en avant. En témoignent les manifestations récurrentes des jeunesses du parti CNDD-FDD dans nos rues criant des slogans anti-rwandais ou les démonstrations de force de ces mêmes jeunes et autres militants du parti au pouvoir devant la frontière burundo-rwandaise. Ces agitations n’honorent pas du tout notre pays et sont plutôt le reflet d’une crise d’humeur.
Que faire quand ce type de crise éclate entre deux pays?
La meilleure solution pour ce type de crise, c’est le dialogue. Rien n’empêche par exemple aux ministres des relations extérieures des deux Etats de communiquer. Du temps de mon exercice du pouvoir, il me suffisait d’engager un échange par téléphone avec des autorités rwandaises pour régler un certain nombre de différends majeurs ou mineurs avec notre voisin du nord. C’est ainsi que beaucoup de litiges entre nos deux pays n’ont d’ailleurs pas eu besoin d’être portés à la connaissance du public. En plus, comme ce conflit part de problèmes internes au Burundi, nos leaders politiques doivent s’atteler à les résoudre avant de se lancer dans des discussions avec le Rwanda. Là-dessus, je pense à la question des milliers de burundais qui ont trouvé refuge au Rwanda à l’issue de la crise de 2015.
Vous étiez l’un des ténors du parti Sahwanya-Frodebu à l’origine de l’avènement de la démocratie au Burundi. Aujourd’hui, que diriez-vous de l’état actuel de la démocratie dans le pays ?
En 1993, les premières élections démocratiques ont eu lieu mais le contexte de l’époque était dominé par des enjeux ethniques qui saturaient l’espace tant politique que social. Vingt-six ans après, la donne a changé. La notion de ‘bonne gouvernance’ a pris le pas sur l’appartenance ethnique qui n’est plus le moteur de la vie politique. Les burundais dans leur ensemble aspirent à une bonne gouvernance dans tous les domaines : politique, économique et social. C’est d’autant frappant que les tentatives d’ethnicisation de la crise de 2015 de la part d’huiles du régime actuel n’ont eu aucun effet auprès de la population. Vu cela, peut-on se féliciter que les choses aient évolué.
En tant que membre fondateur de la plateforme, qu’est-ce qui explique le revers du CNARED ?
Le gouvernement burundais a tout fait pour que les négociations avec la plateforme n’aboutissent pas. Mais sur un autre registre, l’une des revendications principales du CNARED portait sur la contestation du troisième mandat que s’était octroyé le président actuel. L’annonce récente du départ du président Pierre Nkurunziza est peut-être le fruit du militantisme à l’encontre du troisième mandat. L’objectif de la plateforme était aussi d’installer une véritable culture démocratique basée particulièrement sur la reconnaissance d’une diversité d’opinions au sein d’une même tendance politique. Ce n’est pas le parti au pouvoir qui dirait le contraire, au regard des frondes observées ces dernières années à l’intérieur du parti CNDD-FDD. Donc, le CNARED a eu son utilité et peut toujours jouer un rôle notamment dans la consolidation des accords de paix d’Arusha.
Nous sommes à trois mois du scrutin. Votre analyse du climat pré-électoral ?
L’incertitude plane sur les esprits, d’autant que le pays est plongé dans une crise politique depuis 2015, laquelle a fracturé la société. : D’un côté, une frange de la population qui soutient le pouvoir, de l’autre, une frange proche des idées de l’opposition ….
Cette dernière dénonce la montée de l’intolérance politique à l’approche des élections ? Qu’en dites-vous ?
La multiplication d’actes d’intolérance politique est une réalité indéniable. La vigueur politique qu’incarne le parti CNL en fait naturellement une cible privilégiée du parti au pouvoir en termes d’agressions à l’endroit de l’opposition. Ce que le régime en place a visiblement du mal à saisir, c’est que les Burundais en ont ras la casquette des pouvoirs oppressifs et aspirent à une refonte des pratiques politiques qui doivent reposer sur la sauvegarde de la paix et la sécurité, le respect des droits de l’Homme, la lutte contre la pauvreté, la fin de la corruption, etc. C’est aussi mon conseil à l’endroit des jeunes qui projettent un jour de diriger le pays.
L’ex-président de la République pense-t-il à un retour aux manettes ?
(Rire). Se présenter candidat au poste de président est vraiment le cadet de mes soucis. Je ne serai le candidat, ni du RANAC, ni du CNARED qui ne m’a jamais mandaté pour cela. C’est ce que j’ai d’ailleurs clarifié à un journaliste d’un média en ligne qui faisait courir le bruit sur ma possible candidature à la présidentielle au nom du CNARED. Je me sens vieux maintenant pour l’exercice du pouvoir et à mon âge, devrais-je plutôt penser à ma sortie de ce monde (Rire).
Propos recueillis par Alphonse Yikeze