Les Assises nationales des médias se sont achevées mercredi 7 mai avec la rédaction de recommandations fortes et la mise en place d’un comité de pilotage entre les pouvoirs publics et les médias. par André Guichaoua, Professeur (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Membre du comité d’organisation des Assises des médias
Au terme de deux journées de débats intenses, directs et francs, les participants ont exprimé le besoin que tous les acteurs présents (professionnels, représentants des pouvoirs et/ou des partis, organismes publics et associatifs, secteurs économiques) prennent des engagements précis afin que, selon eux, des relations de confiance soient rétablies. Plusieurs participants ont en effet relevé des relations distendues par des mesures autoritaires d’un côté et, même s’ils ne peuvent être mis sur le même plan, des manquements déontologiques avérés de l’autre. Tout un chacun a retenu de ces débats la volonté unanime des participants d’en finir avec les stratégies de harcèlement qui usent tous les acteurs et dissuadent les partenaires.
Les défis cruciaux du moment, tout comme ceux qui déterminent l’avenir proche ou plus lointain ont été recensés. Un parmi eux a été au cœur des débats et s’est imposé comme une exigence impérative : concentrés dans la capitale, les médias doivent mobiliser leurs moyens pour mieux remplir leurs missions de service public auprès des populations de l’intérieur du pays, et plus spécifiquement vis-à-vis de tous les « sans voix » qui, pour diverses raisons, ne peuvent ou ne savent se faire connaître ou reconnaître.
Chacun a ensuite repris ses activités avec en tête ces précieuses recommandations.
Les faits divers du quotidien
Après avoir débattu avec de nombreux participants des assises de leur programme de travail et itinéraire et établi les contacts nécessaires, deux journalistes se sont ensuite rendus le 9 mai au matin faire des reportages dans les provinces de Kayanza, Ngozi et Kirundo au nord du pays sur les thématiques qui font l’actualité dans les campagnes.
En fin de journée, ils sont arrivés à Marangara (province de Ngozi), l’administrateur local étant absent ils sont partis à la recherche des représentants des partis politiques. Alors qu’ils quittaient la localité, ils ont été interceptés par une bande de jeunes qui a érigé un barrage devant leur véhicule. Pendant plus de deux heures, malgré l’arrivée de la police locale sur les lieux, ces « militants » ont bloqué les deux journalistes. Leur chef, président du Conseil communal, cadre du CNDD-FDD et par ailleurs directeur communal de l’Enseignement de Marangara, a même refusé de répondre aux appels téléphoniques des deux gouverneurs de province de Kirundo et de Ngozi et de représentants des plus hautes autorités de l’Etat. Vers 21 heures 30, les journalistes ont enfin été autorisés à rejoindre Kirundo escortés par des policiers mandatés par le commissaire provincial de Ngozi.
Ce fait divers rapporté par des journalistes connus pour leur professionnalisme fait écho aux témoignages d’autres confrères et de représentants locaux des partis politiques s’étant trouvés dans des situations similaires. Il est riche d’enseignements.
Il confirme l’existence au Burundi de forces militantes s’estimant mandatées pour assurer le maintien de l’ordre sur les collines de l’intérieur hors de toute contrainte et règles propres à un Etat de droit, y compris celles qui incombent à la police et à la hiérarchie administrative. L’entêtement dont ces forces militantes ont fait preuve à Marangara et la certitude insolente de l’impunité autorisent bien des interrogations sur les parrainages dont elles peuvent bénéficier voire les dividendes que leur zèle pouvaient leur valoir. Que ces forces se considèrent comme auto-mandatées ou agissent sous l’autorité directe du Parti et/ou de l’administration locale comme les déclarations des responsables le laissent entendre, de tels comportements posent bien évidemment la question de leur statut.
Un second enseignement tient à ce que cet incident révèle de l’attitude des populations. En effet, comme on peut l’imaginer, malgré la nuit, les habitants, percevant pleinement l’importance de ce qui se jouait, se sont assemblés pour assister à cette démonstration de force d’un meneur local face à une journaliste étrangère de RFI et un présentateur de la radio RPA parmi les plus populaires du pays. Tous les présents, acteurs impuissants et spectateurs, n’avaient alors apparemment qu’un seul message à donner à voir et à transmettre aux deux journalistes en tournée sur le terrain : le sentiment de peur face à la force et à l’impunité assumées de ces militants.
Des avancées en matière de transparence
La publication d’un communiqué commun entre représentants des pouvoirs publics et des média, la gestion responsable et professionnelle des journalistes, tout comme la volonté exprimée par les administrations concernées de poursuivre et de sanctionner les auteurs de cet incident illustrent la détermination des uns et des autres d’utiliser l’espace de dialogue récemment ouvert lors des Assises des médias pour mettre en œuvre les engagements pris. Cette résolution ouvre la voie à d’autres avancées en matière de transparence et de liberté d’expression pour la période électorale qui s’engage.
En raison du quasi monopole de l’encadrement, de l’expression, voire de l’accès aux populations de l’intérieur que le parti majoritaire et ses relais s’accordent de facto, il semble urgent de lever les contraintes qui pèsent non seulement sur la mobilité des journalistes, mais aussi des membres des organisations de la société civile et des représentants des partis y compris dans les communes les plus enclavées du pays comme celle de Marangara.
Plus fondamentalement, dans l’atmosphère de rumeurs et de peurs qui accompagne la montée des tensions politiques récentes, il importe de savoir si de telles pratiques sont appelées à disparaître de la rubrique des faits divers ou si elles doivent être considérées comme des éléments constitutifs d’un système de pouvoir.
Dans un domaine aussi sensible dans le contexte régional, on ne connaît que trop bien les étapes selon lesquelles les jeunesses des partis se transforment progressivement en police politique et idéologique vis-à-vis de tous les déviants et opposants réels ou supposés. On sait tout aussi bien que la délégation de fonctions de sécurité et de maintien de l’ordre à des militants des partis dégénèrent fréquemment en prélèvements voire exactions envers tous les citoyens parce qu’un tel engagement politique est un moyen privilégié d’accéder à des revenus et à un statut social. Enfin et surtout, on sait que ce sont eux qui, à terme, contrôlent les voix qui « font » les élus et qui disposent alors … de ceux qui les ont engendrés.
Il existe des outils juridiques nationaux et internationaux pour prévenir et réprimer de tels risques de dérive.
Un bel article, sur la forme bien sûr mais surtout sur le fond !qui ne suscite pas polémique. Il appelle plutôt à réflexion, méditation et action! Je suis content que de telles observations viennent d’un non-Burundais, non soupçonnable de parti pris !!
J’apprécie beaucoup les enseignements que Pr Guichaoua tire de ce qu’il appelle « Les faits divers du quotidien », notamment la récente démonstration de force des IMBONERAKURE.
Aussi, « (…) on ne connaît que trop bien les étapes selon lesquelles les jeunesses des partis se transforment progressivement en police politique et idéologique vis-à-vis de tous les déviants et opposants réels ou supposés. » doit être interprété comme il se doit. Il dit là, de façon diplomatique, ce que moi et d’autres ne cessons de crier sur cette plateforme : IMBONERAKURE = INTERAHAMWE en puissance si rien n’est fait ! Il est possible de les contenir sans difficultés aujourd’hui mais si le pouvoir ne fait rien, demain ce sera trop tard et c’est nous, le petit peuple, qui en sera ses victimes.
Espérons qu’ils nous lisent et qu’ils se ressaisiront et agiront : MAZI ATARARENGA INKOMBE.
Merci.