Vendredi 22 novembre 2024

Politique

Le temps des « révélations »

Depuis quelques temps, la police présente d’anciens rebelles « repentis » qui font des révélations sur leurs actions blanchissant au passage les forces de l’ordre. Ces témoignages tombant à point nommé pour le pouvoir suscitent des doutes.

Clovis Kwizera, alias Désiré, et Epitace Ingabire, sont logés dans les locaux du SNR et avouent être bien traités.
Clovis Kwizera, alias Désiré, et Epitace Ingabire, sont logés dans les locaux du SNR et avouent être bien traités.

Fosses communes, incendie de T-2000, assassinat des sśurs italiennes, montages pour des organisations internationales. Ces révélations concernent tous les dossiers brûlants de ces derniers mois, dans lesquels la police est souvent pointée du doigt. Des révélations faites par Clovis Kwizera, alias Désiré, et Epitace Ingabire.

Samedi 19 mars dernier, durant une demi-heure, ils ont avoué sur la télévision nationale avoir participé à plusieurs crimes. Le premier, Clovis, a d’abord avoué avoir participé à l’incendie du supermarché chinois T-2000, en septembre 2015, sur ordre d’Alexis Sinduhije. Ce dernier, président du parti MSD, en exil, ennemi public numéro 1 du pouvoir, sera cité par ce combattant « repenti » comme le commanditaire de toutes ses missions. Ainsi en a-t-il été de l’assassinat des trois sśurs italiennes à Kamenge, en septembre 2014, dans lequel le même Clovis intervient avec trois de ses complices, comme pour l’incendie de T-2000. Il a avoué avoir égorgé Olga, une des trois sśurs.

Clovis a aussi raconté comment lui et ses camarades de combat ont été filmés dans les rues du quartier Jabe, la nuit, pour faire une vidéo pour trois journalistes blancs, en novembre 2015, qui voulaient montrer la réalité d’une rébellion à Bujumbura.

Objectif : salir le pouvoir

Selon Clovis, les trois sśurs ont été tuées pour faire ternir l’image du régime Nkurunziza. Mais Alexis Sinduhije, qui donnait ses ordres via des intermédiaires, leur avait dit qu’elles soignaient les Imbonerakure qui se trouvaient en RDC, à Kiliba. Quant au supermarché T-2000, c’était pour porter un coup contre les Chinois parce qu’ils soutiennent le pouvoir et les fournissent en armes.

Epitace, l’autre rebelle « repenti », a, quant à lui, surtout dénoncé les accusations de viol contre les forces de l’ordre burundaises. Aussi a-t-il révélé avoir participé, en tenue policière, avec un camarade, a une vidéo de simulation de viol avec deux filles pour le compte de Human Rights Watch. Un job payé par cette organisation, dont un ami journaliste burundais avait amenées les deux filles.

Au passage, Epitace indique que l’ONG MSF soignait et protégeait les combattants blessés.


Des révélations parfois douteuses

Malgré les dires des deux « repentis », des incohérences apparaissent.

Beaucoup d’assassins ont déjà été cités dans l’assassinat des 3 sśurs italiennes.
Beaucoup d’assassins ont déjà été cités dans l’assassinat des 3 soeurs italiennes.

Aussitôt après l’incendie de T-2000, le directeur général de la police et de protection civile a indiqué que l’incendie survenu à ce supermarché n’était pas d’origine criminelle. Selon le Commissaire Antoine Ntemako, l’incendie a été provoqué par une panne technique, suite à un problème de courant électrique. Et, pour le maire de Bujumbura, Freddy Mbonimpa, l’incendie de T-2000 était accidentelle, peut-être due à la présence de méthane et de plastiques en vrac. Ce qui a été confirmé par le parquet général de la République.

Quant à l’assassinat des trois soeurs italiennes, beaucoup de questions restent sans réponses, malgré les révélations de Clovis. Christian Butoyi, le premier suspect arrêté par la police dans ce triple meurtre, était finalement un malade mental, qui, plus tard, a été interné.

Pourtant, il avait avoué le triple assassinat, parce que « les trois soeurs vivaient dans sa propriété ». Un suspect – présenté comme sain d’esprit – dont Clovis dit qu’il était leur éclaireur.

Des assassins de plus…

Plus tard, Juvent Nduwimana, agent du service national de renseignements (SNR), a confessé avoir participé à l’assassinat des trois sśurs italiennes. L’enregistrement de son témoignage avait été diffusé par les radios RPA, Bonesha et Isanganiro, le 30 mars 2015. Il avait déclaré avoir agi en tandem avec Mwarabu, un policier qui, en janvier, était le premier à passer aux aveux et l’avait dénoncé. Les deux avaient cité de hauts responsables de la police et du SNR, comme les cerveaux de cet assassinat. Signalons que le témoignage de Mwarabu avait été diffusé sur la station RPA, ce qui a valu un mois de détention préventive à Bob Rugurika, son directeur.

« Ce que cette personne a dit à propos de Human Rights Watch est complètement faux.  Cette histoire de montage est une invention.

D’ailleurs, nous n’avons même pas enquêté sur les allégations de viol à Bujumbura et nous n’avons rien publié sur ce sujet », a réagi Carina Tertsakian, chercheuse senior de HRW pour l’Afrique, sur les révélations d’Epitace. Elle précise que HRW ne paie jamais les témoins pour les informations, dans aucun cas et dans aucun pays. «  Il y a des gens mal intentionnés qui racontent n’importe quoi et il est parfois nécessaire de corriger ces mensonges! »


Des témoins reprochables

Certaines révélations d’Epitace et Clovis présentent des contradictions avec les faits.

Pierre-Claver Nkurikiye : « Ces révélations faites par ces anciens combattants corroborent exactement ce que j’avais dit auparavant. »
Pierre-Claver Nkurikiye : « Ces révélations faites par ces anciens combattants corroborent exactement ce que j’avais dit auparavant. »

Le 29 février dernier, à Mutakura, à la 9ème avenue n°31, trois corps ont été découverts dans une fosse commune. Le maire de la ville de Bujumbura a, cependant, accusé les insurgés armés d’y avoir enseveli trente personnes, notamment des Imbonerakure. C’est Epitace qui avait montré cette fosse.

Le 18 mars, dans la zone Cibitoke, à la 13ème avenue n⁰44, la police a montré à la presse, vendredi 18 mars dans l’après-midi, une fosse commune située dans la zone de Cibitoke où étaient censés se trouver cinq cadavres. Mais un seul a été découvert, et pas dans la fosse désignée par Clovis, qui a déclaré avoir lui-même participé à l’assassinat de ces personnes. Il avait pourtant promis de révéler d’autres fosses communes.

Le 22 mars dernier, Epitace fait une nouvelle révélation : « Welly Nzitonda a été abattu par des policiers, alors qu’il voulait leur lancer une grenade en s’enfuyant.» D’après lui, le fils de Pierre Claver Mbonimpa, qu’il a présenté comme un ami, a été abattu le 6 novembre, sur la 12ème avenue dans la zone urbaine de Cibitoke. Pourtant, selon Pierre Nkurikiye, porte-parole de la police, Welly Nzitonda a été abattu par des policiers sur la 13ème avenue, et son corps a été déplacé par des personnes inconnues sur la 12ème avenue pour être présenté à la presse.

Selon des sources sur place, il aurait été arrêté par la police à 11h et conduit dans un endroit inconnu. Il tentait, comme la plupart des habitants de ce quartier, d’aller récupérer ses affaires à Mutakura à la 3ème avenue où il habitait de temps en temps.

Des « repentis » patriotes et bien traités

Les deux anciens rebelles repentis, qui logent dans les locaux du SNR, jurent, cependant, qu’ils racontent la vérité et qu’ils ne sont pas manipulés par la police. Epitace Ingabire indique qu’il est bien traité, et qu’il n’a jamais été torturé ou battu. Et il nie avoir entendu ou vu quelqu’un être maltraité au SNR. « Certains disent que nous sommes payés pour faire de faux témoignages, mais c’est faux. » Quant à Clovis, il affirme que ses révélations sont un clin d’śil pour que ses anciens camarades se rendent eux aussi. Les deux jeunes gens avouent agir par patriotisme, au risque de leur vie, sans être intéressés. « Nous n’avons pas été payés, mais si jamais il y a une récompense, nous l’accepterons telle qu’elle sera », précise Epitace.

Le temps de la vérité

« Depuis quelques temps, j’utilise un hashtag #truthtime (Le temps de la vérité) », indique Pierre Nkurikiye, porte-parole de la police. Dès le début de l’insurrection, rappelle-t-il, il a toujours donné les résultats des enquêtes de la police. « Vous pouvez vérifier mes tweets.» Mais, indique-t-il, certains journalistes, qui étaient avec les organisateurs du mouvement insurrectionnel et du putsch comme communicateurs, ont toujours tout fait pour le contredire. « Aujourd’hui, ces révélations faites par ces anciens combattants corroborent exactement ce que j’avais dit auparavant. » Selon le porte-parole de la police, qui précise avoir lui-même interrogé Clovis sur l’assassinat des sśurs italiennes, il n’y a aucun montage et ces sont des révélations qui concordent avec les informations de la police. « Nous avons notre façon de travailler et c’est pourquoi nous avons attendu avant de vous présenter ces révélations. Et nous vous en promettons d’autres. »


Selon Agnès Bangiricenge, porte-parole de la Cour suprême, les nouvelles révélations seront tenues en considération dans l’instruction du dossier. Et à plus forte raison, pour le dossier des trois sśurs italiennes qui n’est pas encore fixé devant le Tribunal de Grande Instance.

Elle dit qu’en cas de nouvelles révélations alors que le dossier est déjà fixé devant une juridiction, le juge apprécie s’il faut commanditer une instruction supplémentaire ou pas.

Signalons que, dans un premier temps, les enquêtes de la police et l’instruction par le parquet de la République en maire de Bujumbura se sont focalisées sur le suspect Christian Claude Butoyi. Contrairement aux affirmations des habitants du quartier Kamenge, qui présentent Christian Butoyi comme un déficient mental, la police affirmait que ce jeune est bien portant et qu’il avait confirmé lui-même avoir tué les trois sśurs de Kamenge. Il venait d’être arrêté le 8 septembre, un jour après l’assassinat. Il sera écroué à Mpimba sur mandat d’arrêt du parquet de la République.

Le 30 mars 2015, la Radio publique africaine (RPA) diffuse, pour la première fois, l’enregistrement d’un homme qui affirme avoir participé à l’assassinat des trois sśurs.

L’assassin auto déclaré se révélera être Juvent Nduwimana, un agent du SNR. Il sera arrêté à Mogadiscio où il prestait dans le contingent burundais de l’Amisom. Le 3 avril 2015, il passera sa première nuit au cachot avant d’être déféré devant le parquet de la République. Il sera écroué à Mpimba.


Eclairage de Nadine Nibigira, criminologue

NadinenNibigira
Nadine Nibigira

Qu’est-ce qu’un montage?

Dans le contexte politique, on le fait généralement pour attaquer un opposant. D’abord, tout montage part des faits ou des événements qui se sont produits dans un contexte quelconque. Son objectif est, non seulement de fausser les pistes, mais aussi de créer de nouveaux acteurs, de nouveaux bouc-émissaires à arrêter et à poursuivre à la place des anciens présumés coupables.

Ensuite, il cherche à créer une nouvelle opinion sur ce qui s’est réellement passé, ce qui permet de déclasser les dossiers d’enquête en cours.

La troisième caractéristique est de créer une nouvelle situation qui fait remonter la pression sur de faux auteurs des faits, sur base des nouveaux faits rapportés.

La dernière caractéristique est l’incohérence dans les propos et les scénarii qui sont développés par les personnes impliquées dans cette activité.

Au regard des dernières révélations, peut-on parler de montage?

Les caractéristiques du montage illustrent qu’il y en a. Cela est illustré par les nouvelles pistes sur l’assassinat des trois sśurs italiennes où l’on dirait que les anciennes enquêtes ou pistes sont parties pour être abandonnées. L’on peut se demander comment la police qui avait décliné rapidement les identités des auteurs dans le vif des événements sans prendre le temps de mener des enquêtes approfondies au regard de l’ampleur du crime peut actuellement se réjouir des nouvelles révélations ?

L’autre cas, celui de l’incendie de T2000, est un cas d’école dans le montage. Alors que ledit supermarché est réduit en cendre un lundi, Clovis parle de dimanche. Il évoque en outre qu’ils avaient coupé les fils électriques le samedi, ce qui veut dire que la circulation du courant avait été interrompu, et partant qu’il ne pouvait y avoir d’incendie d’origine électrique. C’est d’ailleurs ce que les enquêtes du procureur ont pu montrer que les fusibles n’avaient pas été endommagés, ce qui signifie qu’il n’y a pas eu d’incendie tel qu’il le décrit.

Enfin la mort de Welly Nzitonda, le délinquant Epitace rapporte que Welly allait lancer une grenade de marque chinoise sur les policiers. Ce qui veut dire que les policiers ont agi par légitime défense. Mais la question qui se pose est la suivante : comment le délinquant a-t-il vu qu’il allait la lancer contre les policiers, alors qu’il n’était ni avec les policiers, ni avec Welly Nzitonda ?

Avez-vous relevé des incohérences?

Clovis dit : « Uwobavuga ngo yapfuye inyuma y’abandi.» (« Celle dont on parle qu’elle est morte en dernier lieu »). Cela montre qu’il n’était pas dans le coup. C’est comme s’il aurait entendu parler de ça et qu’il ne connaît pas grand-chose sur cet assassinat. « Ivyabaye canke ivyaraye bibaye. » (« Ce qui s’est passé ce jour-là ou ce qui s’était passé la veille »). On dirait qu’il ne maîtrise pas les moments forts de cet assassinat. « Abajejwe intwaro, igipolisi na gisirikare barimwo.» (« Les administratifs, la police et l’armée étaient présents. »). L’on pourrait se demander si la mission commanditée par Alexis Sinduhije était couverte par la police, l’administration ainsi que l’armée.

Peut-on qualifier de crédibles les révélations d’un homme qui se targue d’avoir trempé dans toutes les affaires?

Oui et Non. Oui par rapport à ce que le pouvoir veut en faire. Non, au regard des normes et des pratiques d’enquêtes policières et judiciaires.

Forum des lecteurs d'Iwacu

8 réactions
  1. To Eric above

    This English is horrible. Could you please write in a language that you know? It could be Kirundi, French, Swahili, etc. Of course, I will not mention anything in relation to the content of your message. Good luck brother!

  2. Amaguru arabashana

  3. Jean-Pierre Ayuhu

    Chers amis d’Iwacu,
    Je veux bien qu’il y ait éclairage parfois par des spécialistes et/ou experts. Sans remettre en cause les compétences de cette charmante dame que je ne connais, quelle est la valeur ajoutée pour le citoyen lamda à travers ce qu’elle nous raconte?
    Elle dit, je cite « Les caractéristiques du montage illustrent qu’il y en a ». Qu’est-ce que cela veut dire?
    Pour le reste, elle ne fait que démontrer que le pouvoir ment mais de manière peu académinique. Pour dire qu’il ne suffit pas de fréquenter la faculté de criminologie pour être criminologue!

  4. Kagabo

    C’est du n’importe quoi dans ce pays!!!!

  5. Murundais

    Que Nkurikiye et ses patrons sachent bien qu’on est au 21eme siecle. Il ya la technology avancee, il y a les temoins oculaires des crimes commis. Il y a les parents victimes de l’animausite de certains policiers et militaires qui attentent la jusitice impartiale pour porter plainte contre les bourreaux des leurs. Tout le monde sait qui a fait quoi. Les assassins ne se cachent pas, ils kidnapent au grand jour meme s’ils tuent dans des endroits inconnus. Les images, le nombre des victimes sont disponibles. Un jour ou l’autre ca finira par se savoir. Les genocidaires au Rwanda n’avaient jamais pense qu’ils seraient arretes et juges quand ils etaient en train de genocider. Il faut etre bete pour croire ces soit-disant rebelles qui acceptent une mission suicidaire payant pour faire tuer des innocents. S’ils ne sont pas tues, ils vont reveiller ceux qui sont derriere ces revelations et leurs but. Ce qui est sur est qu’ils visent a branchir les policiers et les militaires dont les crimes commencent a peser lourd sur leurs epaules. Meme si c’est trop tard, on leur conseillerait d’arreter de tuer kugira bazobazwe bake.

  6. Siy

    Je les trouve pathétique

  7. eric

    congratultion mr edward ,this time you try your best to be neutral.
    my best brother this is our country both of us .It will never be for belgiun or little imperialist brother on north.
    it belong to us.We are the same totally even if we can have little diffrence.
    It is lie that a tutsi came from somewhere.
    If is true a tutsi came in burundi when he was a new born maybe 2months old without a language.
    a tutsi boy and girl came together at age of 1-2 months without language
    Then hutu have teach them and marry them after years
    It is impossible .
    so hutu and tutsi have exactly the same father and mother but they have grow different way.
    THIS CAN NOT SAPARITE US.THEN EACH TIME WE HAVE PROBLEM WE WILL TALK

    • To Eric above

      This English is horrible. Could you please write in a language that you know? It could be Kirundi, French, Swahili, etc. Of course, I will not mention anything in relation to the content of your mention. Good luck brother!

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