Alors que le secteur minier est considéré comme porteur de croissance économique, depuis des années, les richesses minières du Burundi sont au cœur de toutes les spéculations. La part des recettes minières dans l’économie nationale reste minime malgré le niveau d’exploitation minière. Questions et inquiétudes ont caractérisé le débat à l’hémicycle de Kigobe ce mercredi 25 septembre 2024.
Par Pascal Ntakirutimana, Fabrice Manirakiza et Jérémie Misago
« Alors que le montant des recettes attendues, au cours de l’année budgétaire 2023-2024, en provenance du secteur minier s’élevaient à 26.008.148.741 BIF : marbre : 17 milliards de BIF, or : 2,4 milliards de BIF, nickel : 1,4 milliard de BIF, 3 Ts (Coltan, Cassitérite, wolframite) : 3,6 milliards de BIF, tourbe : 1 milliard de BIF, seulement 6.273.590.939 BIF sont arrivés dans le Trésor public, soit un taux de 24 % des prévisions ». Ce sont les déclarations du ministre burundais des Finances lors de la séance plénière de ce mercredi le 25 septembre 2024 invité avec son homologue de l’Energie et des mines.
Cette séance portait sur la présentation du « Rapport de descente effectuée par la commission permanente de la bonne gouvernance et de la privatisation pour s’enquérir de l’état des lieux de la mise en application de la loi n° 1/19 du 14 août 2023 portant Code minier du Burundi en matière de la fiscalité minière, de la protection de l’environnement et de la responsabilité sociale ».
Au cours des questions orales adressées aux ministres des Finances et des Mines sur le rapport susmentionné, les députés ont voulu avoir des détails et explications sur cette situation. Jean Claude Kwizera, député à l’Assemblée nationale et deux autres élus ont interpellé le ministre des Finances pour qu’il puisse donner des éclaircissements.
Audace Niyonzima, ministre des Finances a expliqué que les recettes minières proviennent des taxes et impôts sur les quantités des minerais exploitées et déclarées. Il rappelle qu’en 2021, le gouvernement du Burundi a décidé de suspendre temporairement les activités de certaines sociétés minières en vue de renégocier des contrats plus profitables pour le pays. « Il n’y avait pas, par conséquent, de production pour avoir des recettes fiscales. De plus, certaines sociétés, dont leurs activités ont été suspendues, ont refusé, en même temps, de verser les dividendes de l’État. C’est pourquoi les recettes sont minimes », a-t-il insisté.
Des députés n’ont pas été convaincus. Ils se sont plaints que la Banque de la République du Burundi, BRB achète des minerais pour les vendre en devises, mais que les bénéfices ne sont pas rendus publics. Les députés comme Felix Mpozeriniga, Abel Gashatsi, Nestor Ntahontuye, Sylvestre Ngendakumana considèrent que les 30% que le gouvernement retient sur toutes les quantités des minerais déclarées et les bénéfices gagnés par la BRB en revendant ces minerais ne sont pas comptabilisés dans les recettes minières.
Ces parlementaires considèrent qu’il y a un problème de collaboration entre l’Office burundais des recettes, OBR et la BRB dans la gestion des ressources minières. Certains pensent même que certains agents de la BRB sont devenus des commerçants pour faire des détournements des richesses publiques avec facilité.
Les ministres s’expliquent
Face aux inquiétudes et questions des députés, Audace Niyonzima, le ministre des Finances a expliqué qu’avec le problème de devises, la BRB a décidé d’acheter désormais les minerais pour les revendre en devises. « Quand elle a vendu les minerais à l’extérieur, elle n’a pas payé des droits de sortie comme les autres. La BRB est exonérée et n’a pas fait de déclaration, car le Code minier ne l’y obligeait pas. C’est pourquoi ce n’est pas comptabilisé à l’OBR ».
D’après lui, la BRB crédite ses comptes du trésor et la vente peut prendre une année ou plus. « Ces opérations ne sont même pas publiées sur son site officiel. La BRB ne faisait pas de déclaration à l’administration fiscale, mais le nouveau Code minier a levé l’équivoque », tranche-t-il.
De son côté, Ibrahim Uwizeye, ministre en charge des mines, a tenu à les rassurer. Pour lui, les quantités des minerais achetés par la BRB sont connues et l’argent en provenance des minerais permet de renflouer les caisses en devises. Il rappelle que le nouveau Code minier oblige la BRB à faire une déclaration sur les quantités achetées chez les exploitants miniers et vendues pour être comptabilisées dans les recettes minières.
Des députés dénoncent les zones d’ombre
Pamphile Malayika, député, a dénoncé beaucoup de zones d’ombre qui persistent dans ce secteur pourtant important pour le pays. Il parle de manque de connaissances du potentiel minier, fausse déclaration des minerais exploités et vendus, fausse déclaration sur les bénéfices. En plus, il dénonce des multinationales fictives et des sous-traitants non reconnus. « Le flou profite à celui qui l’entretient. Il y a quelqu’un qui profite de ces zones d’ombre ».
Dans ce rapport produit par la Commission permanente chargée de la bonne gouvernance de l’Assemblée nationale, les représentants des coopératives minières et d’autres intervenants dans la commercialisation se plaignaient que le prix proposé par le gouvernement est très inférieur à celui donné dans d’autres pays de la région. Pour eux, il est normal que des gens tentent d’aller les vendre frauduleusement dans d’autres pays qui donnent des prix défiant toute concurrence.
« Il n’y a pas de suivi, dès les sites d’exploitation jusqu’à la commercialisation des minerais », a déploré le président de la Commission permanente.
Pour rappel, dans le compte 786 de la loi n°1/20 du 5 juillet 2024 portant règlement et compte rendu budgétaire pour l’exercice 2022-2023, la situation était la suivante :
Où va l’argent des minerais ?
Cette question est sur toutes les lèvres. L’économiste André Nikwigize fait remarquer que depuis 2022, aucun montant n’est indiqué comme exportations de minerais. « Cela veut dire que la sortie des minerais passe par des voies non officielles. Même les statistiques de l’OBR ne montrent rien. Les arguments fournis par le ministre des Finances ne sont pas convaincants. Il y a un vol organisé des ressources publiques », observe cet économiste.
Ibrahim Uwizeye, ministre des Mines, n’est pas loin de cette observation. « Les sociétés et coopératives ont fait de fausses déclarations. La loi prévoyait 10 % pour le gouvernement sur toutes les quantités exploitées, mais on s’était convenu qu’elles doivent donner 30 %. On n’a jamais eu cette production. Les exploitants nous ont contournés ».
Une autre explication que le ministre donne : c’est le prix proposé par la BRB qui est inférieur à celui proposé dans les pays de la région. En plus, poursuit M. Uwizeye, la BRB achète en monnaie locale au taux officiel alors que les autres vendent en dollars pour les reconvertir sur le marché parallèle. « Cela favorise la fraude des minerais vers d’autres pays de la région ».
A titre d’exemple, informe le ministre Ibrahim Uwizeye, un kilogramme de Coltan coûte 30 dollars $ avec teneur de 25 %, 13 dollars pour le kilo de cassitérite, 7,5 de dollars pour le kilo de wolframite avec teneur 45 % et 8,8dollards pour un kilo de wolframite avec teneur de 55 %. Par contre, éclaire-t-il, au Rwanda, un kilo de Coltan avec teneur de 24 % coûte 40 dollars, un kilo de cassitérite 18 et 9,9 dollars pour le wolframite avec teneur de 55 %.
M. Uwizeye soupçonne d’ailleurs un sabotage de l’économie nationale par certains pays de la région. Il donne un exemple de deux kilos de l’or qui ont été vendus à 70 mille dollars le kilo. « Un acheteur rwandais a proposé 94 mille dollars le kilo, mais sur base des recherches déjà faites, même à Dubaï, on n’a pas atteint cette somme. C’est peut-être une manière de raflé les minerais pour saboter l’économie ».
Le ministre des Finances essaie de soutenir son homologue : la BRB achète des minerais en monnaies locales pour l’échanger en devises. Tout est appliqué au taux officiel. Celui qui vend ses minerais à la BRB reçoit peu d’argent par rapport à celui qui vend à l’étranger en devises et vient reconvertir en monnaie locale au taux du marché noir.
Afin de promouvoir la vente des produits miniers à la banque centrale par les exploitants miniers, et juguler la spéculation sur ces produits, le ministre en charge des finances a annoncé que le pourcentage de 30 % déductible de la valeur totale du minerai par l’OBR a été revu à 7 % pour les exploitations minières artisanales et semi-mécanisées.
Il ajoute que des mesures sont en cours de préparation pour remédier à cette situation. Pour maximiser les recettes provenant de la vente des minerais, a-t-il signalé, les études sont en cours pour que le taux de change soit bientôt harmonisé et le marché noir supprimé.
Les négociations des avenants vont bon train, mais…
Au cours de cette Plénière, le ministre des Finances assure que le dialogue entre ces sociétés, dont leurs activités avaient été suspendues, et le gouvernement sont en cours (arrive à une étape importante).
À cela, la députée Alice Nitunga ne comprend pas pourquoi le gouvernement a engagé des discussions avec des sociétés qui ont été suspendues sans qu’elles payent des arriérés. Pour le ministre des Finances, la loi fiscale est claire. « L’OBR doit recourir au recouvrement. La liste de ces sociétés et les montants dus sont connus ». Le ministre en charge des mines de le compléter : « Nous avons commencé des négociations. Pour être autorisées, elles doivent remplir toutes les conditions ».
Abel Gashatsi, 2èmevice-président de l’Assemblée nationale est pessimiste à ce sujet. Selon lui, l’existence des minerais au Burundi risque de rester une chanson des autorités alors que sur terrain, il n’y a rien. « Je ne maîtrise pas ce qui est du secteur des minerais, mais je pense qu’il n’y a rien. On ne voit pas la production et la contribution du secteur dans le développement du pays ». Il déplore le fait qu’il n’y a pas encore de direction générale ou département chargé de faire la gestion des minerais depuis l’exploitation jusqu’à la vente.
Pour rappel, la suspension des activités des sociétés minières, en juillet 2021, a été motivée par la volonté du gouvernement d’équilibrer les contrats. Celui-ci souhaite prendre le contrôle de la gestion du secteur minier et s’assurer que les contrats signés avec les sociétés minières sont équitables et profitent à toutes les parties concernées.
Réactions
Faustin Ndikumana : « Comment un pays qui regorge beaucoup de variétés de minerais peut avoir des difficultés des devises ? »
Pour Faustin Ndikuma, directeur national de Parcem, le secteur ne cessera jamais de parler de lui. Il donne des raisons : d’abord les recettes de 26 milliards de BIF qui étaient prévues ne sont pas aussi impressionnantes pour le secteur aussi important que celui des mines au Burundi. « Un pays qui regorge beaucoup de variétés de minerais, mais qui engage 26 milliards dans le budget général, ce n’est pas une prouesse ». Le hic pour Faustin Ndikumana, c’est qu’on n’a pas pu même recouvrir la moitié.
Outre d’autres recettes, fait savoir M. Ndikumana, on oublie la contrepartie qui devait provenir des devises pour équilibrer au moins la balance de paiements et trancher le déficit permanent de la balance commerciale. « Comment un pays qui regorge beaucoup de variétés de minerais peut avoir des difficultés au niveau des devises pour s’approvisionner à l’étranger ? »
Le président du Parcem considère que cette dépréciation de la monnaie burundaise par rapport au dollar illustre bien que la contribution du secteur minier au PIB reste à désirer. Faustin Ndikumana critique d’ailleurs les zones d’ombres qui persistent dans ce secteur. « Jusqu’à maintenant, il n’y a pas d’état des lieux de la situation de ce secteur élaboré de façon transparente ».
Il craint que même dans ces négociations des avenants aux contrats, il y ait de l’opacité. Pour M.Ndikumana, même la gestion de ce secteur reste à douter. « Qui négocie des contrats ? » Ce sont pour lui les ténors du pouvoir et les institutions viennent formaliser.
Faustin Ndikumana considère que pour redresser la situation, il faut d’abord dresser, de façon transparente l’état des lieux de ce secteur et le présenter publiquement. « Quels sont par exemple les contrats qui n’ont pas été mis en application ? Quels sont les nouveaux contrats qu’on veut signer ? »
Le Burundi devrait également adhérer à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). C’est ce cadre international qui permet aux Etats de s’ouvrir à la transparence. Il faut enfin respecter les lois et les mécanismes de contrôle connexes et lutter contre la corruption au plus haut sommet de l’Etat.
Gabriel Rufyiri : « Il y a trois ans que la BRB achète de l’or, mais il n’y a jamais eu de traçabilité »
Le président de l’Olucome persiste et signe que le secteur minier est un secteur qui présente beaucoup de défis et ces derniers émanent de plusieurs raisons. Il doute d’ailleurs de ces chiffres présentés par le ministre des Finances. « Il suffit de consulter la loi de règlement et compte rendu budgétaire pour cet exercice. Je ne suis pas sûr que ces 6 milliards aient été encaissés. Cela relève déjà d’une anomalie ».
Gabriel Rufyiri dit qu’il faut chaque fois distinguer les prévisions des réalisations. « La réalisation budgétaire est totale quand il y a eu encaissement, mais l’encaissement est constaté dans quel document ? Si vous visitez justement la loi de règlement et compte rendu budgétaire. Or, vous ne trouverez nulle part cette somme, et ce qui est étonnant, c’est que cette loi est présentée devant l’Assemblée nationale ».
D’après M. Rufyiri, les minerais sont classés parmi les trois recettes spéciales : les fonds qui proviennent des missions des militaires à l’étranger et les fonds en provenance des recouvrements des fonds et biens détournés.
Gabriel Rufyiri déplore qu’il y a trois ans, l’or était acheté par la BRB aux coopératives, mais, il n’y a jamais eu de traçabilité. Cela montre combien ce secteur a toujours présenté des problèmes. « Allez sur le marché international, vous vous rendrez compte que le Burundi vend de lingots d’or, mais qu’il n’y a pas de traçabilité au niveau du pays ».
Et de s’indigner : « Les minerais sont exploités sans qu’ils bénéficient au pays. Après suspension des conventions d’exploitation, les problèmes persistent toujours ».
La situation sera redressée, selon Gabriel Rufyiri, une fois que les corrompus, devenus plus forts que l’Etat, seront sanctionnés.
Il faut que le Burundi sache ce qu’il veut.
Les pays limitrophes du Burundi vendent les minerais sur le marché Mondial.
Pourquoi le Burundi est le dindon de la farce qui laisse ses minerais être vendus par nos pays limitrophes?
Les bihangange qui nous dirigent ne sont pas bêtes.
A qui profite le crime?
Creusez et vous allez trouver la réponse.
Ce n’est pas une equation différentielle sans solution
1. Vous ecrivez:« les représentants des coopératives minières et d’autres intervenants dans la commercialisation se plaignaient que le prix proposé par le gouvernement est très inférieur à celui donné dans d’autres pays de la région. Pour eux, il est normal que des gens tentent d’aller les vendre frauduleusement dans d’autres pays qui donnent des prix défiant toute concurrence… »
2. Mon commentaire
Peut-etre qu’il faudrait faire comme en Ethiopie ou la banque centrale achete de l’or au prix international du jour (mais paie en monnaie locale).
« The National Bank of Ethiopia on Wednesday announced that it will be buying gold from suppliers and producers at a rate of the International Market Pricing as of July 29, 2024…
From what the bank said, it appears that payment for it will be in Ethiopian currency. Suppliers and gold producers will have to get the daily market exchange rate provided by the bank and be paid for it based on that, the bank added.
Suppliers will be getting an equivalent of the Gold Price in the International Market converted to Ethiopian Birr… »
https://borkena.com/2024/07/31/gold-market-ethiopias-national-bank-to-buy-gold-in-international-market-pricing/#:
Vu que les lois burundaises/code minier? disent que les minerais dans le sous-sol burundais appartiennent a l’Etat burundais, la formule ethiopienne de payer les orpailleurs suivant le prix de l’or du jour sur le marche international ne pourrait pas marcher.
Il faudrait que l’Etat fasse une exception pour les petits exploitants miniers pour qu’ils ne soient pas tentes de vendre leur production dans les pays voisins.
MAIS, REFORME OBLIGE.
Merçi au Journal Iwacu.
Il y a des choses stupéfiantes au Burundi.
Les minerais produits au Burundi sont vendus au Rwanda et en Tanzanie.
Même les 2 ministres l’ont accepté à mots couverts.
S’il y a un tel differential prix, qui empêcherait les exploitants miniers de vendre où l’herbe est verte.
N’oubliez pas que le secteur minier est aux mains d’intouchables bishikira.