Samedi 23 novembre 2024

Économie

Le secteur privé, le parent pauvre

18/11/2018 Commentaires fermés sur Le secteur privé, le parent pauvre
Le secteur privé, le parent pauvre
Jean Ciza : « Avec la nouvelle politique, le taux d’intérêt sera plus attractif et incitatif.»

La BRB a organisé, jeudi 8 octobre, un atelier de réflexion sur les nouvelles orientations de la politique monétaire en vue de stimuler la croissance économique. Les investisseurs et banquiers mettent en doute les propositions de la Banque centrale.

Le coût élevé du crédit, le manque de garanties solides, le manque de ressources longues, le risque élevé pour certains secteurs, manque de devises… des défis auxquels font face le financement des secteurs productifs et porteurs de la croissance, selon Vénuste Ndikumwenayo, directeur des Etudes et Statistiques à la Banque centrale.

Les banques commerciales censées financer le secteur privé, moteur de la croissance économique, financent au contraire l’Etat. «Les investissements des banques commerciales en Titres Publics dépassent 850 milliards de BIF.» Ce qui entraîne l’effet d’éviction du secteur privé et la baisse de la production dans les secteurs primaires et secondaires. « Or, ce sont eux, qui sont porteurs de la croissance. Et par conséquent, ils ont enregistré un taux de croissance négatif au cours des trois dernières années ».

Plus inquiétant encore, leur financement continue de baisser alors qu’ils occupent une part importante dans le PIB (plus de 50%). Cela hypothèque la croissance du pays. L’économie Burundaise, explique-t-il, est caractérisée par la prédominance des activités de subsistance (agropastorales) et un faible degré d’industrialisation. Cela entraîne une forte dépendance de l’économie nationale aux biens et services produits à l’étranger. Les réserves officielles ont sensiblement baissé depuis 2015 en partie à la suite de la baisse des appuis extérieurs. Elles ne couvraient que 1,2 mois d’importations à la fin juin 2018, ce qui est en dessous de la norme de l’EAC fixée à 4,5 mois.

Cette diminution des réserves de change a entraîné la dépréciation de la monnaie nationale de 4,5% en 2017. Ce qui affecte les banques via les crédits octroyés aux entreprises importatrices.
M. Ndikumwenayo a indiqué que la dette publique augmente très rapidement depuis 2015. Elle augmente particulièrement sous l’influence de la dette envers la BRB et celle envers les banques commerciales. Elle publique s’élève aujourd’hui à 45 % du PIB.

L’endettement auprès du secteur bancaire constitue la grande composante de la dette intérieure (39,1%) et augmente d’une année à l’autre (31,8% en 2016 et 23,7% en 2015). L’accroissement du niveau du déficit budgétaire (4, 5% du PIB en 2017) est considéré comme le plus grand risque pour la stabilité financière du pays. En principe, il ne devrait pas dépasser 3% du PIB selon les critères de l’EAC.

Le directeur des Etudes et Statistiques à la Banque centrale souligne que les dépenses de l’Etat sont dominées par la consommation alors que ce sont Ce sont les dépenses publiques d’investissement qui influencent directement la croissance économique. Entre 2015 et 2017 l’investissement public a évolué decrescendo par rapport à la période antérieure.

Booster la production, une priorité

Jean Ciza, gouverneur de la Banque de la République du Burundi, affirme que des opportunités d’investissements existent dans les secteurs primaires et secondaires. Mais elles se retrouvent handicapées par le manque de financement. Il donne l’exemple de ceux qui exercent dans l’agriculture, l’élevage et l’industrialisation. Ils n’accèdent pas aux crédits alors que ces secteurs constituent les vrais moteurs de la croissance économique.

Le gouverneur de la Banque centrale assure que ces secteurs ont été à l’origine de la croissance dans les années 1980 jusqu’en 1984. Depuis, l’Etat s’est désengagé au profit de la libéralisation. Celle-ci a abouti à la valorisation du secteur des services au détriment des investissements productifs. L’Etat qui appuyait les secteurs porteurs de croissance s’est désengagé, suite aux recommandations des bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale et le FMI.

Avec ce désengagement de l’Etat, les banques commerciales orientent les financements dans le secteur des services. Elles disposent des ressources à court terme et ne peuvent pas les transformer en emprunts de moyen et long termes.

M. Ciza souligne, par ailleurs, que sous l’influence du faible niveau du développement économique et financier hérité du ralentissement économique enregistré 2015, le financement des investissements dans les secteurs de la croissance fait face à de nombreux défis.

Il évoque notamment le manque de ressources longues pour les établissements financiers à fin de financer les investissements de long terme des secteurs porteurs de la croissance, le coût élevé du crédit qui dissuade les opérateurs, la réticence des établissements financiers à accorder des crédits à certains secteurs en fonction des risques y associés. Il ajoute aussi le manque de garanties solides pour la plupart de clients des établissements financiers à fin de couvrir leurs crédits, le manque des réserves de change suffisantes.

Le gouverneur de la Banque centrale soutient que la BRB compte stimuler la croissance à travers le financement des investissements productifs et des secteurs porteurs de croissance. Elle le fera via les banques et les institutions de microfinance en mettant en place un système de refinancement.

Celui-ci permettra aux banques et aux institutions de microfinance de se refinancer à un taux incitatif et très bas à la Banque centrale. Les établissements financiers vont financer à leur tour les investissements productifs avec des taux accessibles aux opérateurs économiques. Le taux d’intérêt moyen auprès des établissements financiers atteint aujourd’hui 16%. «Avec la nouvelle politique, assure-t-il, il sera plus attractif et incitatif» a précisé M. Ciza sans plus de précision.

La Banque centrale envisage aussi de garantir les banques et les microfinances qui vont contracter des engagements en devises.

Des propositions mis en doute

Tharcisse Rutumo, administrateur directeur général de la BCB, n’est pas d’accord avec les propositions du gouverneur de la BRB. La Banque centrale devrait d’abord stabiliser la monnaie nationale en disponibilisant les devises. L’ADG de la BCB rejette, par ailleurs, l’accusation que les banques commerciales financent seulement le secteur public. Les banques commerciales financent tout le monde. Il s’inquiète aussi que les investisseurs privés ne sollicitent pas beaucoup de crédit. Aujourd’hui, les dépôts dépassent de loin les crédits alors qu’ils doivent variés dans le même sens.

Gaspard Sindayigaya, administrateur directeur général de la BANCOBU, est pessimiste. Les marchés monétaire et financier sur lesquels comptent la Banque centrale ne sont pas efficients. De plus, les propositions de la BRB ne précisent pas le levier qu’elle va utiliser pour atteindre cet objectif.
L’ADG de la BANCOBU s’inquiète également de la manière dont le Burundi s’écarte des critères de convergences macroéconomiques de l’EAC.

Eric Ndandahayo, directeur général de Musumba investiment group, qualifie de « lettre d’intention » les propositions de la Banque centrale. Depuis de nombreuses années, plusieurs des propositions ont été annoncées par des institutions étatiques, mais elles n’ont jamais produit d’effets. D’après lui, elle devrait mettre en place des mécanismes réels qui permettraient de relancer l’économie.

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