Vente clandestine de nombreux médicaments, l’automédication, vente de produits pharmaceutiques périmés ou mal conservés par des pharmacies, indisponibilité de certains produits… Entre autres défis qui hantent ce secteur. Le ministère de la Santé est appelé à faire un suivi régulier et un contrôle rigoureux pour trouver des solutions.
Il est 10h en zone Bwiza, commune Mukaza. Des gens sont devant une pharmacie. Ils entrent un à un pour prendre des médicaments. Les médicaments sont vendus comme d’autres produits. « Chaque fois que je me sens mal ou que mes enfants souffrent, je cours chez le pharmacien et il me donne tous les produits que je demande. Pourquoi payer une consultation alors que nous savons de quoi nous souffrons », raconte une maman de quatre enfants.
Le pharmacien a le dos tourné. Il donne les produits à une dame en lui prodiguant quelques conseils. La pharmacie est juste un petit local. Les médicaments sont exposés sur des étagères. Les boîtes arrivent presque au plafond. « Je paie combien ?», demande la cliente. « 4500 BIF », répond l’agent, un jeune homme d’une vingtaine d’années.
Dans la zone de Kamenge en commune Ntahangwa, en Mairie de Bujumbura. Sous un ciel ensoleillé, des gens entrent dans la pharmacie. Une femme âgée explique qu’elle a mal au ventre. Une jeune fille qui preste dans cette pharmacie lui propose directement de l’Albendazole sans plus de précision.
Un autre vient pour demander des médicaments. « Puis-je avoir du Ciprofloxacine ?» (Un antibiotique fort). « C’est 3000 Fbu », répond-elle. Il lui tend l’argent. Elle lui remet sans problème deux tablettes de 20 comprimés. « Je les prends comment ?» Sa réponse est approximative. Normalement, lui dit-il, tu les prends selon ta maladie. Et de lui demander de quoi il souffre. « Ce n’est pas pour moi. C’est pour mon frère. » Ah ! Elle lui dit alors de lui donner un comprimé le matin et un autre le soir.
Son client lui demande s’il n’y a pas des effets secondaires. « Il va se sentir faible le matin, mais ce n’est pas grave », répond la jeune fille.
Vente clandestine de médicaments
Les vendeurs des médicaments à la sauvette s’observent. A Bujumbura, on les retrouve surtout derrière l’ancien marché central. Des médicaments de plusieurs sortes y sont vendus. Cela va du simple paracétamol pour la fièvre à l’insuline pour les diabétiques.
Ils les portent dans des sacs à dos. Pour ne pas être appréhendés par la police, ils observent les mouvements des gens. Si la confiance s’installe, ils acceptent qu’ils soient des vendeurs. Par-là, ils montrent aux clients les médicaments dont ils disposent.
Selon les pharmaciens, il est strictement interdit de vendre les médicaments n’importe où. Les médicaments exigent des conditions de stockage, de température et d’aération. Ces vendeurs bravent le soleil et la pluie. La température influe sur la composition chimique des médicaments. « Mal conservé, le médicament peut devenir un poison, un danger de mort », préviennent-ils.
D’après un commerçant des pneus au centre-ville, la vente ambulante de médicaments laisse penser que les vendeurs s’approvisionnent via les canaux légaux. Et d’alerter : « Il s’agit également des médicaments non autorisés d’entrée au Burundi. Néanmoins, ils défient le contrôle des instances habilitées et se retrouvent sur le marché. »
L’automédication, un danger pour la santé
D’autres personnes interrogées affirment se faire soigner avec des restes des médicaments non utilisés dans les ménages. Ils ne savent pas que cela constitue un problème lié à la santé publique. « Je conserve beaucoup de médicaments que je peux utiliser quand il le faut. On ne sait jamais moi ou mon enfant pouvons tomber malade et nous allons nous en servir avant d’aller au centre de santé ».
Selon les pharmaciens rencontrés, les médicaments sont une source de dangers notamment l’automédication ou l’utilisation des médicaments périmés, ce qui est très dangereux pour la population.
Une femme de la zone Kamenge a pris un médicament périmé en 2022. Ce produit dont la date de péremption était le 30 décembre 2021 a été consommé le 25 juillet 2022. « Je me suis sentie trop mal au ventre avec des brulures dans les intestins. On m’a transportée à l’hôpital dans un état critique. Après des examens, on a conclu que j’ai été intoxiquée par un médicament périmé ».
Quand cette pauvre femme est retournée chez la pharmacie où elle avait acheté le médicament, elle a été repoussée. Le pharmacien a réfuté toutes les allégations. Il a exigé la facture pour reconnaître la responsabilité. Comme la femme n’avait pas exigé de facture, elle est retournée à la maison couverte de honte. « J’ai failli mourir mais c’est moi qui ai été accusée de comploter par la pharmacie », raconte-t-elle en larmes.
Elle appelle les pouvoirs publics à protéger les consommateurs des produits pharmaceutiques : « Le consommateur a droit donc à la sécurité. Il doit être protégé contre tout produit pouvant menacer sa vie ou sa santé. »
« Les services d’inspection et de contrôle ont failli à leur mission »
Il alerte que certaines pharmacies continuent de vendre des médicaments dont la date de péremption a été dépassée. En plus, des médicaments sont pour la plupart de fois mal conservés, explosés à l’humidité et à la chaleur.
Pour lui, cela présente un danger majeur pour la santé publique. « Selon les normes, les médicaments doivent être stockés à l’abri de la lumière, de l’humidité et d’éviter certaines conditions extrêmes. La pharmacie doit avoir des dimensions de 4m sur 4, un stock de 3m sur 3 et un bureau qui comprend 3m sur 2 », explique-t-il, tout en déplorant : « Ces conditions ne sont pas respectées au Burundi faute de contrôle rigoureux. »
D’après lui, la date de péremption indiquée sur le médicament peut changer si les conditions de conservation de ce médicament ne sont pas respectées. « Le médicament peut devenir invalide avant même la date de péremption indiquée sur le carton si les exigences de conservation du médicament ne sont pas respectées. Les médicaments mal conservés dans les pharmacies sont à remettre aux pharmaciens ».
Il explique que la destruction des médicaments périmés est financée à 100% par le responsable de la pharmacie. Les frais ne sont pas remboursés. C’est la raison pour laquelle certains opérateurs dans le secteur pharmaceutique préfèrent les vendre.
Pour lui, les produits pharmaceutiques en période de péremption doivent être détruits pour éviter la catastrophe sanitaire. Il déplore néanmoins que ce secteur est considéré comme un business où tout est permis alors que c’est la santé des gens qui est en jeu. « Souvent, les promoteurs de ces pharmacies sont des simples commerçants qui investissent dans le secteur sans la moindre connaissance du domaine pharmaceutique. L’essentiel pour eux étant de « vendre » le médicament ».
Des médicaments périmés mais vendus
Il explique que certains produits périmés qui se trouvent dans les pharmacies de gros ne sont pas tous détruits : « Ils sont vendus clandestinement en RDC. Malheureusement, ils retournent au Burundi et sont vendus dans des pharmacie sur place. »
Auparavant, fait savoir ce médecin, le ministère de la Santé demandait aux propriétaires des pharmacies de faire la liste des médicaments périmés.
Après, ces derniers étaient acheminés au district sanitaire proche pour être détruits. Tout cela a changé. « Pour le moment, c’est la police qui vient les récupérer. Le ministère de la Santé a des services techniques d’inspection et de contrôle mais ils sont remplacés par des policiers. C’est incompréhensible car ces médicaments risquent de se retrouver sur le marché et dans certaines pharmacies », se désole ce médecin, propriétaire de pharmacie depuis 2013.
Ce médecin assure que, dans certaines pharmacies, on trouve des médicaments dont la provenance n’est pas certifiée : « Tout médicament dans la pharmacie doit avoir une facture pour savoir sa provenance. Ce n’est pas le cas dans certaines pharmacies au Burundi. A titre d’exemple, un même médicament est vendu à 10000 BIF par certains et 6000 BIF par les autres. C’est une différence inacceptable pour un produit acheté dans une même et seule pharmacie de gros à un prix connu. »
Quid de la disponibilité et de la qualité des médicaments ?
Il se pose également la question de la disponibilité et la qualité des médicaments dans les rayons des pharmacies. Il fait savoir que la situation est catastrophique. Pour lui, les médicaments dits spécialités et ceux utilisés pour soigner les maladies chroniques manquent cruellement. On se contente des médicaments dits génériques.
Il informe que tous les médicaments ne sont pas de la même efficacité. Il donne un exemple d’un médicament « Parol », comprimés utilisés pour le traitement symptomatique des douleurs aiguës ou chroniques et qui fait baisser la fièvre. Importé de l’Inde, il est vendu à 8000 BIF alors que ce médicament est vendu à 8 euros en France (à peu près 40 mille BIF). « Vous constatez alors que la qualité n’est pas du tout la même. Il y a question de l’efficacité, ce qui fait que les gens tardent à guérir ».
Et de déplorer que les services techniques d’inspection et de contrôle ont failli à leur mission à cause du favoritisme et le pot-de-vin. Il regrette que certaines pharmacies soient contrôlées et les autres laissées selon les tractations engagées.
Il interpelle le gouvernement à être vigilant pour protéger la santé de la population. Il avertit que si la situation reste la même, on risque d’observer un fort taux de mortalité en 2030 : « Les médicaments périmés deviennent du poison. La santé de celui qui le prend se retrouve en danger. »
Le respect de la loi, la condition sine qua none
Il plaide pour le respect de la loi régissant les pharmacies. « C’est un secteur qui a beaucoup de problème mais qui pourrait trouver des solutions. Aujourd’hui, nous constatons qu’il y a beaucoup de pharmacies sans pharmaciens, contrairement à ce que prévoit d’ailleurs la loi », a-t-il fait remarquer.
Il déplore qu’il y ait aussi des agents qui travaillent dans ces officines qui ne sont pas suffisamment éclairés en la matière. D’où la qualité du service laisse à désirer, car, fait-il observer, l’on donne que ce que l’on a.
Et d’énumérer certaines normes exigées au niveau du ministère de la Santé publique : « Une pharmacie doit avoir une salle d’exposition donc un point de vente, des bureaux, un bureau du pharmacien et d’autres agents, un petit local de stockage, un petit coin pour les médicaments périmés, un frigo pour conserver les médicaments qui doivent rester au froid. »
M. Harindongo épingle aussi la nouvelle loi régissant les pharmacies. Il rappelle que l’ancienne loi révisée précisait bien qu’entre deux pharmacies il doit y avoir au moins 100 m. « Aujourd’hui, avec la nouvelle loi, cette norme on l’a supprimée. Je ne sais pas pourquoi. C’est d’ailleurs pourquoi on voit aujourd’hui que ces pharmacies sont superposées à des portes qui se suivent », s’indigne-t-il.
Le président de l’ordre des pharmaciens du Burundi recommande le respect de la loi. Et de mettre en garde quiconque la violerait : « Elle a été promulguée, il faut tout simplement l’appliquer. Je demande aux pharmaciens de toujours la respecter parce que l’ordre des pharmaciens n’hésitera pas à sanctionner tous ceux qui s’en écarteraient. »
Des députés préoccupés
La problématique dans le secteur pharmaceutique préoccupe également les élus du peuple. Lors de la séance du 19 septembre des questions orales avec débat adressées au ministre ayant la Santé publique dans ses attributions, les députés ont soulevé tous les défis du secteur.
Ils ont déploré le manque de suivi ce qui met en danger la santé de la population. Gélase Ndabirabe, président de l’Assemblée nationale a été très ferme. Il a exigé la destitution ou la sanction du directeur chargé des pharmacies.
« Vous avez celui qui gère les pharmacies ? » Regarde les questions qui sont posées. « Le directeur chargé des pharmacies au ministère de la Santé devrait être destitué. Il ne vous aide en rien. A voir ce qui se passe dans le secteur de la santé, on dirait qu’il y a des gens qui ne veulent pas que ce secteur soit développé », a-t-il insisté.
Le président de l’Assemblée nationale a regretté que la ministre Sylvie Nzeyimana n’ait pas pu donner des réponses à des questions qui avaient même été posées antérieurement. « Toutes les questions abordées avaient été posées quand l’Assemblée nationale avait adopté la loi sur les pharmacies », a-t-il commenté.
Précisons, que le ministre de la Santé, Dr Sylvie Nzeyimana a été démise de ses fonctions lors du récent remaniement du 2 octobre. Elle a été remplacée par Dr Lydwine Baradahana.
Quelle surprise?
Je lis: « mes enfants souffrent, je cours chez le pharmacien et il me donne tous les produits que je demande. Pourquoi payer une consultation alors que nous savons de quoi nous souffrons », raconte une maman de quatre enfants.
C’est la dérive totale. Depuis quand un patient se prescrit les médicaments?
En fait le problème est ailleurs. Comment avoir une consultation médicale quand on est pauvre? Et la solution est connue. Couverture Maladie ou Assurance Maladie à chaque citoyen. Et ce n’est pas pour demain. Et cette tâche revient à l’Etat.
attention aux idées fausses selon lesquelles les génériques ne seraient pas (ou moins) efficaces! Ce sont strictement les mêmes molécules. Croire qu’un médicament venu de France serait de meilleure qualité c’est ignorer que la France ne produit pratiquement plus aucun médicament aujourd’hui – le pays connaît d’ailleurs ces derniers temps de nombreuses ruptures de stock et pénuries!
en achetant par exemple de l’efferalgan à 15000 francs quand on peut prendre une plaquette de paracétamol pour 400 francs on ne fait que jeter son argent par les fenêtres (et contribuer au passage à la pénurie de devises )
bien plus importantes (comme le dit à juste titre l’article) sont les conditions de conservation et le respect de la date de péremption.