Le ministère de la Santé publique et de la lutte contre le Sida prend des mesures pour redresser un secteur pharmaceutique qui croule sous moult défis. Flambée des prix, automédication, vente des médicaments frauduleux ou périmés, patients et pharmaciens dénoncent une situation qui met en danger la santé de la population.
Le 23 juillet 2024, le ministère ayant la santé publique dans ses attributions a sorti une note portant suspension des nouvelles demandes d’autorisation d’ouverture au public des pharmacies, structures des soins et écoles paramédicales privées. « Seuls les dossiers dont les demandes ont été enregistrées au ministère de la Santé publique et de la lutte contre le sida avant la prise de cette décision bénéficieront du traitement conformément aux normes d’accréditation et au plan d’extension de la couverture sanitaire en vigueur au Burundi », peut-on lire dans la note.
Le ministère dit avoir amèrement remarqué qu’un grand nombre d’établissements de santé privés ne sont pas conformes à la réglementation en vigueur. Il déplore une implantation anarchique de ces dernières et beaucoup de structures frauduleuses en plus du non- respect des normes en vigueur.
« En conséquence, le plan d’extension de la couverture sanitaire n’est plus respecté. De plus, il est constaté des spéculations multiformes relatives à la vente et aux transferts des structures de soins et pharmacies dont les documents sont frauduleux ».
Des médicaments à un prix exorbitant
« Je ne sais pas où trouver l’argent pour acheter le médicament de mon enfant ? Les prix ont fortement augmenté », se lamente Jean Ndayizeye, un père de famille rencontré le mardi 6 août devant l’Hôpital militaire de Kamenge. Il affirme que la semaine d’avant, il avait acheté du bactox 2500 mg à 15 000 FBu. « Au mois de mars, je l’avais acheté à 8 000 FBu », précise-t-il désespéré.
Selon un propriétaire d’une pharmacie en zone urbaine de Musaga, le prix des médicaments a presque triplé dans les pharmacies de gros où les pharmacies de détail s’approvisionnaient. La raison donnée est le manque de devises. Ici, on n’ignore pas l’indisponibilité de certains médicaments. « Face à cette situation, certains gérants des pharmacies préfèrent des médicaments frauduleux qui par conséquent sont moins chers. Moi-même je viens de passer trois mois sans me procurer des médicaments faute de moyens », se désole-t-il.
Un autre gérant d’une pharmacie explique que toutes les sortes de médicaments proposées sont chères. Des gens préfèrent des médicaments de substitution. « Non seulement les médicaments sont très chers mais aussi l’approvisionnement se fait par favoritisme. Ce n’est pas n’importe qui qui est servi. Tout cela est un élément catalyseur de la spéculation autour des médicaments ».
Un responsable d’une pharmacie de gros confirme que les prix des médicaments pour enfants ont fortement augmenté. « C’est une réalité indéniable Les prix de tous les médicaments ont fortement augmenté à cause du manque de devises ».
« A cause de la flambée des prix d’autres produits, les pharmacies revoient à la hausse ceux du médicament pour couvrir les charges liées au fonctionnement. Elles augmentent aussi les prix pour garder leur bénéfice », explique un agent d’une pharmacie au centre-ville.
Un opérateur dans ce secteur explique que la question est complexe. Il évoque le retard dans le paiement des fournisseurs étrangers à cause du manque des devises. « Une facture d’importation peut passer trois mois sans être payée. Cela entraîne des retards dans la livraison », se lamente-t-il. Et d’ajouter que ce retard expose les importateurs aux pénalités de retard. « Ces dernières se répercutent sur les prix des médicaments et c’est le patient qui est la première victime. »
Pour d’autres observateurs, la flambée des prix ne serait pas très désastreuse si les services de contrôle de qualité des médicaments étaient vigilants. Ils s’inquiètent que des contrefaçons en provenance de la Chine et de certains pays arabes via la RDC et d’autres pays limitrophes, risquent d’inonder le marché. Avec le risque imminent, d’après eux, du développement du marché noir. « La spéculation est surtout due à la défaillance de la réglementation du secteur pharmaceutique et à la mauvaise application des textes en vigueur ».
Vente clandestine des médicaments
Les vendeurs des médicaments à la sauvette s’observent. A Bujumbura, on les retrouve surtout derrière l’ancien marché central. Des médicaments de plusieurs sortes y sont vendus. Cela va du simple paracétamol pour la fièvre à l’insuline pour les diabétiques.
Ils les portent dans des sacs à dos. Pour ne pas être appréhendés par la police, ils observent les mouvements des gens. Si la confiance s’installe, ils acceptent qu’ils soient des vendeurs. Par-là, ils montrent aux clients les médicaments dont ils disposent.
Selon les pharmaciens, il est strictement interdit de vendre les médicaments n’importe où. Les médicaments exigent des conditions de stockage, de température et d’aération. Ces vendeurs bravent le soleil et la pluie. La température influe sur la composition chimique des médicaments. « Mal conservé, le médicament peut devenir un poison, un danger de mort », préviennent-ils.
Automédication et médicaments périmés
D’autres personnes interrogées affirment se faire soigner avec des restes des médicaments non utilisés dans les ménages. Ils ne savent pas que cela constitue un problème lié à la santé publique. « Je conserve beaucoup de médicaments que je peux utiliser quand il le faut. On ne sait jamais Moi ou mon enfant pouvons tomber malades et nous allons nous en servir avant d’aller au centre de santé ».
Selon les pharmaciens rencontrés, les médicaments sont une source de dangers notamment l’automédication ou l’utilisation des médicaments périmés. Ce qui est très dangereux pour la population.
Une femme de la zone urbaine de Kamenge a pris un médicament périmé en 2023. Ce produit dont la date de péremption était le 25 juillet 2022 a été consommé le 20 mars 2023. « Je me suis sentie trop mal au ventre avec des brulures dans les intestins. On m’a transportée à l’hôpital dans un état critique. Après des examens, on a conclu que j’ai été intoxiquée par un médicament périmé ».
Quand cette pauvre femme est retournée chez la pharmacie où elle avait acheté le médicament, elle a été repoussée. Le gérant a réfuté toutes les allégations.
Il a exigé la facture pour reconnaître la responsabilité. Comme la femme n’avait pas exigé de facture, elle est retournée à la maison couverte de honte. « J’ai failli mourir mais c’est moi qui ai été accusée de comploter par la pharmacie », raconte-t-elle en larmes.
Le ministère de la Santé publique doit sévir
Selon un médecin, propriétaire de trois pharmacies en mairie de Bujumbura, le secteur pharmaceutique fait face à d’importants défis. Il explique que les médicaments sont vendus comme d’autres marchandises.
Il alerte que certaines pharmacies continuent de vendre des médicaments dont la date de péremption a été dépassée. Bien plus, des médicaments sont pour la plupart de fois mal conservés, explosés à l’humidité et à la chaleur.
Pour lui, cela présente un danger majeur pour la santé publique. « Selon les normes, les médicaments doivent être stockés à l’abri de la lumière, de l’humidité et d’éviter certaines conditions extrêmes. La pharmacie doit avoir des dimensions de 4m sur 4, un stock de 3m sur 3 et un bureau qui comprend 3m sur 2 », explique-t-il.
D’après lui, la date de péremption indiquée sur le médicament peut changer si les conditions de conservation de ne sont pas respectées. « Le médicament peut devenir invalide avant même la date de péremption indiquée sur le carton si les exigences de conservation du médicament ne sont pas respectées. Les médicaments mal conservés dans les pharmacies sont à remettre aux pharmaciens ».
Il explique que la destruction des médicaments périmés est financée à 100% par le responsable de la pharmacie. Les frais ne sont pas remboursés. C’est la raison pour laquelle certains opérateurs dans le secteur pharmaceutique préfèrent les vendre.
Il explique que certains produits périmés qui se trouvent dans les pharmacies de gros ne sont pas tous détruits. « Ils sont vendus clandestinement en RDC. Malheureusement, ils retournent au Burundi et sont vendus dans des pharmacies sur place. »
Auparavant, fait savoir ce médecin, le ministère de la Santé publique demandait aux propriétaires des pharmacies de faire la liste des médicaments périmés.
Il se pose également la question de la disponibilité et de la qualité des médicaments dans les rayons des pharmacies. Il fait savoir que la situation est catastrophique. Pour lui, les médicaments dits spécialités et ceux utilisés pour soigner les maladies chroniques manquent cruellement. On se contente des médicaments dits génériques.
Un secteur où il faut tout mettre en ordre
Serges Harindogo, président de l’Ordre national des pharmaciens au Burundi se dit satisfait de la mesure du ministère de la Santé et de la lutte contre le SIDA de suspendre les autorisations d’ouverture d’autres institutions sanitaires.« Nous avons constamment demandé que le médicament ne soit pas considéré comme toute autre marchandise. Il faut que la profession de pharmacien ne soit pas une profession ouverte à n’importe qui. Partout, à travers le monde, nul ne peut exercer la profession de pharmacien s’il n’est pas pharmacien ».
Il souligne qu’au Burundi, il y a plus de 6 000 pharmacies avec moins de 250 pharmaciens. Des milliers de pharmacies fonctionnent, dit-il, sans pharmacien. Ce qui met en danger la vie de la population.« Ces vendeurs sont là pour vendre, pas pour la santé publique. Ils ne savent rien sur la conservation, sur l’usage rationnel et sur les interactions médicamenteuses ».
Serges Harindogo plaide pour le respect de la loi régissant les pharmacies. « C’est un secteur qui a beaucoup de problèmes mais qui pourrait trouver des solutions. Aujourd’hui, nous constatons qu’il y a beaucoup de pharmacies sans pharmaciens, contrairement à ce que prévoit d’ailleurs la loi », a-t-il fait remarquer.
Le président de l’Ordre des pharmaciens explique la flambée des prix des médicaments par la dépréciation de la monnaie burundaise, la spéculation de certains importateurs et la fraude par des non-professionnels. Cette situation a des conséquences sur la santé de la population ». Il appelle les organes habiletés à agir.
Iwacu a essayé de contacter le ministère de la Santé publique pour plus de précisions mais en vain.
Merci pour la collecte de certains circonstances rencontrés dans secteur pharmaceutique.le secteur de réglementation doit prendre des mesures appropriées pour la mise ordre de ces speculations
mais veuillez informer vous sur le dosage de BACTOX (2500mg)??????
Toutes choses égales par ailleurs (conditions de conservation, date de péremption…) rappelons qu’il n’y a pas de différence notable entre génériques et « spécialités » à part le prix qui peut être jusqu’à 20 fois plus cher. Je suis toujours surpris de voir par exemple les médecins burundais prescrire du Doliprane® ou de l’Efferalgan® à 15000 francs la boîte alors qu’il s’agit de vulgaire paracétamol disponible à 600 francs la plaquette…
A noter qu’en France, pour faire des économies, la Sécurité Sociale refuse de rembourser les patients qui n’optent pas pour les génériques quand ceux ci sont disponibles.
un bon clin d’oeil.
Merci