Le retard dans le paiement des salaires est normalement puni par le Code du travail burundais. Mais le pouvoir de l’employeur et une loi presque muette laissent cette infraction récurrente souvent impunie.
<doc6678|left>« Nous avons l’habitude de dire que les salaires tombent le 45 du mois, puisqu’ils peuvent être virés sur les comptes le 10 ou même le 15 de l’autre mois », indique Emmanuel Mashandari, président du Conapes.
Il souligne que les conséquences sont multiples puisque ne pas payer ses dettes à temps donne une étiquette d’insolvable, avec un impact moral important : « Car, en plus de ce retard, ce salaire est souvent insuffisant et ne sert qu’à payer les dettes, vous maintenant ainsi dans un cycle infernal. »
Mais l’Etat est un monstre, poursuit-il, je n’ai jamais vu un seul cas où il est poursuivi à cause de ces retards : « Quand l’employeur tarde à verser les salaires, les effets sont négatifs, comme les intérêts de retard prélevés par la banque en cas de crédit », souligne à son tour Eulalie Nibizi, vice-présidente de la COSYBU, la Confédération des Syndicats du Burundi. Pour elle, ce retard de virement des salaires est un problème de gouvernance dû à la disponibilité budgétaire. Elle déplore le fait que le gouvernement ne soit jamais puni à cause de la gangrène administrative. Mais la loi n’est pas claire à ce sujet et elle condamne le manque d’engagement citoyen des fonctionnaires qui préfèrent subir au lieu de réagir.
Mais Céléstin Nsavyimana, de la Fédération des transports, du social et de l’informel, pense que se plaindre est une perte de temps et, quand bien même un tel procès serait gagné, il prendrait beaucoup de mois ou d’années pour que le jugement soit exécuté.
Une loi qui n’est pas claire …
« Dans les sociétés paraétatiques, comme la Mutuelle de la Fonction Publique, il n’y a pratiquement pas de retard grâce à leur autonomie de gestion financière et administrative. Nos salaires tombent souvent le 25 du mois », indique, Jean Ntungumburanye, vice-président du Syndicat des Travailleurs de la Mutuelle de Fonction Publique (STMFP). Il souligne, cependant, que ce n’est pas le cas des sociétés paraétatiques à administration personnalisée, comptant sur le budget de l’Etat, comme l’Isabu.
En tout état de cause, il est clair que le retard dans le paiement des salaires est une infraction. Selon Me Zacharie Gasabanya, avocat spécialiste en droit du travail, en cas de retard réitéré dans le paiement des salaires, c’est une faute professionnelle de l’employeur, comme le stipule l’article 58 du Code du travail. Il ajoute, néanmoins, que l’appréciation du préjudice est laissée à la juridiction compétente, en l’occurrence le tribunal du travail ou la Cour administrative.* « En effet, un retard d’une semaine n’est pas aussi préjudiciable que celui de deux mois. »
C’est également cette juridiction qui apprécie les conséquences de ce retard, comme par exemple les coupures d’électricité pour non paiement, le renvoi des enfants à cause du minerval, le paiement du loyer, …
<doc6677|left>Des employeurs souvent très puissants …
Dans la réalité, en cas de difficultés de trésorerie, il est possible pour un employeur d’expliquer la situation à ses employés et de demander leur collaboration et compréhension, acquérant ainsi le droit de verser les salaires hors des dates d’usage. Il est, cependant, implicitement inacceptable de laisser régulièrement s’écouler plus d’un mois entre le paiement de deux salaires.
Dans la fonction publique, le délai est de deux ans pour porter plainte, avant qu’il y ait prescription, mais cela n’empêche pas l’employé lésé de continuer à travailler. « Mais l’employé qui porterait plainte le ferait à ses risques et périls, car l’employeur fera tout pour se protéger », prévient Me Gasabanya.
Payer le salaire à la date contractuellement convenue est une obligation absolue de l’employeur, peu importe les difficultés financières qu’il ait connues. Ne pas le faire justifie la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié, aux torts de l’employeur. Ce dernier s’expose alors à de très lourdes sanctions (surtout si la trésorerie est déjà en difficulté) : « La régularisation du paiement du salaire (au mieux) avant l’audience de conciliation, une possible condamnation au règlement du préavis, de l’indemnité de licenciement et d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si le retard ou non-versement du salaire a entraîné, pour le salarié, un préjudice spécifique (incapacité à rembourser un crédit, frais bancaires…), l’employeur peut se voir dans l’obligation légale de lui verser des dommages et intérêts ». (Code du travail français).
|Décret-loi N°1/037 du 07/07/1993 portant révision du Code du travail du Burundi
– {Article 83 :} Les paiements mensuels doivent être effectués au plus tard huit jours après la fin du mois de travail qui donne droit au salaire.
– {Article 58 :} Peut être considérée comme une faute lourde le manquement grave à ses obligations contractuelles et prévues dans le règlement d’entreprise notamment dans les cas suivants : … du fait de l’employeur … en cas de retard réitéré dans le paiement du salaire dû au travailleur.
Toute contestation portant sur la nature ou la gravité de la faute est laissée à l’appréciation de la juridiction compétente.|