Vendredi 22 novembre 2024

Société

Le reportage sur terrain, un véritable calvaire

05/08/2019 Commentaires fermés sur Le reportage sur terrain, un véritable calvaire
Le reportage sur terrain, un véritable calvaire
La route en terre battue qui mène au chef-lieu de la commune Nyarusange est difficilement praticable.

Des responsables administratifs à la base qui refusent de parler aux journalistes, des menaces, des interrogatoires, des brimades,… la recherche de l’information sur terrain est chaque jour de plus en plus compliquée. Deux reporters d’Iwacu racontent leur dernière mésaventure à Nyarusange et Gasorwe.

Gitega, 8h 45. Parmi les témoignages recueillis la veille à Gasenyi, commune Nyarusange, nous avons appris que l’administration aurait imposé un couvre-feu à partir de 20h.

Un communiqué aurait été lu à l’église. A Gasenyi, sept personnes ont été déjà arrêtées. Tous membres du Congrès National pour la liberté (CNL) d’Agathon Rwasa. Ces gens sont accusés de violer le couvre-feu. Comme il se doit, il nous faut équilibrer l’information, avoir une réaction de l’administration.

De Gitega à Nyarusange, cela fait plusieurs kilomètres. Une route en latérite, accidentée par endroits. Nous hésitons. A un moment, nous pensons qu’il serait mieux de faire un coup de fil pour recueillir une réaction. Mais ces derniers temps, certains officiels exigent la présence physique. Nous sollicitons alors un rendez-vous. La réponse de l’administrateur est positive.

Revirement

Nous démarrons. Un trajet de trente minutes. Nous arrivons à Gitaka, à la jonction des quatre communes : Nyabihanga (Mwaro), Nyarusange (Gitega), Gitega et Kayokwe (Mwaro).

Une pancarte nous accueille : ’’Bienvenue en commune Nyarusange’’. Nous empruntons une autre route pleine de nids de poule. Presque 20 minutes après, nous sommes enfin au chef-lieu communal. Nous nous dirigeons vers le bureau du secrétaire. Nous nous présentons. Le secrétaire va nous annoncer à l’administrateur. Leurs bureaux sont parallèles.

Pour Ferdinand Nkurukiye, pas question de donner l’information à un média dont il ne maîtrise pas le mode de travail.

A son retour, nous sommes autorisés à rencontrer M. Nkurikiye. Dans son bureau, les salutations d’usage. Ce n’était pas notre première rencontre avec lui.

Avec courtoisie, il nous demande nos badges. Il vérifie. Ferdinand Nkurikiye se montre à la fois gentil, exigeant, bureaucrate. « C’est bon. Soyez les bienvenus».

Il prend quelques minutes pour signer quelques cartes nationales d’identité (CNI) devant lui. Entretemps, nous mettons en place notre matériel.
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Le temps file. Notre agenda est surchargé. Il faut faire vite. Nous allumons notre enregistreur, apprêtons l’appareil photo. D’un coup, l’administrateur nous arrête, et exige d’éteindre. Il change de ton. Etonnés, nous arrêtons tout.

Il parle avec quelqu’un au téléphone. Environ deux minutes. «Ce sont des journalistes du journal Iwacu. Mais, moi je ne connais pas ce journal. Je ne cannais pas ses publications et son mode de travail».

Rétention de l’information

Avec ces mots, nous nous disons que l’entrevue risque de ne pas avoir lieu. Nous tentons de plaider: «Le journal Iwacu est légal, il est reconnu par la loi. Et ce n’est pas pour la première fois qu’on visite votre commune. Nous avons même un correspondant à Gitega.» Il ne semble même pas nous écouter.

Indifférent, il reprend la signature des cartes nationales d’identité. Finalement, il nous dit : «Il faut avoir la permission du gouverneur pour que je puisse vous parler».

Devant ce refus, nous lui proposons de lui passer le contact du président du Conseil national de la Communication (CNC). En vain. Nous insistons, mais l’administrateur Nkurikiye campe sur sa position.

Nous sommes perdus. Nous passons un coup de fil à notre directeur des rédactions. Après quelques échanges avec M. Nkurikiye, notre Chef nous recommande de vider les lieux. Stupéfaits nous repartons vers Gitega, bredouilles.

Pourtant, dans son article 45, la nouvelle loi sur la presse, du 14 septembre 2018 est clair : «Le journaliste exerce son métier en toute indépendance et en toute responsabilité sur l’ensemble du territoire national du Burundi». Dans ce même article, il est stipulé que «…dans l’exercice de son métier, il a le libre accès aux sources d’information et peut enquêter et commenter librement sur les faits de la vie publique».

Et à Muyinga…

À Gasorwe, les journalistes d’Iwacu n’ont pas été facilités dans leur travail

Comme si le cas Nyarusange ne suffisait pas, les reporters d’Iwacu ne sont pas également les bienvenus en commune Gasorwe de la province Muyinga. Dans l’après-midi de lundi, nous prenons la direction vers Muyinga. Destination : colline Kizi en commune Gasorwe. Là, deux maisons des membres du parti au pouvoir ont été brûlées. Les CNL seraient pointés du doigt. Une enquête s’impose.

Autour de 17h30, nous avions un rendez-vous, avec Ramadhan Barutwanayo, représentant du CNL à la colline Kizi. Après l’entretien, vers 18 heures, nous prenons la route vers Kiremba.

Arrivé à la colline Kivubo, sur la petite bourgade dénommée ’’Kwikona’’, accompagné d’une vingtaine d’hommes, certains avec des lunettes fumées, un policier, non armé, nous intime l’ordre de nous arrêter. Nous sommes directement entourés. « Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? », lançons-nous à ce policier. « Rien », réplique-t-il, tout en demandant tous les documents au chauffeur.

Ce dernier s’exécute sans hésitation. Le policier récupère aussi nos badges et s’éloigne un peu de nous. Un autre policier, cette fois-ci armé d’un fusil kalachnikov, vient se joindre à lui. Des bousculades.

Avec leurs téléphones portables, des jeunes tentent de nous prendre en image. D’autres font semblant de téléphoner. Nous, on s’interroge : «Qu’est-ce qui va se passer ? Qu’avons-nous fait de mal ?»

Là, nous sommes obligés de descendre du véhicule. Nous tentons de nous expliquer, de récupérer nos badges. Mais le policier dit qu’il a reçu un ordre de nous arrêter. De qui ? Pourquoi ? Aucune réponse.

Mais quelques voix dans cette foule hostile s’élèvent timidement. « Ce sont des journalistes. Il faut les laisser partir.» D’autres, protestent, à haute voix, avec violence: « Pas question. Turabakorerako.» (Nous allons vous corriger. NDLR).

Impuissants, nous attendons dans l’angoisse que notre sort soit fixé. Nous décidons alors d’appeler Jean-Claude Barutwanayo, administrateur de la commune Gasorwe.

Nous le mettons en contact avec le policier. Cette fois-ci, ce dernier change de ton. «Ce sont des journalistes d’Iwacu. Ils ont tous les documents.» La foule se calme un peu.

A son tour, l’administrateur lui intime l’ordre de nous laisser partir et de nous remettre nos documents. Et de déclarer à l’un des reporters de notre équipe: « Si tu n’étais pas à bord de ce véhicule, on allait… »

Nyarusange : Cinq militants CNL sous les verrous

Sept personnes de la colline Gasenyi en commune Nyarusange de la province Gitega croupissent dans les cachots à Gitega depuis mercredi dernier.
«Elles ont été arrêtées par des policiers accompagnés par des Imbonerakure vers 20 heures», font savoir des sources concordantes. Elles ajoutent que cinq parmi elles ont des liens familiaux et rentraient d’une autre famille de la localité où elles prenaient un verre.

D’après elles, sur le coup, ces détenus ont été accusés d’avoir violé le couvre-feu. Ils passeront la nuit de mercredi au cachot communal avant d’être transférés au commissariat de police à Gitega.

Là, elles ont été entendues, samedi, sur l’accusation de tenir une réunion clandestine. Lundi, 15 juillet, elles ont été transférées à la prison centrale de Gitega.

Parmi ces détenus, cinq sont des militants du CNL. Un emprisonnement aux mobiles politiques selon un représentant de ce parti.

Contacté, dans la foulée de cette arrestation, Ferdinand Nkurikiye, administrateur communal avait reconnu l’emprisonnement des sept personnes. « J’ignore leur identité politique et les raisons derrière cette arrestation », avait-il confié. Quant au couvre-feu dans sa commune, il avait signalé qu’il n’en savait rien.


Parler aux journalistes d’Iwacu, une infraction ?

Accusée d’avoir parlé aux journalistes, l’une de nos sources, a été attaquée à son domicile, tabassée. Elle a été arrêtée dans l’avant-midi de mardi. Elle est actuellement emprisonnée au cachot de la commune Gasorwe. Récit

Rhamadan Barutwanayo, détenu à Gasorwe, et victime d’avoir accordé une interview aux journalistes d’Iwacu

Il s’appelle Ramadhan Barutwanayo, représentant du CNL à la colline Kizi. C’est un jeune homme, la trentaine, vivant avec un handicap. Il porte une prothèse, il boîte.

En cette soirée, rapportent les témoignages, après l’entrevue avec les journalistes, Ramadhan Barutwanayo rentre directement chez lui à moto. Mais avant d’arriver, il est arrêté par deux jeunes hommes de sa colline. Un certain Jafari, président des Imbonerakure à Kizi et un certain Rucobe, un jeune Imbonerakure de cette colline.

Ces deux Imbonerakure l’emmènent soudainement devant le chef de colline pour interrogatoire. Barutwanayo est interrogé sur l’interview accordée aux journalistes. Ceux qui l’ont arrêté l’accusent d’avoir accueilli des ‘‘perturbateurs de l’ordre public’’, qui ‘‘veulent semer une insécurité sur la colline Kizi’’. Après l’interrogatoire, le chef de colline libère le ’’prévenu’’.

Mais à quelques mètres de chez lui, il est de nouveau arrêté. Plusieurs Imbonerakure de Kizi, poursuivent les témoignages, se mettent à tabasser Ramadhan Barutwanayo, sans expliquer pourquoi. Nos sources parlent notamment de Stany Nayigugu, Gérard Nitunga un certain Nzambimana et un certain Karikurubu. «Nous avons pensé qu’en le relâchant, le chef de colline savait ce plan B»

Ces jeunes du ’’parti de l’aigle’’ profiteront de l’occasion pour lui dépouiller de son téléphone portable. «Il a également révélé qu’ils lui ont pris 27 mille francs». Il est enfin laissé, évanoui. Il reprendra connaissance plus tard.

«Vous avez rencontré un CNL qui est contre le pouvoir». Un crime ?

Dans la matinée de mardi, Ramadhan Barutwanayo va réclamer ce qu’il lui avait été dépouillé la veille. Mais, il ignorait que l’ordre de l’arrêter avait déjà été donné. C’est vers 9heures que des Imbonerakure, conduits par leur chef, l’ont arrêté et conduit au cachot de la commune Gasorwe.

Nos sources ignorent le traitement qui aurait été réservé à Barutwanayo avec cette arrestation. Sur téléphone, à chaud, Jean Claude Barutwanayo, administrateur communal de Gasorwe, a indiqué que ce militant du CNL est accusé d’avoir appelé des journalistes pendant la nuit.

Dans la foulé, François Mpitabavuma, un député élu dans la circonscription de Muyinga, natif de la commune Gasorwe, a téléphoné à l’un des reporters d’Iwacu. Des menaces à peine voilés.

Extrait de la conversation

Député : Allô
Journaliste : Allô
Député : Moi, c’est honorable Shirira. Et toi, tu me connais parce que tu es de Kaguhu.
Journaliste : Ah, l’autre de Gasorwe ?
Député : Toi, hier, tu es venu à Kizi pendant la nuit !
Journaliste : Non, pas pendant la nuit.
Député : Vous, vous êtes venus à la rencontre d’un militant du CNL au lieu de chercher les autorités reconnues par les organes du gouvernement.
Journaliste : J’y suis passé autour de 17h, et je suis allé à la rencontre de celui qui pouvait me donner l’information.
Député : Qui ? Est-ce que toi tu avais la permission de l’administrateur ?
Journaliste : Non, je n’avais pas la permission de l’administrateur. Mais j’avais mes documents de travail reconnus par le la loi.
Député : Est-ce que toi tu peux entrer à l’intérieur du pays sans passer par les administratifs à la base ?
Journaliste : Non honorable, avec nos documents, nous allons à la recherche de l’information partout où nous pouvons en trouver sur le territoire national.
Député : Est-ce qu’aviser les administratifs est une faute ?
Journaliste : Non, les administratifs, nous les cherchons quand nous avons à leur demander. Même aujourd’hui, j’avais sollicité une interview chez l’administrateur.
Député : Non, n’essaie pas de me tromper, c’est nous qui votons les lois. Tu devais passer par l’administration.
Journaliste : Non honorable, ce n’est pas ce que dit la loi.
Député : Alors, si on endommageait ta voiture, si on te faisait du mal, tu allais te plaindre à qui ? A ton institution ?
Journaliste : Non, ce serait de la pure criminalité. Ai-je commis une faute moi ?
Député (avec un ton plutôt dur) : Bien sûr, t’en a commis. Tu es allé à la rencontre d’un militant du CNL qui est contre le pouvoir, n’est-ce pas ?
Le journaliste l’interrompt : Ce qualificatif de ‘‘qui est contre le pouvoir’’, moi je l’ignore. En tant que journaliste, je n’ai pas de parti. Professionnellement, je dois faire parler tout le monde…
Le député François Mpitavumana raccrochera.

Par Edouard Nkurunziza et Rénovat Ndabashinze

CNC

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