Jeudi 21 novembre 2024

Économie

Le régulateur des prix face au mur des mastodontes

18/01/2022 6

Certaines entreprises de production décident de hausser les prix de leurs produits, mais se voient désavouer par le ministère en charge du Commerce. Le contournement de la loi est le moteur des spéculations et du jeu de ping-pong entre les parties prenantes.

L’entreprise Burundi Cement Company spécialisée dans la production du ciment au Burundi a décidé de revoir à la hausse les prix de ses produits en date du 3 janvier 2022. Le prix d’un sac de 50 kg du ciment 32.5R devrait passer de 24500 à 27500 BIF et celui du ciment 42.5R de 30000 à 33000.

Lettre de la ministre Marie-chantal NIJIMBERE portant suspension de la hausse des prix du ciment de l’entreprise BUCECO

Le ministère du Commerce a décidé de suspendre cette hausse des prix, le lendemain.
« La hausse brusque du prix d’un produit aussi sensible que le ciment est préjudiciable au consommateur local », peut-on lire dans la lettre de la ministre Marie-Chantal Nijimbere adressée au directeur général de l’entreprise Buceco. Il s’agit d’une décision prise unilatéralement, selon la lettre du ministère du Commerce.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle décision est prise par le ministère du Commerce à l’encontre des entreprises de production locale.

En janvier 2019, lorsque l’entreprise Brarudi avait pris une mesure de hausse des prix de certains produits, comme l’Amstel 65cl, l’Amstel Royale ainsi que l’Amstel Bock, le ministère du Commerce s’est insurgé contre cette hausse des prix.

Le gouvernement burundais étant un des actionnaires de l’entreprise, le ministre Jean-Marie Niyokindi avait parlé d’une décision prise sans concertation de tous les actionnaires.

Des conséquences sur le marché…

La hausse des prix de ces entreprises est souvent précédée par une pénurie de leurs produits sur le marché. Les vendeurs en profitent pour faire des spéculations.

Les mesures de hausse des prix suspendues par après par le ministère mènent à encore plus de spéculations sur le marché.
Cinq jours après la suspension de la hausse des prix du ciment Buceco, les spéculations avaient déjà commencé sur les différents points de vente du ciment en mairie de Bujumbura.

Certains des vendeurs expliquent ce phénomène par la pénurie de ce produit, tandis que d’autres optent pour la vente exclusive du ciment « Dangote », qui est importé et facile à se procurer selon des vendeurs.

Un entrepôt du ciment de la société Buceco.

J-M.N. est vendeur du ciment au quartier asiatique en mairie de Bujumbura. Il soutient que la suspension de ces hausses des prix par le ministère n’est pas effective : « Le fait qu’un produit comme le ciment se raréfie sur le marché cause déjà des spéculations sur les prix. Je pense que c’était juste une question de rendre la hausse du prix du ciment Buceco plus légal. Sinon, en pratique, le prix peut aller au-delà de celui que l’entreprise voulait fixer. » Et d’enfoncer le clou: « Que le ministère arrête ou pas cette décision, nous sommes sur le marché, nous connaissons des difficultés à nous approvisionner. Cela ne va aider en rien en ce qui est des spéculations autour de certains produits, dont le ciment. »
Selon ce vendeur de ciment, le ministère devrait veiller au respect des prix et non pas dicter des mesures qui ne vont jamais être mises en application sur le marché.

L’association des consommateurs du Burundi (Abuco) dénonce cette spéculation et appelle les vendeurs au respect des prix fixés par le gouvernement.

Quid de la procédure à suivre?

Venant Ngendabanka, le directeur général du Commerce, fustige ces entreprises qui font fi de la loi : « Les entreprises n’ont pas le droit de hausser les prix sans avoir concerté le ministère. La procédure veut que les entreprises écrivent une lettre au ministère expliquant les raisons pour lesquelles ils devraient hausser les prix. Après une étude de la requête et un dialogue entre les deux camps, le ministère donne ou pas l’autorisation. »

Gabriel Rufyiri de l’Olucome estime que ces décisions sont prises unilatéralement à cause du monopole résidant dans ces entreprises : « Ces sociétés ont le monopole sur le marché et leurs produits sont commercialisés par des cadres de l’Etat. Ainsi, ils se permettent de monter les prix sans se soucier du bien-être de la population. Ils se soucient plutôt de leurs intérêts. »

Kelvin Ndihokubwayo, expert économiste et professeur d’université quant à lui, estime que ces entreprises n’ont des comptes à rendre au ministère qu’à cause des contrats d’exonération qu’ils signent avec le gouvernement. « Ce processus ne concerne pas les entreprises libérales, la plupart de ces entreprises burundaises sont exonérés pour pouvoir produire au prix le plus bas.
Dans ce cas, ils ne peuvent pas augmenter les prix sans avoir concerté le gouvernement qui leur a donné cette exonération. »


Réactions

Gabriel Rufyiri : « Il faut mettre fin au monopole de ces sociétés. »

Selon Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de la Lutte contre la Corruption et les Malversations Economiques(Olucome), ce n’est pas le ministère du Commerce qui devrait à lui seul réguler les prix en cas de monopole, mais plutôt le gouvernement.

« Toutes ces spéculations sont dues aux monopoles de certaines sociétés et il doit y avoir un mécanisme de fixation des prix autre que celui existant », explique-t-il.

Le président de l’Olucome fait remarquer que ce processus n’est pas facile vu que certains membres de l’appareil gouvernemental ont des intérêts dans ces entreprises : « Ce sont des membres du gouvernement qui commercialisent les produits tels que le ciment, le sucre et les produits de la Brarudi. Il devrait y avoir du respect de la loi en matière du régime des incompatibilités. Il faut que ceux qui sont dans les institutions publiques ne tiennent pas des commerces et moins encore des commerces des produits, comme le ciment et autres. Cela crée une cacophonie, du clientélisme et du trafic d’influence, ce qui ne fait qu’enfoncer la population dans la misère. » M.Rufyiri estime, par conséquent, qu’il devrait y avoir une loi régissant le système des incompatibilités.
Pour ce membre de la société civile, il faudrait créer un environnement favorable des affaires pour résoudre les problèmes de pénurie de certains produits sur le marché.

Noël Nkurunziza : « Ces entreprises vont à l’encontre de la loi. »

Noël Nkurunziza, secrétaire général de l’association des consommateurs du Burundi (Abuco), appelle le ministère du commerce à les associer dans ce processus de fixation des prix de certains produits sur le marché.
« Ces entreprises vont à l’encontre des procédures légales et cette situation va toujours au détriment des consommateurs. Ils devraient avoir l’aval du ministère du Commerce. C’est d’ailleurs dommage que les représentants des consommateurs ne soient pas associés à ce processus qui les concerne au premier chef».

Vénant Ngendabanka : « Ils veulent gagner plus en contournant la loi. »

« Ils connaissent la procédure et la loi, mais ils veulent gagner plus en contournant la loi. Le ministère est là en tant que régulateur pour les rappeler à l’ordre et en cas du non-respect de la loi, des sanctions sont prévues. Nous mettons en avant le dialogue pour l’intérêt des consommateurs. C’est pour cela qu’avant d’en arriver aux punitions, nous les convoquons ici au ministère pour essayer de trouver un consensus», tient à souligner Vénant Ngendabanka, le directeur général du Commerce.

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Stan Siyomana

    Voici les conséquences de la politique du prix fixe en Union Soviétique.
    « En URSS, l’État décidait de la quantité de chaque chose à produire (combien de voitures, de paires de chaussures ou de miches de pain).
    Il décidait également de la quantité de ces produits dont chaque citoyen avait besoin, de leur coût et de leur rémunération.
    La théorie voulait que ce système soit efficace et équitable, mais en réalité, il avait du mal à fonctionner.

    L’offre est toujours en retard sur la demande et l’argent est souvent dénué de sens.

    De nombreux habitants de l’Union soviétique n’étaient pas vraiment pauvres, mais ils ne pouvaient tout simplement pas se procurer les produits de base, car il n’y en avait jamais assez.
    Pour acheter une voiture, il fallait s’inscrire sur une liste d’attente pendant des années. Pour acheter un manteau ou une paire de bottes d’hiver, vous deviez souvent faire la queue pendant des heures, pour découvrir que votre taille était déjà épuisée… »
    https://www.bbc.com/afrique/monde-59769462

  2. Stan Siyomana

    D’après les données de la Banque Mondiale:
    « L’inflation restera élevée avoisinant 7% en 2021 contre 7,5 % en 2020, tirée par la hausse des prix des produits alimentaires et la monétisation du déficit budgétaire… »
    https://www.banquemondiale.org/fr/country/burundi/overview#1
    Les économistes ont des théories sur la façon de combattre l’inflation.

  3. Stan Siyomana

    Mon expérience à Moscou dans les années 1970 est que tout ce qu’on achetait avait toujours le mot « tsena » (= prix) imprimé sur l’emballage même de la marchandise.
    L’une des difficultés de ma vie que je n’oublierais jamais: dès les premiers jours, au début de l’apprentissage de la langue russe, il fallait savoir se débrouller. On pouvait se rendre au magasin et lire l’écriteau qui disait qu’un kilo de viande coûte autant et tendre/payer son argent sans rien dire.
    L’Etat soviétique s’occupait de la production à l’usine et de la distribution aux points de vente et de la détermination du prix.
    Comme le Burundi essaie tant bien que mal de libéraliser son économie, que les prix soient déterminés en fonction de l’offre et la demande.
    L’Etat burundais ne devrait intervenir/protéger le consommateur burundais lambda que quand il s’agit de certains produits et services stratégiques.

    • Stan Siyomana

      « …almost all shops belonged to the state in late USSR, as well as all factories. Thus, the state defined all the prices in that years and yes, the prices were expected to be the same everywhere…
      Here is a pack of pasta from late USSR:
      (la photo n’est pas reproduite dans ce commentaire)
      Here, the bottom line specifies the price. It’s 37 Soviet kopecks, and that’s what buyers paid in any shop for it.
      Any time in my childhood I knew that whichever shop I go, butter would cost 3.40 rubles per kg, a bottle of lemonade would be 30 kopecks (20 of them was a returnable price of glass bottle) and big rye bread would be 16 kopecks, no matter which factory produced them. However such strict prices were only set to many ‘primary needs’ goods… »
      https://www.quora.com/Did-everything-cost-the-same-in-the-USSR

  4. Stan Siyomana

    Par exemple en Egypte, le prix du pain est resté stable depuis des décennies grâce aux subventions massives de l’Etat.
    « Le temps est venu d’augmenter le prix de la miche de pain», a déclaré le président lors d’une conférence télévisée. La miche de pain, pesant 90 grammes, coûte actuellement cinq piastres (2 centimes d’euros). Le président n’a pas précisé quel serait le nouveau prix. «Ce n’est pas réaliste de vendre 20 miches pour le même prix qu’une cigarette (…) cela doit cesser», a-t-il ajouté…
    Les subventions sur le pain coûtent à elles seules, dans le budget en cours, plus de 50 milliards de livres égyptiennes (2,6 milliards d’euros), selon les chiffres officiels. Environ un tiers des Égyptiens vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 1,70 euro par jour… »
    https://www.lefigaro.fr/flash-eco/egypte-sissi-annonce-une-hausse-du-prix-du-pain-subventionne-20210803

  5. Stan Siyomana

    Je suis d’accord que « la plupart de ces entreprises burundaises sont exonérés pour pouvoir produire au prix le plus bas… »
    Mais ceci ne veut pas du tout dire que c’est l’Etat qui va déterminer le prix de vente.
    L’Etat ne devrait intervenir dans la fixation des prix que quand il s’agit de produits et services vraiment stratégiques dans la société burundaise.
    Par exemple, dans le combat contre la pandémie de COVID-19 et pour que le prix du savon de toilette soit à la portée du citoyen burundais lambda, l’Etat burundais a dû dépenses des millions de francs en forme de subsides.
    « Le projet doit être nouveau ou un projet de réhabilitation, d’extension ou encore de modernisation d’un projet existant et doit porter sur les secteurs prioritaires.»
    De surcroît, Mme Batungwanayo confie que le capital minimum est de 500 mille dollars américains pour les investisseurs étrangers et l’équivalent en francs burundais pour les nationaux, en mairie de Bujumbura. Et la moitié de ce capital dans d’autres localités… »
    https://www.iwacu-burundi.org/un-code-des-investissements-decrie/

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