Depuis 2006, le Burundi a mis en place des instruments de lutte contre la corruption. Des experts, des autorités et la société civile soulignent que la loi anti-corruption est lacunaire, surtout qu’il y a des autorités qu’elle ne frappe pas. Pourtant, au niveau économique, ils reconnaissent qu’il y a un léger mieux, car il y a des entrées dans les caisses de l’Etat.
<doc2706|right>« Nous avons, jusqu’à fin décembre 2011, traité plus de 655 dossiers de corruption et évité à l’Etat un préjudice de 24 milliards Fbu », annonce Léonidas Habonimana, commissaire général de la Brigade spéciale anti-corruption, créée en avril 2006 et fonctionnelle depuis juin 2007. Il indique qu’ils ont déjà recouvré plus de 6,5 milliards Fbu. Et surtout, « nous avons sensibilisé beaucoup de gens à travers toutes les provinces : religieux, étudiants, agents publics, commerçants, etc. sur les méfaits de la corruption. »
Aujourd’hui, dit-il, les gens n’ont plus peur de dénoncer les corrupteurs et corrompus. Il précise que le classement du Burundi parmi les pays les plus corrompus par l’ONG allemande Transparency International (1er pays le plus corrompu de la communauté Est Africaine et 8ème sur 173 pays au monde) ne reflète pas la réalité : « Par exemple, ce qui est paradoxal, à travers leurs chiffres, par rapport à 2010, les taux ont diminué, mais c’est en 2011 que nous sommes en arrière que l’année passée. »
Deux grandes orientations
« Si nous voulons gagner la bataille de la lutte contre la corruption, nous devons investir dans la sensibilisation de la population, surtout la jeunesse », conseille Léonidas Habonimana. Car, selon lui, « si nous n’éduquons pas la jeunesse, nous ne prévoyons pas l’avenir. »
Le deuxième axe est celui de l’amendement de la loi anti-corruption : « Nous allons inviter, au cours du 1er trimestre 2012, un séminaire international qui va traiter de l’enrichissement illicite, des privilèges de juridiction et immunités, des déclarations des avoirs et du blanchiment d’argent. » Dans ce séminaire, seront invités beaucoup de pays qui ont une certaine expérience en la matière, notamment la Zambie qui a déjà jugé deux anciens chefs d’Etat et la Tanzanie qui a condamné des députés et ministres en fonction, pour corruption.
A la Cour anti-corruption, jusque fin décembre 2011, il y avait 825 affaires pendantes dont le montant en jeu est de plus ou moins 813 millions Fbu. D’après Cassien Sindaye, vice-président de la Cour anti-corruption, de 2007 à fin novembre 2011, le préjudice évité à l’Etat gravite autour de 20 milliards Fbu, avec près de 650 dossiers au parquet général de la Cour anti-corruption. Au total, à la fin novembre 2011, il y avait 1261 dossiers, les uns fixés à la cour anti-corruption, à la Cour suprême ou à la cour d’appel, les autres clôturés, avec un montant déjà recouvré d’un milliard Fbu.
<img2705|left>« Un impact économique positif malgré les lois lacunaires »
« 59 rapports définitifs et 13 provisoires dont le montant en jeu est de 5.816.174.564 Fbu » ont été traités par l’Inspection générale de l’Etat (IGE), selon Papien Ruhotora, porte-parole du ministère à la Présidence chargé de la Bonne gouvernance, de la privatisation, de l’Inspection générale de l’Etat et de l’Administration locale. Il estime que l’handicap majeur dans la lutte efficace contre la corruption est la lacune des lois. D’après lui, il y a des autorités qui jouissent du privilège de juridiction et la cour anti-corruption n’est pas compétente pour les juger. Au sein de son ministère, l’on vient de proposer la « Stratégie nationale de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption 2011- 2015 » où il est préconisé que tout corrupteur et corrompu soit jugé uniquement par la Cour anti-corruption.
Mais le blanchiment d’argent et l’enrichissement illicite ne sont pas non plus clairs dans la loi anti-corruption : « Est poursuivi pour enrichissement illicite celui dont le jugement a été prononcé. » Or, selon Papien Ruhotora, l’article est flou et incomplet de sorte qu’il est impossible de s’y baser pour rendre un jugement.
Concernant la déclaration des biens pour les mandataires politiques, explique M. Ruhotora, la loi anti-corruption n’oblige pas les déclarants à en justifier l’authenticité. En outre, il ne précise comment on va les montrer après les avoir justifiés.
M. Ruhotora reconnait, par contre, qu’il y a eu un impact économique positif après la mise en place des structures de lutte contre la corruption et les infractions connexes : « Les fraudes douanières et fiscales, les fonctionnaires fictifs ont diminué. C’est pourquoi, on observe beaucoup d’entrées des recettes dans les caisses de l’Etat ces dernières années. »
Propositions d’amendement
Faustin Ndikumana de Parole et Action pour le Réveil de la Conscience et l’Evolution des Mentalités (PARCEM) demande la centralisation de déclarations des avoirs par la Cour anti-corruption et la réduction de sa périodicité à un an au lieu de 5ans. De même, selon lui, il faut également des sanctions pour les mandataires politiques qui ne déclarent pas leurs biens, ainsi que ceux qui font des déclarations fictives, comptant s’enrichir illicitement au cours de leurs mandats. Aussi, Parcem propose-t-elle la suppression complète de tous les privilèges de juridiction pour que la poursuite des corrupteurs et corrompus ne soit pas exclusive ainsi que la création d’une chambre d’appel au sein de la Cour Anti-corruption pour que les appels contre les arrêts rendus au premier degré ne soient plus acheminés devant la Cour suprême ou la Chambre de cassation.
Parcem insiste sur la protection des dénonciateurs des corrupteurs et corrompus. « Souvent, certains éléments au sein de l’administration prennent des mesures sévères à l’endroit de leurs subalternes qui tenteraient de dénoncer leurs actes de corruption », explique Faustin Ndikumana. Il souhaite que les rapports de l’Inspection générale de l’Etat (IGE) soient rendus publics, et que cette institution soit indépendante, donc ne dépende plus de l’exécutif.
<doc2707|right>Qu’en est-il chez le voisin du Nord ?
D’après l’ancien expert international du projet Burundi Policy Reforms de l’USAID en 2008, Eugène Ntaganda, le Rwanda, son pays natal, a mis en place la loi sur la lutte contre la corruption et les infractions connexes dès 2003. Il a aussi mis en place la loi instituant l’Ombudsman dont l’une des missions est la lutte contre la corruption et l’injustice. En 2004, selon cet expert rwandais, on a fait des réformes au niveau de la justice avec comme priorités, la répression des crimes dont la corruption, et les mécanismes de renforcement des capacités des magistrats : « On a aussi amélioré les conditions salariales des magistrats pour qu’ils ne cèdent pas aux sollicitations des corrupteurs. »
L’Office de l’Auditeur (équivalent de l’Inspection générale de l’Etat au Burundi) fait rapport au chef de l’Etat et à l’Assemblée nationale : « Les personnes accusées sont invitées à se défendre devant la chambre basse du parlement avant d’être déférées devant la justice. »
Eugène Ntaganda précise que toutes ces réformes se sont accompagnées par une volonté politique manifeste. Il évoque des sanctions à l’endroit des autorités accusées de corruption, de 2007 à nos jours. Contrairement au Burundi, selon cet expert, le Rawanda s’attaque plus à la grande corruption (détournement des biens et deniers publics) qu’à la petite.
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