Iwacu a entamé une série de portraits de Burundais qui ont vécu en acteurs, témoins ou simples citoyens des moments forts de notre histoire. Cette semaine témoignage de l’abbé Marc Barengayabo, le père de l’hymne national.
Quand vous rencontrez l’abbé Marc Barengayabo, vaut mieux connaître le vocabulaire en rapport avec la musique. A la moindre approximation, il sort de ses gonds : « On confond tout ici, piano, orgue ou harmonium. C’est différent ! » Le ton est donné. Dans son antre, un bureau dans les enceintes du Grand séminaire de Bujumbura, le vieil abbé vit entouré de nombreux livres et des notes de musique, Bach côtoie Mozart… Un piano et un harmonium sans âge résistent au temps. Des livres aussi sur le droit. L’abbé est juriste de formation. Longtemps, il a été professeur de droit à l’université du Burundi. Sur un livre, il signe Marc Barengayabo, Docteur « in Utroque Iure ». J’ouvre grand mes yeux. Avec humour, il explique : « ça veut dire que je suis docteur en droit civil et en droit ecclésiastique, dans l’un et l’autre ». Et des ouvrages juridiques signés de sa main jonchent sa table de travail: « Droit coutumier du Burundi », « La dot matrimoniale du Burundi, etc. » Musicologue reconnu, il a publié « Umurya w’uburundi », un répertoire de chants burundais dont il ne reste peut-être que cet exemplaire froissé qu’il garde jalousement comme une relique. « Il faudrait une réédition », souffle-t-il. Il regrette que certains sont allergiques à ces chants parce qu’ils évoquent parfois la royauté : « On ne chante pas pour ressusciter la royauté, on devrait garder à l’esprit qu’elle a existé » L’homme est un véritable puits de science. Classique, mais pas réfractaire à la modernité. Il est même très branché. Ainsi, Une tablette tactile dans la main, il montre en connaisseur toutes les applications de ce gadget électronique. Abbé Marc Barengayabo raconte avec un peu de nostalgie comment il est devenu « le père » de Burundi Bwacu, notre hymne national. Nous sommes en 1961. Il était alors très jeune, au séminaire de Burasira. Son talent pour la musique avait été détecté dès le petit séminaire de Mugera. Pour l’ordination de Mgr Makarakiza, le jeune séminariste avait composé un chant, « Mirire ». Ce chant, exécuté en public a transporté littéralement l’assistance. C’est alors qu’une délégation gouvernementale conduite par le premier ministre Muhirwa est allée trouver les responsables du séminaire de Burasira pour leur demander de confier la composition de l’hymne national au séminariste auteur du chant « Mirire » qui avait tant épaté le public. Le jeune Barengayabo a pris peur. Il ne comprenait pas. Mais rassuré par ses supérieurs, le séminariste a pris une retraite au séminaire de Mureke durant une semaine pour se consacrer à la composition musicale. « Je dois dire que j’avais un bon texte, bien écrit par des hommes profonds, qui maîtrisaient la langue kirundi, des poètes. Je pense notamment à Jean Baptiste Ntahokaja, Joseph Rugomana, Karabagega, je me suis laissé transporter par ces mots et j’ai crée les notes ». Sur le texte de notre hymne, il devient intarissable : « Chaque mot, chaque strophe est toute une histoire. Un sens caché. Presque intraduisible dans une autre langue.» Ainsi, pour l’abbé Barengayabo, « Burundi Buhire » ne signifie pas seulement la prospérité. Mais le partage de la prospérité. « Umuhire : c’est celui qui a mais qui donne ». Et de disséquer cette belle strophe « Sagwa n’urweze » : « Là, on a l’idée du bonheur parfait, soyez entouré de bonheur, pénétré.» L’hymne composé, la chorale du grand séminaire de Burasira a été choisie pour l’exécuter le jour de l’indépendance. La chorale a d’abord joué devant le parlement, au « Palais des Arts », précise l’Abbé Barengayabo. Il fallait que l’hymne soit validé par les députés. Succès total. Mais voilà, le jour de l’indépendance venu, patatras : la chorale, bien parée, ne va pas chanter. Le souvenir est amer : « Nous étions là, fiers, prêts, mais à notre place, on a fait jouer un hymne enregistré sur une cassette ! J’en garde, à ce jour, une terrible frustration. » Pour lui, rien ne remplace une chorale. Interrogé, le musicien ne sait pas qui a pris cette décision.
Ici on confond chanteur et musicien
L’Abbé Marc Barengayabo est très exigeant. Pour lui, un musicien est une personne à qui l’on peut donner des notes et qui se met à jouer. « La musique est un art. Avec des règles. Donnez-moi n’importe quelle note d’une musique et je vais vous la jouer. Je n’ai pas à l’apprendre par cœur. » Que pense-t-il de la musique au Burundi. Très peu de chanteurs trouvent grâce à ses yeux. Pour lui, la musique est un art très exigeant, il faut apprendre le solfège, l’accompagnement, l’harmonisation, etc. L’abbé est même très critique : « Ici il y a trop de boom boom.» Et le verdict est sans appel : « Au Burundi on confond chanteur et musicien, il faudrait une véritable école de musique. » Il rend quand même hommage à quelques noms : Protais Ruhaya, Mageregere, Jean Baptiste Ntahokaja, Mgr Kaburungu, ce dernier d’après-lui est un véritable « virtuose ». Avec la fête du cinquantenaire qui se profile, le père de l’hymne nationale aimerait que ce jour-là une véritable chorale joue. Il a même une idée : « Je vois par exemple la chorale Lumen Cantorum de l’abbé Ruragaragaza et la fanfare du camp de Ngagara jouer ensemble. » Seriez-vous prêt à prendre la direction de cette chorale pour le cinquantenaire de l’indépendance du Burundi ? « Je suis prêt » déclare le père de l’hymne national. Au niveau de la présidence, une commission ad hoc a été créée pour préparer les festivités. Espérons que le 1er juillet l’hymne national ne sera pas joué par une cassette. A 78 ans, l’abbé Marc Barengayabo est disponible.