Daniel Ntiranyibagira est le seul aveugle burundais qui a poussé les portes de l’université. A la rencontre de cet étudiant persévérant qui a dû batailler pour en arriver là.
A 46 ans, Daniel n’a pas le moindre complexe de se retrouver dans l’auditoire avec des jeunes qui ont à peine la moitié de son âge. Aveugle, il vient de commencer sa première année à l’Université Espoir d’Afrique (Hope) en service sociale et développement communautaire.
Une cinquantaine d’étudiants sont en plein cours dans un amphithéâtre qui se trouve au 3e étage. Mercredi 16 octobre, il est midi. Visage caché derrière l’écran de son laptop, ses yeux derrière des lunettes noires, écouteurs dans les oreilles… Daniel, mince, aux légers cheveux blancs, est très concentré sur sa machine au moment où le professeur parle. Les autres étudiants ont leurs yeux rivés sur la jeune enseignante. Quand il veut se déplacer, un étudiant volontaire doit lui prendre la main et le guider.
Naguère rejeté par sa famille, la communauté et le monde scolaire, Daniel Ntiranyibagira confie avoir mené un dur combat pour terminer ses études secondaires.
Il devient aveugle à l’âge de 5 ans. Dès lors, sa vie devient un cauchemar. « J’ai passé toute une année enfermé dans la maison. Mes parents ne voulaient pas que je sorte. Je suis devenu la honte de la famille». Même pas question qu’il aille à l’école. Mais Daniel ne cèdera pas.
Un beau matin, il se présente par hasard dans une école, guidé par des amis qui lui sont restés fidèles, à l’insu de ses parents. Mais l’école le rejette. Il n’abandonnera pas jusqu’à supplier de suivre les cours, dehors, à partir d’une fenêtre.
Un jour, ce seul enfant aveugle du village qui jouait à l’ « Inanga », héritage de son père, séduit un administrateur qui visitait sa commune natale, Matongo, lors des festivités pour son accueil. L’unique cadeau qu’il demande à l’administrateur est l’accès à l’école. C’est le début d’une « heureuse aventure ». Grâce à cet administratif, Daniel commence sa première année scolaire en bonne et due forme, à Gihanga, dans une école pour aveugles. Il a 10 ans.
Un ordinateur à la place des yeux
Après l’école primaire, Daniel suspend ses études pendant plusieurs années, faute d’obtenir une inscription dans une école secondaire.
Il obtient finalement une place dans une école privée de la commune Kabezi, Bujumbura rural, dans la section juridique. Il a 36 ans !
Il termine le secondaire sans échouer une seule année, d’après son témoignage. Il réussit même à l’Examen d’Etat qui lui ouvre les portes aux études supérieures.
Daniel évoque l’accès difficile aux notes de cours comme grand défi, durant son parcours scolaire. « Il me fallait des notes par voie électronique pour que je puisse les lire à l’aide de ma machine». Ou il devait les convertir en braille (système d’écriture permettant aux aveugles de lire par les doigts), ce qui lui prenait beaucoup de temps.
Son ordinateur portable a remplacé ses yeux grâce à un programme vocal qui lit ses notes. Le seul outil de travail dont il dispose jusqu’ici.
La machine est très fatigante, d’après lui. Les notes en braille lui faciliteraient la tâche. Une technique qui n’est pas disponible dans la plupart des établissements scolaires. Daniel se dit très limité dans les recherches. Il n’a recours qu’à l’internet.
Cet époux et père est aussi enseignant dans une école pour aveugles. Un job qui lui permet de subvenir à ses besoins et ceux de sa petite famille qui habite à Kayanza.