Depuis le 4 mars 2013, la capitale s’est lancée dans une guerre à la pollution sonore. Désormais, les salles non-insonorisées doivent être fermées immédiatement. De même, les karaokés sont interdits au-delà de 20 heures.
<img7659|left>Depuis un certain temps, les week-ends à Bujumbura rappelaient furieusement les « fêtes foraines » de quelques villages occidentaux. Karaokés, spectacles de danses… Et ce jusque dans les quartiers résidentiels.
Les décibels étaient lâchés, à défaut d’être contrôlés, les oreilles des spectateurs étaient assourdies et les riverains désespéraient de trouver le sommeil : « Il suffit que ton voisin rêve d’une activité commerciale, et le lendemain, il ouvre un cabaret ou dancing, dans sa parcelle » raconte en exemple un habitant visiblement dépité de Nyakabiga.
Et en effet, nombre de ces cabarets sont implantés dans les quartiers, et les entrées sont à hauteur du nombre de décibels. Plus il y a de « bruit » (karaoké), plus les clients accourent. Même scénario au terrain Tempête où l’illustre Steven Sogo emballe les cœurs et les corps des fans qui viennent nombreux tous les samedis. À l’avenue du large, difficile de se frayer un chemin, parmi les voitures, qui se garent le long de la route, voire… sur la route même ! Impossible de dormir pour le voisinage.
Suite aux nombreuses réclamations de la population relatives aux tapages nocturnes, le Maire de la ville de Bujumbura, Saïdi Juma, a pris une décision : « Quiconque voudra organiser de telles activités doit préalablement demander une autorisation à la mairie de Bujumbura et se conformer aux exigences techniques en la matière, notamment l’insonorisation des salles de dancing »
En conséquence, toutes les salles de dancing non insonorisées doivent être fermées immédiatement. Et le maire n’en reste pas là : « le karaoké est interdit au-delà de 20h »
Une décision qui n’est pas au goût des musiciens
Pour Memba, Président de l’association des musiciens du Burundi, cette décision va à l’encontre des droits des musiciens. Que l’on fasse une distinction entre les boîtes de nuits et les musiciens : « D’abord, le mot karaoké n’est pas le mieux indiqué pour ce que nous faisons, il est synonyme de boucan. Or, nous, nous faisons ce qu’on appelle la Music live » explique Memba. « Désormais, ajoute-t-il, l’on ne parlera plus de karaoké mais de piano-bar ».
Techniquement, cela veut dire que les musiciens, chanteront dans un « volume standard », non assourdissant, dans une ambiance conviviale, où les gens viendront pour admirer et écouter les musiciens, précise Memba. Mais cela, reste à prouver, c’est du moins ce que compte proposer l’Association des Musiciens du Burundi, dans la lettre qui sera adressée au Maire de la ville.
<doc7658|left>Toute une chaîne désorganisée
Il n’y a pas que les chanteurs qui pleurent. Les bars sont les premiers touchés. « Notre principale clientèle était composée d’amateurs de karaoké, maintenant avec cette loi, nous n’avons même plus la moitié des clients », raconte un serveur du bar dit « Terrain Tempête. » Le manque à gagner est donc énorme. Même son de cloche chez les chanteurs. « Nous gagnions notre vie grâce à ces karaokés, 35.000 Fbu par prestation, ce n’est pas rien. Comment allons-nous faire maintenant ? Que l’on nous laisse chanter jusqu’à 23h au moins » demande Yoya, un chanteur. Quant aux amateurs, c’est le désarroi : « Le vendredi soir, après le boulot, ma famille et moi, venions nous relaxer, et écouter les anciens succès musicaux ».
En effet, beaucoup, regrettent les karaokés, car selon eux, c’est l’occasion de se retrouver entre amis ou en famille, autour d’un verre. Un autre moyen en somme, de divertissement, pour ceux qui ne fréquentent pas les boîtes de nuit.
Il faut dire que la nouvelle loi ne fait pas dans le détail, les samedis et dimanches étant mis sous la même coupe que les jours de semaine en matière de règlementation. Pourquoi, en effet, ne pas laisser les « karaokés » et autres festivités se dérouler « normalement » jusqu’à une certaine heure ?
Si le silence en ravira plus d’un, notons que les dommages collatéraux pourraient s’avérer terribles pour une ville dont le chômage atteint des sommets !
Vers une solution intermédiaire
Selon Denis Nishirimbere, directeur du département des Arts, des Spectacles et des Loisirs, au ministère en charge de la Culture, « le tapage nocturne est un problème à prendre au sérieux ». Le fait est que la plupart de ces karaokés se font dans des endroits qui ne sont pas appropriés. De plus, aucune autorisation préalable n’a été donnée. Mais il comprend que la décision d’interdire ces activités va à l’encontre même de leur mission, qui est de promouvoir les arts. Ainsi, pour pallier cela, une réunion est prévue au cours de la semaine, entre la mairie, la sécurité publique, le ministère de la culture, de la jeunesse et des sports et les représentants des artistes, afin de dégager un consensus. « Nous allons décider conjointement de ce qu’il faut faire », rassure Denis Nishirimbere. Mais pour le moment, la solution intermédiaire, nous dit-il, est de diminuer le volume de la sonorisation d’au moins 20%, afin d’épargner les voisinages de ces cabarets.
Reste qu’au-delà du manque de nuances concernant cette loi, sa mise en place pose d’autres questions. Ainsi, qu’en est-il alors des appels à la prière dès 4h30 du matin, du Muezzin ? Ce sont les mêmes quartiers résidentiels qui sont en effet touchés à une heure plus nocturne que véritablement matinale.
Autre exemple, celui des messes tenues dans des salles, là aussi, non insonorisées tous les dimanches, un jour férié. La question est réelle, mais sensible puisque l’on touche au religieux. La réponse du chargé de sécurité auprès de la mairie de Bujumbura est d’ailleurs explicite : « On ne touche pas au religieux. » Celui-ci s’est toutefois ravisé, précisant que « tant qu’il n’y a pas de plainte officielle, on ne peut rien faire. » Une façon d’éviter de dire deux poids, deux mesures ?