Les associations APFB et Dushirehamwe ont organisé des formations en leadership en Mairie de Bujumbura. Du 11 au 15 février 2019, ces associations étaient dans les zones de Bwiza et Nyakabiga en commune Mukaza. Du 6 au 9 février 2019, c’était au tour des zones Kamenge et Ngagara en commune Ntahangwa.
Les yeux rivés devant eux, les participants à la formation ne pipent pas mot. Ils suivent religieusement les explications de la formatrice, Rose-Marie Ndayikengurukiye de l’Association pour la Promotion de la Fille Burundaise (APFB). A Nyakabiga, ils sont une quarantaine. La plupart sont des jeunes filles. Il y a aussi des hommes et des femmes âgés.
Les discussions sont parfois houleuses mais passionnantes. Chacun veut prendre la parole. La formatrice dirige le débat. Un consensus se dégage. «C’est très intéressant. On apprend beaucoup de nouvelles choses», lance un participant.
Les enseignements donnés au cours de ces formations portent sur la résolution pacifique des conflits, la masculinité positive et le plaidoyer. C’est dans le cadre du projet de l’ONG Search For Common Ground (SFCG) : «Soutenir les femmes leaders d’aujourd’hui et de demain pour faire avancer la paix au Burundi.» Un projet financé par United Nations Peacebuilding Fund (UNPBF).
Télésphore Ndereyimana de la zone Nyakabiga en Mairie de Bujumbura trouve que les connaissances en leadership et en résolution pacifique des conflits sont indispensables dans la vie quotidienne des citoyens burundais. «On ne connaissait pas comment aider les autres à résoudre pacifiquement les conflits. Aujourd’hui, nous savons comment se comporter devant les parties en conflits.» Pour lui, ce projet de SFCG arrive à point nommé pour changer la société burundaise.
Même son de cloche de la part de Gaspard Batangindavyi, chef de quartier I en zone Nyakabiga. «Cette formation est d’une importance capitale surtout pour les femmes. A Nyakabiga, les femmes aiment se mettre à l’écart. Des leaders femmes sont invisibles. Avec cette formation, on espère les voir sur terrain et je n’en doute pas.» Selon lui, il y a une seule femme cheffe de quartier sur 3 hommes. «En 2020, les femmes doivent se présenter aux élections pour qu’on y ait au moins une parité».
Témoignages
Josiane Kwizera : «Plus jamais ignorer les problèmes de mes voisins»
24 ans, elle est membre du Reja (Réseau des organisations des Jeunes en Action). Originaire du quartier Jabe, zone Bwiza en mairie de Bujumbura, elle assure qu’elle a appris beaucoup de choses au cours de cette formation. « En tant que leader, j’ai compris comment me comporter lorsque des voisins m’approchent pour les aider à régler leurs conflits». Selon cette jeune fille, elle a compris ce que signifie un conflit et comment le résoudre sans en créer un autre. «Quelquefois, je ne m’intéresse pas aux problèmes des voisins mais je viens d’apprendre qu’ils me concernent aussi. Je vais utiliser ces nouvelles connaissances pour aider mes compatriotes dans la résolution pacifique des conflits».
Josiane Kwizera appelle les autres filles de sa génération à s’impliquer davantage dans les affaires de la communauté car «être leader ne dépend pas de l’âge». Pour elle, les filles doivent prendre conscience de leur valeur. «Quand elles le découvriront, elles comprendront qu’être leader est un travail honorable. Pour arriver à ce résultat, il faut une sensibilisation accrue en leadership des filles à partir de 16 ans».
Thacienne Ngirabagenzi : «Une personne vivant avec un handicap peut être un leader comme n’importe qui»
Elle est du quartier Jabe. Elle est membre de l’Association des femmes handicapées «Les Vaillantes». Pour elle, cette formation est une aubaine pour tout Burundais en général et pour les femmes en particulier. D’après elle, la tradition a la peau dure. «Il subsiste des coutumes qui discriminent les filles. Même s’il reste beaucoup à faire, nous nous attelons aujourd’hui à juguler ces comportements d’un autre âge». Afin d’avoir plus de femmes et filles leaders, Thacienne Ngirabagenzi propose d’organiser ce genre de formations dans tout le pays, sur chaque colline et sur chaque rue. Elle exhorte les autres leaders qui ont suivi cette formation de vulgariser ces enseignements dans leurs communautés.
En tant que personne vivant avec un handicap, elle trouve que ces nouvelles connaissances viennent renforcer sa conviction qu’une personne comme elle n’a rien à envier aux autres. «Lorsqu’une personne possède un handicap, elle est complexée. En tant que leaders, nous essayons de leur montrer qu’ils sont comme les autres. Qu’une personne vivant avec un handicap peut être un leader comme n’importe qui». Sa tâche du moment est de convaincre les autres à ne pas se stigmatiser, être de bons leaders et contribuer dans le développement du pays.
Ange-Providence Niyogusabwa : «Les qualités d’un bon leader se trouvent à la fois chez les filles et chez les garçons»
Etudiante à l’Université du Burundi, elle est membre du Club «Students of liberty». Selon elle, elle a appris beaucoup d’astuces pour résoudre un conflit d’une manière pacifique et aider les parties en conflit à trouver un terrain d’attente. «Par exemple, il faut amener les parties en conflit à trouver une solution. Ce n’est pas le travail d’un leader de l’influencer».
Pour cette jeune fille, résoudre les conflits va devenir facile grâce à ces connaissances. Selon Ange-Providence Niyogusabwa, les filles ne devraient pas avoir peur car les qualités d’un bon leader se trouvent à la fois chez les filles et chez les garçons. Cette jeune fille propose que ces enseignements soient donnés aux femmes et aux hommes afin d’avoir une même lecture de la signification d’un leader. «C’est une question de complémentarité et non de dualité.» Et de demander aux autorités administratives de s’impliquer davantage dans la promotion du leadership féminin.
Païnette Niyongere : «Je me sens engagé à être leader dans ma communauté»
Je vis au quartier Mirango à Kamenge et je représente l’association ’’Umoja’’ dans cette formation pilotée par l’ONG Search For Commun Ground. Je pense que mon chemin est maintenant tout tracé : je m’engage à servir ma communauté en tant que leader.
Je crois que je peux dire ouvertement la vérité quand il le faut, être discrète et digne de confiance. Quand on est leader ou médiateur, ce n’est pas à vous de proposer des réponses mais des pistes après avoir exploré tous les contours du problème posé. La solution durable, tel que les formateurs d’APFB et Dushirihamwe nous le disent ici, est donnée par les parties en conflit.
Si vous tranchez et rendez un verdict, cela peut tourner mal et les deux parties peuvent se retourner contre vous. Là ça serait desservir ou lieu de servir. Ce qu’il faut faire, c’est donner quelques orientations et aider les deux parties à cheminer vers une solution et un règlement à l’amiable.
Cette formation nous ouvre les yeux et nous donne des outils et c’est profitable pour nos communautés. Ces enseignements nous permettront d’avoir des arguments militant pour l’ouverture afin que les jeunes filles ne restent pas reléguées, pour qu’elles jouissent de leurs droits au même titre que leurs frères.
Il nous faut convaincre les durs tenants de la tradition pour que leur épanouissement soit une réalité. Il y a des traits culturels qui sont de véritables freins. Mais les mentalités changent pourvu qu’elles apportent du positif. La marginalisation de la fille ne peut pas continuer à notre époque. Ce qu’un jeune homme peut, sa sœur le peut aussi.
J’encourage les jeunes filles à étudier, à travailler dur, à se surpasser. Le développement n’est pas une affaire d’hommes seulement mais un travail de tout le monde, sans exception.
Arlène Mugisha : «Cela ne me regarde pas ! Ce n’est pas dans l’ADN d’un leader»
Je suis de Ngagara, membre de l’association des scouts, avant cette formation axée sur la promotion du leadership féminin et la résolution pacifique des conflits mes idées sur le sens d’un leader étaient vagues. Maintenant, tout est clair, c’est différent d’un dirigeant, d’un administratif.
Une des premières qualités d’un leader, c’est d’être humble, calme. Il doit avoir une écoute attentive, il ne s’emporte pas, il a les pieds sur terre, il doit être posé, il ne se précipite pas, il doit réfléchir beaucoup.
Quand il y a un problème donné dans sa communauté ou ailleurs, un bon leader ne peut passer son chemin et dire : cela ne me regarde pas. Il doit s’impliquer, essayer d’apporter sa contribution et aider pour qu’il y ait des réponses convenues, consensuelles.
Ce n’est pas à lui de proposer des solutions toutes faites, cela revient aux parties en désaccord ou carrément en conflit. Après avoir analysé la situation suite à une bonne écoute, le leader suggère des points de convergence et c’est aux deux parties de trouver un modus vivendi, parce que tout problème a une solution. Un leader est différent d’un juge, il ne tranche pas.
Aux jeunes filles comme moi aspirant à devenir des femmes leaders, je dis de changer de mentalité et de prendre conscience de leurs capacités. Il faut s’armer de volonté et saisir toutes les opportunités qui s’offrent et cela commence au niveau de la famille.
Il ne faut pas avoir cette mentalité qu’il y a des tâches réservées aux garçons et d’autres aux filles. Tel sexe ne doit pas jouir de tous les privilèges au moment où l’autre ne trouve que des barrières bloquant son épanouissement.
Rosette Niyonkuru : «Il faut sortir de l’ombre, l’arrière-cour c’était pour nos mères»
Je suis de l’association Ades-Twungubumwe (Association pour le développement économique et social) œuvrant à Kamenge. Après cette formation, je crois que je connais les qualités et les missions d’un bon leader. Il est grand temps de se lever et d’agir pour le bien de ma communauté. Il nous arrive d’avoir peur ou de ne pas être sûrs de nous mais aujourd’hui j’ai confiance en moi et je suis motivée.
Je dois me défaire de mes petits complexes et prendre mon courage à deux mains afin d’intervenir là où des problèmes surgissent. Il faut bien écouter les gens, chercher le nœud du problème et essayer de proposer des pistes pour une sortie de crise sans vouloir trancher ni donner une solution clé en main. La réponse ou le règlement leur revient. Même si vous connaissez la solution, elle doit ressortir des deux parties, il faut être au milieu, jouer la neutralité et gagner leur confiance.
Même s’il est clair qu’une des parties est fautive, il ne faut pas commencer à sermonner cette personne, il faut plutôt orienter le débat, essayer d’amener les deux parties à se convenir sur des propositions. Je dois leur montrer qu’il est plus utile de privilégier l’entente que de rester dans des querelles. Quand de bons conseils sont donnés à chacune des parties, cela les aide à trouver elles-mêmes une solution.
Aux générations montantes de jeunes filles leaders, je dis d’aller de l’avant. Il y a quelques injustices subies par les aînées, la société doit mettre un terme à cela et c’est le rôle de ces leaders en devenir d’impulser ce changement. Elles en sont capables.