La biodiversité du lac Victoria est menacée. Difficile de ne pas penser à notre Tanganyika.
<doc2054|left>Un touriste voyant le lac Victoria demande au guide qui l’accompagne : « Savez-vous la biologie, la psychologie, la géologie et la criminologie ? » L’interpellé répond un « non » de la tête, devant les yeux incrédules du Muzungu. Quelques temps après, la pirogue dans laquelle ils sont commence à couler. Le guide se tourne alors vers le visiteur et demande : « Savez-vous la nagologie et la fuitologie dérivés de la crodocologie ? » Laissons de côté la suite de ce triste échange puisé sur Facebook pour nous rendre justement sur le lac incriminé…
Gaba, une commune de Kampala, avec un quai en pierres donnant dans le Victoria. L’eau est sale, presque noire, alors qu’un vendeur de poissons à côté exhibe fièrement ses étals. Au loin, vers le nord, Ruzira et son imposante prison (l’équivalent de Mpimba) aux murs blancs luit doucement sous le soleil couchant. Ça et là, des objets épars flottant sur les faibles vagues du lac. Des têtes d’hippopotames ? Abibu, le piroguier qui tient le moteur pour un tour sur le Victoria explique : « Ce sont des jacinthes d’eau ! » Déception, et malaise.
Car le moutonnement de cette algue, grande prédatrice de la vie marine s’étend loin dans le lac. Près du quai, à quelques centaines de mètres du petit marché de Gaba, un centre hôtelier qui donne sur le lac dans un fouillis de … jacinthes d’eau, merveilleusement vertes. « Cela aurait pu être pire si les pécheurs et transporteurs n’organisions pas au moins trois battues par mois pour nettoyer les berges de l’algue », explique Abibu, « sans aucune aide du gouvernement ». Car les lianes des algues sont un grave danger pour les hélices des moteurs à pirogues. Et le risque de les croiser est grand, la nuit venue…
La mise à mort des marais
Comme le rappelle Andrew Ndawula, chroniqueur environnementaliste ougandais, « la drame que vivent la faune et la flore du Victoria débute avec l’assèchement des marais », initié par les colons britanniques. Ces étendues d’eau étaient perçues comme des réservoirs de moustiques, et leur réduction aura des conséquences dramatiques sur le Victoria : « La végétation qui y poussait agissait comme un filtre des éléments venant des abords du lac. Sa mise à mort affecte profondément la qualité de l’eau. Les déchets venant des rives atteignent plus rapidement les eaux profondes alors que les poissons ne peuvent plus pondre dans les marais ; ce qui emporte des espèces entières », note Andrew.
Ajoutez à cela l’arrivée de nouvelles espèces de poissons, dont la perche du Nil introduite dans les années 1960 par les colons, à titre d’expérience scientifique. Plus de 200 espèces de poissons indigènes ont disparu depuis, décimées par le prédateur vorace. Cette catastrophe écologique sera immortalisée dans le documentaire {Le Cauchemar de Darwin} : « De cette catastrophe écologique est née une industrie fructueuse, puisque la chair blanche de l’énorme poisson est exportée avec succès dans tout l’hémisphère nord. Pêcheurs, politiciens, pilotes russes, industriels et commissaires européens y sont les acteurs d’un drame qui dépasse les frontières du pays africain. Dans le ciel, en effet, d’immenses avions-cargos de l’ex-URSS forment un ballet incessant au-dessus du Victoria, ouvrant ainsi la porte à un tout autre commerce vers le sud : celui des armes », note le synopsis du film.
Puis les industries
Par ailleurs, l’industrialisation progressive (le papier, la bière) des rives du Victoria pèsera au cours du temps sur la biodiversité du lac et ses environs. L’un des secteurs les plus florissants, la culture des fleurs (117 millions de $ d’exportations en 2007 pour 22,7 millions de tonnes de fleurs, dont 70% de roses) se fait avec rejet direct des déchets dans le lac. Sans unités d’épurement.
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{Le lac Victoria en quelques chiffres :
– profondeur moyenne de 40 m
– existerait depuis 750.000 ans, atteint en 1858 par le premier européen qui lui donnera le nom de Victoria en l’honneur de la Reine d’Angleterre
– ses eaux sont partagées entre trois pays Kenya (6%), l’Ouganda (43%) et la Tanzanie (51%)
– 68.100 km² de superficie
– possède plus de 3000 îles}
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Selon le rapport 2008 de l’Autorité Nationale pour la Gestion de l’Environnement (NEMA), la lutte contre la jacinthe d’eau aura coûté entre 100.000 et 500.000 $ de 1996 à 2000, alors que durant cette même période, les maladies et la mortalité dues à la mauvaise qualité de l’eau du lac donnent de 22 à 35 millions de pertes pour l’économie ougandaise (soins de santé, baisse de productivité,…)
Le développement de la pêche, un secteur qui emploie désormais plus de 55.000 personnes autour du Victoria, est aussi une des causes des menaces qui pèsent sur l’écosystème lacustre, avec l’usage des matériaux inappropriés pour la pêche (dont des filets maillant en dessous des normes). Selon une étude de la Société Royale des Sciences de Suède, «avec la pression de la pêche, des nombreuses espèces qu’offrait le Victoria il n’en reste que trois, dont le tilapia, la perche du Nil et [une variété de petits poissons vivant près des côtes] ».
Contraintes naturelles et mesures
L’on a une biodiversité qui perd de plus en plus de sa richesse sous le double effet de la pression humaine sur le lac (réduction des marais autour du lac, pollution, activités diverses…), mais aussi de facteurs naturels. A titre d’exemple, la NEMA rappelle que la baisse des pluies dans le bassin du Nil aura provoqué une baisse d’eau de 2,3 mètres pour le lac Victoria.
Face à tous ces dangers, les États concernés par la préservation de la biodiversité du lac ont créé un cadre légal qui régit les activités et la protection du Victoria. Ainsi, le Programme de développement du lac Victoria, mis en place en 2001, possède des points focaux dans les États partenaires, dont le ministère de l’Environnement et des ressources naturelles au Kenya, le Ministère de l’Eau et du Développement de l’élevage en Tanzanie, ainsi que le Ministère des Affaires étrangères de l’Ouganda, auxquels se sont joints le Burundi et le Rwanda. Une instance destinée, entre autres, à fixer les quotas de pêche et le cadre légal de la lutte contre la pollution du lac Victoria.
<doc2055|left>Le tourisme autour du Victoria
La préservation de la biodiversité de ce lac est un des atouts de plus dans le développement du tourisme en Ouganda. Dans le district de Kampala, les communes qui bordent le Victoria sont gorgées de dizaines d’hôtels, « plus d’une centaine », selon Andrew Ndawula. Le Directeur Général du plus imposant d’entre eux, le Munyonyo Commonwealth Resort est pourtant sceptique : « Le gouvernement n’investit pas assez dans la promotion du tourisme et des richesses écologiques du pays, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays », selon Greg Petzer. Pourtant, les 1500 espèces d’oiseaux -dont unE grande partie vit autour du Victoria- « devraient considérablement renforcer l’éco-tourisme », note Beti Kamya, président de l’Alliance Fédérale d’Ouganda. Résultat : peu de visiteurs dans ce palace de 450 chambres (prix variant de 120$ pour une chambre simple à plus de 1000$ pour une suite présidentielle). Et conséquences : l’hôtel s’est depuis spécialisé dans l’accueil des conférences internationales (sommets de l’Union Africaine ou de la Communauté Est Aficaine, rencontres intergouvernementales des pays du Commonwealth, … )
Et chez nous ?
Après ce voyage autour du Victoria, retour au Burundi où la question de la protection du Tanganyika est plus qu’à l’ordre du jour, avec la tenue prochaine d’une session d’opérateurs économiques de son bassin. Avant de penser à investir, des mesures de protection de la biodiversité du lac s’imposent. Iwacu a pu se procurer une version de travail de la Convention sur la gestion durable du Tanganyika, dans laquelle le Burundi, la RDC, la Tanzanie et la Zambie, « conscients du caractère unique de la diversité biologique aquatique du lac et de son importance dans le développement côtier des quatre États riverains » s’apprêtent à suscrire à une série de principes pour sa protection. Deux principaux :
– {Le principe de précaution :} des mesures préventives doivent être prises quand il existe des motifs suffisants pour s’inquiéter d’une activité réelle ou destinée à s’implanter dans le territoire, ou relevant de la juridiction et du contrôle d’un État signataire de la Convention, qui puisse entraîner un impact préjudiciable, même en l’absence d’une certitude scientifique totale qu’il existe une relation de cause à effet entre l’activité et l’impact préjudiciable
– {Le principe de pollueur-payeur :} les coûts de la prévention, du contrôle et des mesures de réduction de la pollution sont à la charge du pollueur.