Vendredi 22 novembre 2024

Environnement

Le lac Tanganyika « parle »

12/08/2019 Commentaires fermés sur Le lac Tanganyika « parle »
Le lac Tanganyika « parle »

Pollution du lac, constructions anarchiques dans sa zone tampon, menaces sur sa biodiversité … Via son livre, Conseil du lac Tanganyika, Albert Mbonerane se fait l’avocat du lac. Rencontre.

Vous avez sorti un livre, Conseil du lac Tanganyika. Pourquoi ?

(Rires). C’était en 2008, le Pape émérite Benoit XVI a dit une phrase qui m’a beaucoup touché : « La terre nous parle, écoutons ce que la terre nous dit si nous voulons survivre

Après, j’ai décidé alors de faire un exercice d’écouter ce que dit ce lac et d’être son messager, son avocat. D’où le titre Conseil du lac Tanganyika. Les membres dudit conseil étant Tanganyika (président) et tous ses affluents.

Quel est le message ?

Bref, nous avons besoin de ce lac. Et  vice-versa. Il devrait alors y avoir une cohabitation pacifique. Là,  nous devrions nous demander : qu’est-ce que nous faisons pour que notre ami – le lac Tanganyika- garde une bonne santé ?

On se plaint souvent qu’il n’y a pas de poissons en abondance, d’eau potable, etc. Or, c’est nous qui lui servons des déchets de tout genre. A son tour, il n’a pas d’autres choix que de nous donner de l’eau polluée, des poissons dangereux pour notre santé (le tilapia et  le poisson-chat par exemple), etc. Ces deux poissons font partie des espèces tolérantes et

résistantes qui se nourrissent des produits très polluants comme les métaux lourds (le plomb, le chrome, etc.) en provenance des usines, des stations-service, des ménages des quartiers proches du lac Tanganyika. Ils s’acclimatent à la pollution des eaux.

Dans votre ‘’livre’’, vous dites que la situation est insupportable. Comment ?

Oui. Elle est très alarmante. Tout est lié à ce qu’on appelle l’action humaine. Tous ces déchets tant solides que liquides proviennent de nos ménages, industries, etc.

Des constructions anarchiques sont nombreuses et se poursuivent. Or, l’article 5 du Code de l’eau du 26 mars 2012  précise que Tanganyika  a besoin, au minimum, d’une zone tampon de 150 m.

Or, pour tourner, n’importe quelle industrie a besoin de l’eau propre. Idem pour boire, préparer de la nourriture, se laver, faire la lessive, etc. Peu d’industries que compte le Burundi est installé à Bujumbura, non loin du lac.

A Rumonge, des unités artisanales de production d’huile de palmier sont placées tout près des rivières telles Dama, Murembwe, etc. Toutes les deux se déversent dans ce lac.

Vous parlez aussi de menaces industrielles…

Je fais allusion aux études d’exploration des hydrocarbures prévues dans le lac Tanganyika. Comment est-ce qu’on peut investir dans une telle étude sans penser aux méfaits d’une telle entreprise ?

Alors si nous lui  demandons de l’eau potable, des poissons et d’autres êtres aquatiques, est-il capable de nous servir en même temps des hydrocarbures ? A mon avis, c’est incompatible.

A nous de choisir. Si on opte pour les hydrocarbures, nous devons obligatoirement  trouver un autre moyen d’importer de l’eau, des poissons et d’autres espèces aquatiques.

Quelles sont les conséquences d’une telle situation ?

Elles sont dangereuses. Malheureusement, on n’est pas conscient de ce danger. Avec l’effet de la sédimentation, beaucoup de terres envahissent ce lac. Ces alluvions occupent l’espace qui était réservé aux eaux de bonne qualité ou des zones de frayère.  C’est là que les poissons pondent leurs œufs pour se multiplier. Avec la pollution, les sédiments … les poissons sont obligés de fuir.

Dans les années 1980-85, la Regideso captait de l’eau à 1,8 km. Mais aujourd’hui, elle est obligée d’envoyer ses tuyaux capter l’eau à 3,5 km vers les eaux congolaises.

Bientôt, si nous continuons à y jeter des déchets, des sachets en plastique … cette entreprise se verra obligée d’aller jusqu’à 7 km. Et là, on sera déjà à la frontière avec la RDC. Il y a risque de conflit.

Heureusement, il y a le projet qui va s’occuper de la gestion des eaux du lac Tanganyika ?

Effectivement. Il s’agit du projet LATAWAMA (Lake Tanganyika water management) financé par l’Union Européenne (UE) à hauteur de 6,9 millions d’euros.  Je suis très content de voir que tout en étant loin de ce patrimoine,  l’UE a pris une telle initiative. Le projet concerne  les quatre pays riverains du lac  (Burundi, Tanzanie, Zambie et RDC) et le Rwanda.

Au Burundi, il se focalisera sur la réhabilitation de la station d’épuration des eaux usées de Buterere en panne depuis un certain temps. Ce qui signifie que les déchets liquides se retrouvaient dans le lac sans traitement. Cette station  à l’arrêt constitue une des grandes menaces. Si Buterere est réhabilitée, Tanganyika va un peu respirer.

Est-ce suffisant pour dire que le lac est réellement protégé ? 

Non. Il  y a d’autres activités qu’on aurait pu programmer. Mais, il doit toujours y avoir un début. Peut-être qu’avec le lancement de ce projet LATAWAMA, d’autres partenaires vont investir dans les activités de protection de ce lac.

Lesquelles ?

Elles sont nombreuses. Mais, par priorité, je proposerais la protection des rivières qui alimentent le lac Tanganyika (ses affluents). Cela pourra contribuer à diminuer les effets de sédimentation. Il est important aussi de stabiliser leur lit. Car, ces rivières se plaignent que leur zone tampon est envahie, dénoncent des extractions abusives de matériel de constructions, des carrières, etc. Or, l’article 5 du code de l’eau stipule  qu’une zone tampon d’au moins 25 m doit être respectée de part et d’autre de chaque rivière traversant la ville de Bujumbura. Le lit majeur doit être protégé. Ces activités d’extraction des carrières, du moellon … détruisent les lits. Et les impacts touchent d’abord les infrastructures, mais aussi le lac Tanganyika. Il faut améliorer les pratiques agricoles et la lutte contre l’érosion. Il est également nécessaire de protéger les montagnes surplombant la ville.

Quid de la gestion des déchets ménagers ?

Il faut que le gouvernement prenne des mesures pour qu’il n’y ait plus d’entreposage de déchets domestiques ménagers au bord de ces rivières. Il y a enfin une urgence d’avoir un dépotoir moderne susceptible d’accueillir les déchets, créer un site de décharges bien approprié de triage de déchets. Et cela incombe en premier lieu au gouvernement. Bref, soyons de bons intendants de ce trésor que Dieu a mis à notre disposition.

                                                                                          

Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze

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