Des habitations, des lieux de détente, des routes sont inondés. Le lac ne cesse de reconquérir son espace. Terrifiés, certains propriétaires ont déjà déménagé, d’autres attendent impuissamment le pire.
A Kibenga-rural, zone Kinindo, commune Muha, la route menant vers Lacosta Beach ne passe plus. De belles maisons envahies par les eaux. Elles sont déjà désertées. Des chantiers en cours abandonnés. Les eaux du lac ne cessent de gagner du terrain. Elles ont déjà reconquis au moins 30m. Non loin de là, le Tribunal de Grande Instance et Parquet de la République en commune Muha. Des bureaux menacés, des lieux de détente inaccessibles.
C’est le cas d’une maison sise sur l’Avenue Gitega, en face du building abritant les bureaux de l’UNICEF. Nous sommes dans la zone Rohero, en commune Mukaza. Les murs humidifiés sont sur le point de s’écrouler. L’Avenue du Bonheur n’est pas épargnée. L’entrée sud de Zion Beach est inaccessible.
Chez ‘’Les Paillottes Bar’’, même scénario. Un des serveurs affirme que la clientèle ne cesse de diminuer. Un bloc de sanitaires est déjà inondé. La plage aménagée près du port de Bujumbura n’est pas à l’abri. L’eau a avancée d’au moins dix mètres.
A Ku Mase, où transitent des déchets vers le lac Tanganyika, s’entassent désormais des sacs plastiques, des restes de nourriture pourris, des chaussures usés, etc.
Au moins 10m de terrain qui était réservé aux clients du bar communément appelé Ku Mase a été envahi. « Le Tanganyika est rassasié et il vomit », ironise un jeune homme croisé sur les lieux.
Plus loin vers Kajaga, une situation similaire. Une grande partie de « Cap Town Beach » est infesté de déchets de plusieurs sortes charriés par le lac. Des câbles d’électricités enfouis. Plusieurs paillottes détruites.
Les « agresseurs » en font les frais
A Saga Vodo, zone Kinindo, commune Muha, les pertes sont déjà énormes. Le gérant du bar indique qu’il a dû se séparer de sept employés. Ils n’ont plus de clients. Idem à Lacosta Beach. Ses portes sont déjà cadenassées, depuis lundi 9 mars. Gustave Niyonizigiye, son propriétaire, affirme que suite à la montée des eaux du lac, ils ont été obligés de suspendre leurs activités. Il compte rouvrir son bar le 1er juillet. Sa clôture a déjà cédé.
A Ku Mase, un des gérants de bar assure que la clientèle a diminué à plus de 90%. « Il n’y a plus de place où installer nos clients. Et plusieurs de nos constructions n’ont pas pu résister à l’eau. Elles ont été démolies. Presque tous les déchets se sont déversés ici. »
Les propriétaires des habitations sont inquiets. Aloys Batungwanayo signale que certaines familles ont déjà déménagé, d’autres attendent impuissamment le pire.
Quid des responsabilités ?
« Les responsabilités sont partagées, certains ont construit à moins de 20m du lac », affirme M.Batungwanayo. D’autres sont venus construire après la promulgation du code de l’eau de 2012. Il déplore le retard pour délimiter la zone tampon : « Ils l’ont fait quatre ans après la promulgation dudit code.»
Il ne se fait pas trop d’illusion: « Le pire risque d’arriver. Que les gens s’y préparent. » Et de proposer un dialogue entre le gouvernement et les propriétaires.
Quant à Albert Mbonerane, environnementaliste, il désigne l’Etat comme le premier responsable : « C’est lui qui a l’autorité de veiller au respect des textes de lois. » Ce qui ne signifie pas que les investisseurs sont autorisés à construire n’importe où et n’importe comment. « La Direction Générale de l’Urbanisme devrait suivre de près ce qui se fait. Et ce, en collaboration avec la Direction Générale en charge des ressources en eau. »
Il estime que le lac donne un avertissement. Il rappelle que, pour le lac, la zone tampon est d’au moins 150m. « Aujourd’hui, le lac est surpris de voir des gens qui continuent à l’agresser».
Eclairage/ Des effets du changement climatique
Pour Tharcisse Ndayizeye, expert environnemental, ce qui se passe aujourd’hui est lié au changement climatique. Avec l’augmentation de la population, la ville s’élargit. Les constructions envahissent les endroits jadis occupés par les forêts, des lieux d’infiltration. « Ce qui entraîne l’imperméabilité du sol. Au lieu de s’infiltrer, l’eau arrive directement en grande quantité dans la plaine, la ville de Bujumbura. Elle n’alimente plus la nappe phréatique. »
Plus on construit dans les Mirwa, prévient-il, plus la ville enregistrera beaucoup d’eau même en cas de petite pluie. Il déplore que beaucoup de constructions ne soient pas conformes au code de l’environnement. « Les services de l’Urbanisme devraient veiller au respect des lois en matière de construction ».
Au Burundi, il estime qu’il y a un manque criant de prévisions : « Il faut voir si les canalisations faites sont capables de canaliser l’eau pendant un certain temps. Aujourd’hui, elles sont devenues très étroites, même bouchées.» Une situation qui survient lorsque le pays enregistre de fortes précipitations. Cet expert recommande de construire des ouvrages adaptés, durables. Et de faire des projections à long terme.
Dans l’immédiat, il propose un inventaire de toute la population à risque. « Il faut les mettre à l’abri et leur proposer des solutions transitoires pour protéger leurs vies». Et sur le long terme, conclut-il, il faut penser à protéger la capitale économique en amont.