Nombre de magistrats dénoncent l’ingérence du pouvoir exécutif dans les affaires de la justice. Deux lettres des gouverneurs des provinces Bujumbura et Bubanza ont soulevé un tollé au sein de la magistrature.
« Afin de donner suite aux plaintes reçues au sein du cabinet, plaintes qui sont liées aux jugements mal rendus et à la mauvaise exécution des sentences, il est recommandé au Président du Tribunal de Grande Instance et au Procureur de se présenter au cabinet du Gouverneur une fois le mois pour une délibération conjointe avec le cabinet du gouverneur », écrit le gouverneur de la province de Bujumbura, Désiré Nsengiyumva, aux chefs de juridiction du ressort administratif de la province. La lettre date du 26 juillet 2021. Il met en copie le ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique ainsi que le ministre de la Justice.
Selon le gouverneur, le cabinet du gouverneur enregistre, depuis la mise en place d’un poste du conseiller chargé des affaires juridiques, beaucoup de plaintes de la population. « La majorité d’entre elles concernent les litiges fonciers en rapport avec les jugements mal rendus et d’autres mal exécutés ainsi que ceux liés au retard de mise en exécution des jugements rendus. »
Il fait savoir que les juges devraient être guidés par le principe du droit au procès équitable selon lequel toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit entendue équitablement et jugée dans un délai raisonnable.
Des injonctions très claires
« Personne n’ignore le principe du double degré de juridiction qui permet à tout justiciable qui n’est pas satisfait par la décision rendue par le premier tribunal ou la première Cour saisie d’interjeter appel. » Néanmoins, poursuit le gouverneur de Bujumbura, nous ne voudrions pas que ce principe soit une source d’injustice créant ainsi des procès interminables. « Nous profitons de cette occasion pour attirer l’attention des juges qui rendent des procès à leur guise, sous prétexte de ce principe, que des mesures administratives seront prises à leur encontre. »
D’après cet administratif, les tribunaux de résidence dans la plupart des cas reçoivent les conclusions d’instance en justice sans exiger les procès-verbaux des conseillers collinaires statuant sur une affaire.
Sur ce, indique le gouverneur, cela occasionne des jugements mal rendus faute de n’avoir pas entendu les personnes-ressources qui connaissent la vraie vérité dans l’entourage social des parties surtout pour les litiges fonciers. « Désormais, il est strictement interdit aux Tribunaux de résidence de recevoir les conclusions d’instance sans que le requérant présente en annexe le procès-verbal établi par les conseillers collinaires statuant sur l’affaire en cause. »
Le gouverneur Nsengiyumva fait savoir qu’ils ont remarqué que certaines juridictions mènent la procédure judiciaire jusqu’au prononcé du procès sans se rendre sur terrain en vue de faire le constat et l’état des lieux de la propriété foncière faisant objet du litige. « Ce fait cause des problèmes lors de l’exécution du jugement où on trouve souvent les procès-verbaux d’exécution qui placent des bornes dans la parcelle du voisin sans qu’il soit partie au procès. Les descentes sur terrain avant de prononcer le jugement restent la seule réponse à ce défi. »
D’après lui, l’exécution peut engendrer des situations irréversibles et appelle au sens de responsabilité des juges afin d’éviter que les exécutions ne soient la cause du désordre social, et partant d’insécurité.
Bubanza n’est pas en reste
Dans une lettre du 6 juillet 2021, le gouverneur de la province Bubanza, Cléophas Nizigiyimana, fait savoir que le conseiller du gouverneur chargé des affaires juridiques va effectuer une descente sur terrain pour rétablir dans ses droits les descendants d’un certain Goyigoyi parce qu’« elle a été lésée par le Tribunal de Résidence de Bubanza » dans un litige foncier.
Cette ingérence a scandalisé plus d’un. « On voulait y aller, mais l’administration nous a coupé l’herbe sous les pieds. On n’a laissé tomber », confie une source au Tribunal de Résidence de Bubanza.
« Il y a trop d’incohérences dans ce dossier. Le plaignant avait un faux document et on lui a octroyé cette propriété sur base de ce même faux document. Nous voulions prendre du temps pour pouvoir analyser profondément ce dossier. L’administration en a décidé autrement », ajoute cette même source.
Gélase Ndabirabe tape du poing sur la table, Gervais Ndirakobuca temporise
Pour le président de l’Assemblée nationale, Gélase Daniel Ndabirabe, il n’y a pas de démocratie dans la magistrature. Quant au ministre l’Intérieur, Gervais Ndirakobuca, il exhorte les administratifs à ne jamais se substituer à la justice.
D’après P.N, un magistrat, c’est une ingérence sans scrupule dans le fonctionnement de la magistrature. « Avant, ça se faisait par téléphone, aujourd’hui ils ont dépassé un autre palier. Ils officialisent cette ingérence par des correspondances signées. » L.N., un autre magistrat, renchérit : « Dans un pays où le président de l’Assemblée nationale ose déclarer en public que la justice burundaise ne sera jamais indépendante tout en menaçant de chasser tout juge qui osera réclamer l’indépendance de la magistrature, on comprend que les représentants du pouvoir exécutif, même ceux du rang inférieur, se permettent de dénigrer les juges et de les considérer comme de simples fonctionnaires. »
L.N. fait référence aux propos tenus, le 8 juillet dernier en commune Kayogoro de la province Makamba, par Gélase Daniel Ndabirabe lors d’une réunion avec les administratifs, les élus locaux …
Le président de l’Assemblée nationale n’y est pas allé par le dos de la cuillère. « Les magistrats disent qu’ils veulent que leurs dirigeants soient élus par leurs pairs comme si dans la magistrature il y a la démocratie (un homme et une voix) de telle manière que les magistrats vont se choisir entre eux un président qui sera à la tête de la Justice », a réagi Daniel-Gélase Ndabirabe.
« Ce qui est archifaux », a-t-il tranché, donnant l’exemple des Etats-Unis : « Dernièrement, vous avez entendu les procès qui ont eu lieu aux USA. Quand, le président de la République a donné le mot d’ordre, les magistrats doivent le respecter. Quand Trump était encore au pouvoir et qu’il disait qu’on destitue tel ou tel magistrat, on le destituait séance tenante. »
Pour M. Ndabirabe, si on laisse les magistrats élire eux-mêmes leur président, cela veut dire qu’ils ne sont pas redevables devant le président de la République : « Y aura-t-il donc deux présidents de la République ? »
Plus de secrets dans le traitement des dossiers, indique M. Ndabirabe : « Nous sommes dans une République forte. Si quelqu’un décide que la Justice va se faire en cachette, les magistrats vont faire du n’importe quoi. S’ils veulent blanchir un justiciable, ils vont le faire ou vice-versa. »
Dans ce cas, a-t-il souligné, les autres seront obligés de suivre moutonnement ce qui se passe dans ce secteur. « Allez-y comprendre ce que deviendra cette Justice. Nous voyons qu’il y a ceux qui ne veulent pas changer de comportement. Les institutions donnent des ordres, mais ces gens-là passent outre. Qu’ils sachent qu’ils incarnent la justice, que nous suivons de près cette situation. »
Haussant le ton, il a signalé qu’il y a des gens qui commettent des infractions et qui sont emprisonnés. Et par après, a-t-il déploré, des magistrats viennent les libérer. « Des magistrats qui font en sorte que l’Etat perde des procès. Ce qui fait subir des pertes au pays. »
A ces derniers, le président de l’Assemblée nationale leur a rappelé l’existence de la loi sur l’action récursoire : « Nous suivons de près tout cela. Si un jour on prenait une décision, n’allez pas dire que vous n’étiez pas au courant. Le président de la République ne cesse de vous le dire, la ministre mêmement. Mais, ils n’entendent pas. Ils sont dans une révolution.»
Lutte contre la corruption
Pour ces magistrats qui ne veulent pas changer, M. Ndabirabe a été clair : « Allez prendre les fusils. Si votre fusil est ce stylo qui condamne des innocents, il sera ‘’détruit’’. Comme ça, vous allez utiliser les paroles seulement. »
D’après lui, ceux qui condamnent les innocents ont déjà perdu la nationalité burundaise. « Ils ne méritent même pas d’être appelés des mercenaires. Ils ont une autre identité. (…) Imaginez-vous un magistrat qui exige des moyens de déplacement, des pots-de-vin pour arriver sur une colline afin d’exécution un jugement ?» Il a ainsi demandé aux magistrats de se ressaisir.
Dans cette réunion de Kayogoro, le président de l’Assemblée nationale, n’a pas hésité à signaler que même les notables collinaires peuvent faire mieux : « Moi, je pense quelques fois que si on destituait tous les magistrats et qu’on amenait les vieux des collines, est-ce qu’ils ne pourraient pas bien le faire ? Attention !» Et de les mettre en garde : « Vous dites que vous allez prendre les armes. Allez-y. Pas de problème.»
M. Ndabirabe est convaincu qu’il y a des gens qui n’ont pas fait de longues études, mais qui trancheront objectivement les procès.
Dans un langage codé, le président de l’Assemblée nationale a appelé les magistrats à ne pas continuer à trop tirer une corde déjà tendue : « Si elle se casse, vous ne savez pas qui va tomber le premier. » (Nashaka ndababwire nti : ntimuze mubandanya mukwega umugozi umaze gukweguka kuko ubandanye uwukwega uracika. Kandi iyo ucitse ntawumenya uwugwa agaramye uwariwe.)
Comment collaborer ?
Concernant la collaboration entre l’administration et la justice, le président de l’Assemblée nationale reconnaît qu’il n’existe pas une loi qui précise que le gouverneur doit avoir un rapport du Tribunal de Grande Instance.
Pour lui, les magistrats ne sont pas des ‘’surnaturels’’. Ainsi, il a recommandé aux gouverneurs d’amener les dossiers polémiques dans les réunions de sécurité. « Comme les magistrats y sont présents, il faut que les justiciables lésés soient invités. Car, si les dossiers sont mal tranchés, ça crée de l’insécurité. »
Il a invité les administrateurs à inventorier de tels dossiers mal traités et les soumettre au gouverneur et même informer le parti Cndd-Fdd : « Il faut qu’ils figurent sur l’agenda de ces réunions de sécurité. Dites-nous-les magistrats : qu’est-ce qui ne va pas ? »
« Les volontés des puissants du régime ont remplacé les lois républicaines. »
Pour L.N., l’état de droit n’existe pas au Burundi. « Les lois sont certes écrites, mais les gouvernants ne semblent pas contraints de les respecter. Cette lettre décrit la situation qui existe déjà. En participant dans des réunions dites » quadrilogie’’ au cours desquels des coupables sont désignés à l’avance au nom du maintien de la sécurité, les trois pouvoirs bien que séparés par la Constitution sont mis dans les mains du parti au pouvoir. »
Selon lui, les juges sont aux ordres de l’exécutif qui les instrumentalise sans vergogne. « Les volontés des puissants du régime ont remplacé les lois républicaines. Lorsque ce genre de lettres sont écrites sans aucune réaction de la part des juges meurtris, on comprend à quel point la terreur ambiante a restreint les libertés publiques. » Il rappelle qu’en 2013, les États généraux de la Justice avaient abouti sur des conclusions louables avant que le parti au pouvoir ne refuse d’en exécuter les recommandations salutaires. D’après F.H, magistrat, il y a une absence d’un cadre d’expression. « Le syndicat des magistrats a été muselé. Certains magistrats sont militants du parti au pouvoir tandis que d’autres ont peur des représailles ».
Le ministre Ndirakobuca essaie de « calmer » le jeu
Gervais Ndirakobuca, ministre de l’Intérieur, de la Sécurité publique et du Développement communautaire, a exhorté les administratifs à ne pas s’ingérer dans les affaires judiciaires.
C’était le 29 juillet dernier en province Gitega lors d’une séance d’information et de sensibilisation des membres du comité national de sécurité et des bureaux des comités provinciaux de solidarité locale ainsi que des administrateurs communaux sur la journée de solidarité locale, édition 2021.
« Dans le domaine de la justice, les administratifs connaissent leurs limites. Ne vous ingérez pas dans le judiciaire. Il y a des choses qui sont en train de faire du bruit dans la justice. Des lettres écrites par le gouverneur de Bujumbura et celui de Bururi avançant que vous êtes en train d’exécuter mes recommandations. » Il a souligné qu’il n’existe pas d’ordres du ministre de l’Intérieur qui viennent se substituer à la justice. «Nous savons nos limites. Ce qui se trouve dans les mains de la justice reste là». Selon le ministre Ndirakobuca, un administratif peut seulement orienter un citoyen, un préjudiciable. « Mais ne vous substituez pas à la justice. C’est impossible. Le pays tomberait dans un chaos. Est-ce que vous me saisissez ? Le pays serait l’anarchie. La justice reste indépendante».
D’après lui, s’il existe des défis dans ce domaine, le gouvernement Mvyeyi est fondé sur la loi afin que cela soit corrigé. « Mais que vous preniez les devants pour aller trancher des dossiers judiciaires, impossible !», a-t-il insisté. « Si on te présente un cas judiciaire, tu peux seulement faire un avis juridique sur base des observations de vos conseillers juridiques. Tu ne fais seulement qu’orienter le justiciable et lui conseiller comment il peut s’y prendre».
Dans le cadre de la collaboration, il a ajouté qu’un administratif peut aussi approcher ceux de la justice pour leur dire comment se présente un tel ou tel autre cas d’un préjudiciable. « Mais n’allez jamais trancher des dossiers judiciaires. Là, vous allez créer d’autres problèmes dans le pays qu’il nous sera très difficile de nous en sortir », a-t-il répété, avec insistance.
Plusieurs magistrats saluent cette mise au point du ministre Gervais Ndirakobuca. « Toutefois, il faut des actes concrets », commente un magistrat de la province Bujumbura.
Contactée, la porte-parole du ministère de la Justice, Cynthia Orly Irakoze, a promis de s’exprimer ultérieurement.
Un rendez-vous historique qui a accouché d’une souris
Du 5 au 9 août 2013 se sont tenus, au Grand Séminaire Jean Paul II de Gitega, les Etats généraux de la Justice Ce grand forum historique a vu la participation de plus de 500 personnes venues des secteurs diversifiés : milieu politique et diplomatique, profession juridique et judiciaire, administration, système de nations unies, agences de coopération et organisations non gouvernementales internationales et nationales, confessions religieuses et professionnels des médias.
Plus de 100 recommandations ont été émises, entre autres l’indépendance de la magistrature. Concernant ce thème, il a été convenu que le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) devait être composé de 18 membres répartis comme suit : le Président de la République, le ministre de la Justice, le président de la Cour suprême, le Procureur général de la République, 10 magistrats élus par leurs pairs à savoir 6 de la magistrature assise et 4 de la magistrature debout ainsi que 2 avocats, un du secteur privé et un de la société civile tous élus respectivement par leurs pairs.
En ce qui concerne la reddition des comptes, le CSM devait présenter un rapport semestriel au parlement et au Gouvernement sur l’état de la justice et publier ce rapport dans un bulletin officiel. De plus, publier trimestriellement des statistiques judiciaires par l’inspection générale de la justice ainsi qu’analyser et évaluer la qualité des arrêts et jugements par l’Inspection générale de la Justice.
Pour lutter contre la corruption au sein de la magistrature, il a été décidé entre autres une large campagne d’éducation civique pour sensibiliser toute la population sur les méfaits de la corruption et les sanctions qui sont infligées aux corrupteurs et aux corrompus, améliorer les conditions de vie des magistrats pour les mettre à l’abri de toute forme de sollicitation et d’incitation à des actes de corruption, rendre opérationnel les différents comités de lutte contre la corruption élus au niveau des services du ministère de la Justice et des institutions judiciaires et mettre à la disposition des justiciables des boîtes à suggestion pour leur permettre de dénoncer confidentiellement les cas de magistrats soupçonnés des actes de corruption.
Concernant le plan de carrière et les modalités de recrutement, les participants ont recommandé que le recrutement des magistrats et du personnel judiciaire soit fait sur concours piloté par le Conseil Supérieur de la Magistrature et assisté techniquement par le CFPJ ; révision du statut des magistrats et mise en application du statut des agents de l’ordre judiciaire ainsi que le déblocage de la carrière des magistrats pour que leur traitement corresponde à leurs grades statutaires.
Quant au fonctionnement de la Cour suprême, il a été recommandé l’instauration d’une assistance obligatoire par un avocat pour toute procédure de cassation, doter le système judiciaire d’un budget propre géré au niveau du Secrétariat Général de la Cour Suprême, mener une étude diagnostique pour analyser à fond les causes réelles des arriérés judiciaires. De plus, le président de la Cour Suprême devrait être élu par ses pairs pour un mandat de six ans non renouvelables selon les modalités déterminées par une loi.
Sur le plan protocolaire, le président de la Cour Suprême vient après le président de la République, le président de l’Assemblé nationale et le président du Sénat. Le président de la Cour Constitutionnelle prend rang directement après le président de la Cour Suprême. Quant au Procureur Général de la République il vient directement après les membres du Gouvernement.
Interview exclusive/Me Janvier Bigirimana : « La perte de confiance en l’institution serait la fin de l’État de droit et le péril de la démocratie. »
Après les deux lettres des gouverneurs de provinces Bujumbura et Bubanza, Maître Janvier Bigirimana, juriste, décortique le degré d’ingérence de l’exécutif dans les affaires de la justice. Pour lui, le constat est amer.
On constate que de plus en plus certains administratifs cherchent aujourd’hui à s’ingérer dans les affaires de la justice. Comment interprétez-vous cela ?
Le constat est très amer et les mots pour qualifier le degré d’ingérence de l’exécutif burundais dans le fonctionnement de la justice burundaise à ce jour sont très faibles. En effet, depuis des années, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer l’immixtion de l’exécutif dans le rôle de la justice burundaise et qui la rend inefficace, mais j’ai l’impression qu’on est en train d’atteindre le sommet de l’impensable dans le secteur de la justice.
Comment ?
C’est douloureux à bien d’égards de voir la justice sombrer, car la faillite de la justice à laquelle on est en train d’assister impuissamment va engendrer en effet, pour le moins le recours à des justices alternatives et, pour le pire, à des règlements de compte, à l’installation ou à l’élargissement de l’injustice sociale, à la violence y compris dans ses formes les plus extrêmes.
Concrètement ?
La correspondance datée du 26 juillet 2021 du gouverneur de Bujumbura adressée à tous les chefs de juridiction du ressort administratif de la province de Bujumbura démontre à quel point l’ingérence de l’exécutif burundais dans le fonctionnement de la justice est structurée, réglementée et érigée en mode de gouvernance du pays.
Pire encore, on dirait même que le régime en place a délibérément fusionné l’exécutif et le judiciaire avec comme résultat un pouvoir judiciaire qui va simplement se dissoudre ou au mieux s’émietter dans le temps comme une peau de chagrin.
Des exemples ?
Certains passages de la correspondance susmentionnée méritent d’être mis en exergue en ce sens qu’ils confirment que ce qui se passe actuellement dans le secteur judiciaire burundais est inédit quoique la situation antérieure fût déjà suffisamment préoccupante.
L’introduction de la lettre démontre que son contenu est inspiré des recommandations émises par la présidence de la République et le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique à travers les correspondances respectives (lettre n°100/CAB/345/2021 du 18/03/2021) et (lettre n° 530/3258/CAB/2021 du 30/03/2021.
Qu’est-ce que cela prouve ?
Ceci prouve encore une fois que des injonctions sont émises de la présidence de la République du Burundi via le ministère en charge de l’Intérieur pour contrôler, corriger, sanctionner et le cas échéant museler les magistrats éparpillés dans différents ressorts administratifs du pays.
La correspondance contient des menaces sérieuses à l’endroit des magistrats. Au quatrième paragraphe de la deuxième page de la correspondance du gouverneur de Bujumbura, il est précisé : « (…). Nous profitons de cette occasion pour attirer l’attention des juges qui rendent des procès à leur guise sous prétexte de ce principe que des mesures administratives seront prises à leur encontre ».
De facto, il est connu que la majorité des magistrats travaillent dans la peur des sanctions et des actes de persécution brandis par certains membres de l’exécutif, des membres influents du parti au pouvoir. On ne pouvait pas s’imaginer que l’une ou l’autre catégorie de ces personnes pouvait aller jusqu’à réglementer au grand jour l’ingérence assumée dans le fonctionnement de la justice.
En outre, comme si ce qui précède ne suffisait pas, la lettre susmentionnée ajoute au premier paragraphe de la troisième page qu’ « afin de donner suite aux plaintes reçues au sein du cabinet, qui sont liées aux jugements mal rendus et à la mauvaise exécution des sentences, il est recommandé au Président du Tribunal de Grande Instance et Procureur de se présenter au Cabinet du Gouverneur une fois le mois pour une délibération conjointe avec le cabinet du Gouverneur ». Inutile de faire un commentaire là-dessus, la situation dans laquelle se trouve notre justice est claire et limpide comme l’eau de roche.
Quelles sont les conséquences d’une telle situation ?
Les conséquences sont légion et il serait prétentieux et erroné de les énumérer de façon exhaustive. Tout simplement, la justice est facteur de paix sociale, pour autant qu’elle fonctionne normalement et soit acceptée. Si dans un sens contraire elle est perçue comme un instrument de violence politique, économique ou sociale, de couverture d’injustices sociales ou de malversations économiques dans un contexte de pauvreté généralisée, etc., elle ne peut qu’engendrer le refus, la contestation de son autorité, ceci ayant pour conséquence l’effritement voire la rupture du contrat social.
Ainsi, si la perte de confiance en l’institution devait conduire chacun à se faire justice, ce serait la fin de l’État de droit et le péril de la démocratie. C’est pourquoi les énergies doivent être mobilisées pour réformer la justice.
Pour nombre d’observateurs, la création du poste de Conseiller juridique du gouverneur est un moyen détourné pour avoir une mainmise sur la justice…
A mon avis, la création du poste de conseiller chargé des affaires juridiques n’est pas problématique en soi, mais tout dépend de son cahier de charge, car chaque service public ou privé peut avoir besoin d’un conseiller juridique.
Cependant, dans le cas sous analyse, il est clair que la création de ce poste est l’une des manifestations du caractère prémédité et assumé d’une volonté du régime en place de mettre à genoux un pouvoir qui était déjà agonisant.
En effet, on pourrait même dire que c’est un effort de trop, car plusieurs magistrats sont recrutés et/ou promus sur des bases sectaires, et ne cessent de prêter allégeance au système en place, si bien que la compétence et l’expérience ont cédé la place au pur militantisme. Autant dire que certains magistrats sont même plus zélés que les Imbonerakure pour défendre le régime. Il en découle qu’ils prennent des décisions en marge de la loi et de toute déontologie professionnelle, dans le simple objectif de satisfaire leur supérieur hiérarchique et pire l’administration et le parti au pouvoir.
Votre commentaire sur les propos du président de l’Assemblée nationale en province Makamba?
Ils démontrent qu’il ignore le principe de séparation des pouvoirs qui est l’une des caractéristiques d’une démocratie qui fonctionne. Cette séparation des pouvoirs ne doit pas nécessairement être absolue, mais il y a un minimum de limites qui ne doivent pas être franchies sans compromettre les standards minima d’une société démocratique.
Par l’effet de la séparation des pouvoirs, le respect dû à l’exécutif comme au législatif devrait l’être également à l’égard du judiciaire, sous réserve des rapports de collaboration. L’Institution Judiciaire ne devrait recevoir aucune injonction, ni directe ni indirecte, dans sa mission de juger.
Cela n’est évidemment pas la situation qui prévaut aujourd’hui au Burundi puisque l’exécutif tout comme le législatif, directement ou indirectement, intervient pour influencer le cours de la justice que ce soit dans les dossiers politiquement sensibles ou même ordinaires.
Quid des recommandations des Etats généraux de 2013 ?
Les recommandations phares émises lors des assises nationales dédiées à sauver la justice burundaise en août 2013 n’ont pas été suivies d’effets. En effet, le pouvoir politique du Cndd-Fdd qui ne trouve aucun intérêt à laisser la justice faire librement son travail n’a pas voulu engager des réformes sérieuses telles qu’elles avaient été envisagées.
Garantir le droit des citoyens à une justice impartiale et égale pour tous ; mettre le juge à l’abri de la pression et des injonctions des pouvoirs législatif et exécutif et des faiblesses personnelles le protéger contre l’action des lobbies et des corrupteurs ; faire en sorte qu’il ne gagne rien à rendre une justice partiale et ne perde rien en jugeant en toute équité même si cela déplaît à quelques-uns, telles sont les finalités de l’indépendance de la magistrature.
Ont-elles été mises en œuvre ?
Elles n’ont pas été mises en œuvre et plus particulièrement ce qui manque cruellement c’est la volonté politique. Le plus urgent et aussi le plus important est de prendre conscience qu’une crise de la justice n’est pas n’importe quelle crise. La lutte contre l’impunité est devenue malheureusement un but qui se recherche perpétuellement. La justice reste la dernière illusion des citoyens et la leur ôter, c’est pousser à la désespérance, à la violence et donc à la destruction de l’État de droit et l’Etat même.
« Le judiciaire écrasé sous le poids de l’exécutif »: le choix des mots utilisés (« écrasé ») par les auteurs de l’article montre directement vos tendances ou votre côté très penchant et in finé non objectif. Et pourtant, il y a moyen de dire le même contenu, éclairer vos lecteurs sans exhiber votre côté penchant. Quelque chose qui est « écrasé » ne bouge plus, inanimé, complétement déformé. Certes il y a des défis à relever de ce côté judiciaire mais maintenant il faut analyser les motivations de l’exécutif qui est dans son rôle d »interpeller le judiciaire à faire CORRECTEMENT son job et « non faire semblant » alors qu’il est payé par l’argent du contribuable que l’exécutif s’attèle réunir.
Note de la rédaction
On peut dire qu’il y a aussi une manière lire un article qui montre la « tendance »,le côté « très penchant, non-objectif » du lecteur.
@SAKUBU
Il semble que vous n’aimez pas trop la séparation des pouvoirs; c’est votre opinion!
Par ailleurs moi je déplorais la corruption, peu importe le pouvoir qui la pratique: que ce soit l’exécutif, le législatif ou le judiciaire.
Je déplorerais
C’est votre opinion sur moi que je n’aimerais pas le séparation des pouvoirs alors que c’est tout le contraire de ce vous pensez de moi.
Quel triste pays😭
Ces gens qui osent menacer le système judiciaire et s’en vantent presque. Puisqu ils sont supposés n’être pas au dessus des lois. Hari umuntu yobacira urubanza bakosheje? Nous savons tous aha kurubuga ko atanuwokwubahuka kurwakira.
Le problème est là et aigu pour notre malheur.
Mais la solution proposée par ces augustes personalités est ….
Pourquoi dans toutes les démocraties a t on séparé les 3 piliers d’un pays: l Exécutif, le législatif et le Judiciaire?.
Mbega iyo exécutif iri au dessus de tout soupçon dans cette faillite collective?
Suivez mon doigt.
Je pense qu’on pose mal le problème.
1) Y a t il corruption dans le système judiciaire? Bien sur que oui. Est il le seul organe corrompu? Non bien sûr . Nous sommes classés l’un des pays les plus corrompus au monde
2) Il y a une loi qui oblige toutes les augustes personnalités á déclarer leurs biens avant s’entrer en fonction. Ko les 2 personnalités ataco babivuzeko dans leur honeste colère.
3) Ajouter officiellement l’exécutif dans la justice. Ç’est juste y inclure une autre couche de corruption.
Dans toutes les dictatures à l’africaine, ça se passe comme cela.
Mais les barons de l’exécutif ont au moins la délicatesse de ne pas le dire officiellement.
4) Nous savons tous que notre justice est à la botte de l’exécutif.
Tous égaux devant la loi est un doux sophisme au Burundi.
Banza mukomeze appareil judiciaire et donnez lui son indépendance.
Attendez-là! On condamne l’exécutif de vouloir suivre de près le législatif, mais il est très clair que l’on se trompe de cible. La cible devrait être la corruption qui s’observe dans tout le processus judiciaire.
Je ne comprends pas comment un simple procès de conflit foncier pour une petite parcelle peut durer des années à un seul niveau d’instance de l’appareil judiciaire!
On dirait que tout le monde perd la boule parce qu’on veut forcer les magistrat à rendre justice plus rapidement! Un dossier qui traine depuis des années au niveau communal pour des raisons farfelues invoquées pour des reports répétitifs des audiences : absence d’un des avocats, absence d’un document, fête de l’enfant de l’administrateur, c’est l’heure de la sieste, l’avocat de l’autre partie empêché par la réussite du concours national de son fiston, manque de boisson pour clôturer la journée du procès, « on me dit que Sa Sainteté le pape vient d’éternuer et on doit fêter l’événement pendant 780 jours », « les lunettes de l’administrateur sont embuées suite à la pluie qui est tombée hier »! (t il n’a même jamais de lunettes!)… et j’exagère à peine!… Cela n’est pad normal!
On ne demande pas à l’exécutif de s’immiscer dans l’interprétation et l’exécution des lois et des procès. On veut que l’exécutif veille à ce que des délais soient respectés au cours et entre les différentes étapes du processus judiciaire.
Par exemple, entre le dépôt d’un recours et le début d’un procès, on devrait s’assurer d’avoir rempli toutes les exigences pour qu’une première audience ait lieu dans X nombre de jours, sinon la personne dont on néglige le cas devrait porter plainte contre le responsable. À bas les prétextes pour les demandes de reports.
À mon avis, ce n’est nullement de l’ingérence. Mais comme la seule motivation que ces gens entendent est l’argent, la solution idéale est de les prendre à leur jeu. Il s’agit de fixer un nombre maximal de reports à accorder à chaque partie pour un cas, et de forcer la partie qui demande le report de payer des frais et des pénalités, et à l’État, et à la partie adverse… et ce, avant d’accepter et/ou d’accorder le report. Si pour éviter qu’un administratif de l’État (magistrat ou procureur) fasse trainer le procès, on doit aussi fixer un nombre maximal de reports à accepter au cours d’un même procès, un délai à ne pas dépasser à chaque étape du procès, mais aussi et surtout : qu’il obtienne l’accord de la partie adverse avant d’accorder un report demandé, que ce soit un report avec frais ou pas. Il y a des gens qui veulent en finir avec leur procès pour passer à autre chose, peu importe les gains potentiels.
Un magistrat ou un administratif qui abuse de son pouvoir pour faire trainer un procès par des reports ou des audiences interminables devrait également faire face à des mesures disciplinaires, allant jusqu’à la suspension, à la rétrogradation ou au congédiement selon la gravité et la fréquence des abus.
Il y a des solutions, il faut juste de la volonté pour les trouver et surtout les mettre en application. Faites cela et je vous garantis que les choses (et surtout les gens) vont bouger!… Faites-les bouger s’il VOUS plaît!
Ce serait une façon de responsabiliser ces paresseux du judiciaire, qui ne veulent lever leur derrière que quand ils ont amassé assez de « motivation monétaire »… c’est-à dire du « fric », du « blé », du cash, de l’« oseille »!… Appelez cela comme vous voudrez!!! … Et tenez-vous bien!… ils en ramassent de toutes les parties impliquées dans le procès, la plus maligne des parties étant celle qui en donnera le plus… sans ignorer que le bénéficiaire ira faire de la surenchère de l’autre côté… pour en obtenir encore plus… On appelle cela un cercle vicieux!…
Vous voulez que je vous dise? L’éternité est plus courte si on la compare au processus judiciaire burundais! Alors que l’exécutif s’en mêle!… si c’est pour l’améliorer, je les soutiendrai et les défendrai jusque là où ils iront!
@Gacece
« Je ne comprends pas comment un simple procès de conflit foncier pour une petite parcelle peut durer des années à un seul niveau d’instance de l’appareil judiciaire! »
C’est pour aller dans le même sens que vous. Il y a des situations difficiles à comprendre, mais mon expérience personnelle m’a appris qu’il y a des choses qu’il est difficile d’imaginer mais qui, hélas, sont courantes avec la justice burundaise.
Mon cas personnel: une affaire de conflit foncier portée devant le tribunal de résidence en 1989 puis la partie adverse a fait appel. Entretemps, la guerre de 1993 a éclatée et les juridictions étaient plus ou moins à l’arrêt pendant un certain temps. Ayant quitté le pays pour les études, le Tribunal de Grande Instance a tranché, en précisant dans ses considérants que le Tribunal a entendu les parties lors d’un débat contradictoire. Je fus informé en 2008 qu’une convocation m’avait été adressée pour être présent lors de l’exécution du jugement. Je n’avais pourtant pas encore reçu la copie dudit jugement. J’ai dû louer les services d’un avocat qui fit un excellent travail. Cette affaire n’est toujours pas clôturée: elle traîne encore au niveau de la Cour d’appel de Bujumbura depuis 2012.
J’ai évoqué ceci pour illustrer une anomie: au niveau de la justice, l’inimaginable est devenu la règle.
@Arsène
… le Tribunal de Grande Instance a tranché, en précisant dans ses considérants que le Tribunal a entendu les parties lors d’un débat contradictoire.
Vous n’étiez même pas présent à l’audience et le Tribunal a osé écrire dans un jugement qu’il y avait eu un débat contradictoire!… Et ces gens montent au créneau aussitôt qu’on leur dit qu’ils font mal leur travail… Ils ont tous simplement besoin de coups de pieds au derrière.
Totalement pour votre éclairage.
« Avec une logique implacable comme un oeuf de piano dans la cervelle d’une poule », disait un humoriste français (Cami ?).
Quand on met des militaires au gouvernement, la logique de fonctionnement n’est pas celle de la concertation, ni celle du respect des principes démocratiques ; mais bien celle des ordres qui suintent le long de la chaîne de commandement. Depuis 2005 – vous devriez en avoir l’habitude, voyons !
JerryCan en rigolerait volontiers, si le sujet n’était pas aussi sérieux.
Vous voulez insinuer qu’avant 2005, il n’y avait pas de « militaires au gouvernement » que la « logique de fonctionnement » était la « concertation » et le « respect des principes démocratiques »!?!?! Ayons un peu d’humilité et des égards envers d’autres et évitons le dénigrement et le fonctionnement manichéen que la VÉRITÉ se trouve toujours de « Mon » côté alors qu’elle peut se retrouver chez « l’Autre » étiqueté à tort « d’ennemi ».
Birababaje kandi ntibigiye guhinduka vuba mu Burundi. tuzobana gutyo nyene