Au départ tout le monde parlait de « fake news ». Puis la nouvelle s’est confirmée. Iwacu raconte ces heures incroyables et les réactions suite au décès « inopiné » du président Nkurunziza.
Dossier réalisé par Arnaud Igor Giriteka, Hervé Mugisha, Rénovat Ndabashinze, Fabrice Manirakiza et Alphonse Yikeze.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Dans l’après-midi du mardi 9 juin 2020, le gouvernement du Burundi annonçait, par le biais d’un communiqué, le décès « inopiné » du chef de l’Etat burundais, Pierre Nkurunziza, survenu la veille à l’hôpital du Cinquantenaire de Karusi » suite à un arrêt cardiaque. »
L’avant-midi du mardi 9 juin avait été rythmé par des rumeurs annonçant la mauvaise nouvelle. A Iwacu, cette « information » avait été même évoquée lors de la conférence matinale de rédaction. Un sujet semblait sensible et délicat. La rédaction a décidé de suivre et de rester vigilante.
Tout au long de la journée, des messages tombaient sur la « probable mort du président ». Iwacu s’interdisait de les relayer.
Paradoxalement, les communicateurs du pouvoir, d’habitude très bavards, s’étaient mués dans un silence de plomb.
A 14h30, l’ambassadeur Willy Nyamitwe, conseiller principal en communication à la présidence, a finalement réagi, évasivement, aux rumeurs : « Faites très attention à ce que la rue raconte sur le Burundi, car la manipulation de l’information est devenue modus operandi. Nous sommes un pays de braves hommes et femmes prêts à braver tous les obstacles inspirés par le Grand Bâtisseur Pierre Nkurunziza. »
Une heure plus tard, Jean Claude Karerwa Ndenzako, porte-parole du président, lui a emboîté le pas. Dans un tweet, il a fait l’éloge à son père décédé le même jour en 1996. « De la diversion », ont dit certains. Le matin, en pleines rumeurs, il avait promis à la BBC de s’exprimer sur la vie du chef de l’Etat. Il disait se rendre à Karusi où, disait-on, « Pierre Nkurunziza était hospitalisé. »
Dans leurs tweets, les as de la communication présidentielle n’ont fait que nourrir les rumeurs.
Une heure après, le compte tweeter officiel du gouvernement du Burundi tombait pour confirmer la disparition du président burundais.
Stupeur à la lecture du communiqué. Certains, estomaqués, disaient que c’était «un faux compte pour alimenter de plus belle la rumeur. »
Au fil des heures, il a fallu se rendre à l’évidence : le numéro un burundais était bel et bien décédé. Panique à Bujumbura. Beaucoup ont rangé leurs affaires pour rentrer précipitamment.
Un communiqué très sobre
Le porte-parole du gouvernement est revenu sur les circonstances précédant sa mort. Tout remonte dans l’après-midi du samedi 6 juin 2020 à Ngozi. Le président Nkurunziza avait assisté à un match de volley-ball dans le cadre des finales de la coupe du président.
C’est pendant cette nuit du 6 au 7 juin que le président Pierre Nkurunziza a senti un malaise.
Il a été emmené à l’hôpital de Karusi pour des soins en urgence. « Toute une aile de l’hôpital a été réquisitionnée selon des sources sûres.
Il semble que son état de santé s’est par la suite amélioré. Dimanche, le chef de l’Etat se serait entretenu avec les personnes à ses côtés.
La situation se serait «gâtée par après.
« Dans l’avant-midi du lundi 8 juin 2020, son état de santé s’est brusquement détérioré, avec un arrêt cardiaque » indique une source sous anonymat.
Le gouvernement assure que les médecins ont essayé de faire tout leur possible, en vain : « Une réanimation a été entreprise par une équipe multidisciplinaire de médecins pendant plusieurs heures avec une assistance cardio-respiratoire. Malgré une prise en charge intense continue et adaptée, l’équipe médicale n’a pas pu récupérer le patient.»
Il a fallu se rendre à l’évidence.
Le Guide suprême du patriotisme. Le gouvernement a décrété un deuil national de sept jours à partir du mardi 9 juin 2020.
Dès lendemain, plusieurs dignitaires, des représentants du corps diplomatique se sont relayés au Palais « Ntare Rushatsi » pour signer dans le livre d’or. Une formule revient. RIP. Requiescat in pace. Repose en paix.
>> Réactions
Anatole Kanyenkiko, son ancien ministre des Travaux publics : « Un homme du peuple qui s’en va »
« Je suis très triste. Je suis dans le désarroi. Le président Nkurunziza, à vrai dire, c’est mon jeune frère. Nous venons de la même commune, même colline », dit ému Anatole Kanyenkiko, ancien ministre des travaux publics (2007-2010), après avoir signé, ce mercredi 10 juin 2020, dans le livre d’or au Palais Ntare Rushatsi.
Pour lui, c’est un président qui est passé par l’Accord d’Arusha pour accéder au pouvoir et par les élections. « Et voilà, il s’en va. Nous lui devons des réalisations, mais aussi il faut reconnaitre qu’en tant qu’homme, il y a sûrement des choses qu’il n’a pas pu réaliser », regrette-t-il. Sous le choc, il lâche d’une voix douloureuse : « Je salue d’abord son approche. Il était un homme du peuple. Il était de contact facile. »
Cet ancien ministre reconnaît que feu président Pierre Nkurunziza a donné une place aux fondateurs de notre pays, le Burundi. En témoigne le Palais Ntare Rushatsi. Il a aussi accordé des places importantes aux héros du pays à savoir le Prince Louis Rwagasore et le héros de la démocratie Melchior Ndadaye.
Lucide, M. Kanyenkiko reconnaît qu’il y a des projets que le président Nkurunziza n’a pas pu réaliser. « Ce qui est tout à fait normal. Et la tâche incombe, cette fois-ci, à son successeur.» Il implore le Tout Puissant de lui accorder la Grâce sur ce qu’il n’a pas pu réaliser ou mal réaliser. «Je demande aux proches, aux Burundais de rester calme et de l’accompagner dans la dignité. »
Tatien Sibomana : « La tristesse, la déception aussi »
« Je présente les condoléances à sa famille biologique et aussi aux Burundais. Parce qu’après tout, il a dirigé le Burundi pendant quinze ans », réagit Tatien Sibomana, politicien.
Sur le bilan, il ne cache pas sa déception : « Je garde de lui un homme d’abord rebelle, un président qui faisait beaucoup dans l’ombre. Parce que tout ce qui se faisait, il ne l’assumait pas, on disait que c’était fait par d’autres. »
Selon lui, il avait promis beaucoup de choses, mais a réalisé finalement très peu. Il donne l’exemple de la lutte contre la corruption : « Chaque fois qu’il était investi, il ne manquait pas de souligner qu’il allait réserver la « tolérance zéro à la corruption. » Mais il part en laissant tous les secteurs de la vie burundaise gangrénés par la corruption jusqu’au sommet des institutions.»
Il cite aussi d’autres échecs : le sous-développement du pays, le Burundi qui a perdu son image sur l’échiquier international et régional, la détérioration des relations avec d’autres pays, etc. « Je vais garder de lui l’image de quelqu’un qui n’a pas été au-dessus de la mêlée dans la gestion des services de sécurité plus particulièrement la police, le SNR (les renseignements)».
Dans ce secteur, il estime qu’il y a eu beaucoup d’abus, de personnes assassinées, portées disparues, etc. Sous son régime, le pays a enregistré un grand nombre de prisonniers politiques, des refugiés et l’Accord d’Arusha a été démantelé. Et de se résumer : « Je garde de lui l’image d’un chef d’État avec un bilan très négatif »
Révérend Nicodème Ahishakiye : « Une grande perte »
« Des valeurs positives ont guidé notre cher président de la République qui vient de partir. Un président patriote, qui aimait les Barundi, qui aimait notre pays», réagit Révérend Nicodème Ahishakiye, président du Conseil National des Eglises du Burundi.
Sous le choc, il affirme que les réalisations du défunt vont guider le Burundi vers un développement. Pour lui, son départ constitue une grande perte pour le pays. Il soutient que le a uni les Burundais, a combattu pour la paix. Et d’implorer le Tout Puissant à bénir et à protéger le Burundi et son peuple.
Cecab : «Conjuguons nos efforts pour honorer sa mémoire»
Dans une lettre sortie ce mercredi 10 juin, les Evêques catholiques du Burundi ont adressé un message de condoléances après la mort inopinée du président Pierre Nkurunziza. «Nous exprimons nos sincères condoléances à tous les Burundais et les amis du Burundi, mais en particulier sa famille et au gouvernement qu’il dirigeait. Nous savons qu’il n’y a personne d’autre qui puisse les consoler comme il faut, si ce n’est le Seigneur Dieu».
Les Evêques catholiques du Burundi remercient le président Pierre Nkurunziza «pour les nombreux biens qu’il a accomplis pour le Burundi tout au long de son travail de président de la République». Ils exhortent tous les Burundais à conjuguer leurs efforts afin de continuer à honorer sa mémoire en sauvegardant l’héritage qu’il laisse de donner la priorité à Dieu en tout et de consolider l’unité et la paix. « Que Dieu nous garde dans la tranquillité en ce moment de souffrance causée par sa mort, aujourd’hui et dans les jours à venir».
Léonce Ngendakumana : « Je garde de lui l’image d’une personnalité très résistante aux pressions
Vice-président du parti Sahwanya-Frodebu et ténor de la scène politique burundaise, Léonce Ngendakumana parle d’une perte énorme pour le Burundi et la nation toute entière.
« Je garde de lui une personnalité très résistante aux pressions, ferme dans ses prises de décision, fière d’elle-même et qui aimait la prière et le sport», témoigne ensuite M. Ngendakumana.
Au peuple burundais, l’ex-candidat à la présidentielle du Sahwanya-Frodebu demande aux Burundais « de prendre acte de cette disparition tragique, de rester unis, sereins et éviter toute forme de spéculation durant ce moment de recueillement ».
Domitien Ndayizeye : « Il s’est difficilement adapté à la gestion des affaires politiques »
Pour l’ancien président de la République, Domitien Ndayizeye, la mort du président Nkurunziza est une surprise. « Nous avions l’image d’un président jeune, sportif, donc, c’est vous dire à quel point nous étions loin de nous attendre à cette triste nouvelle !
De son règne, le prédécesseur du président Pierre Nkurunziza indique que « le président décédé aura su maintenir le pays la tête hors de l’eau malgré un contexte international assez tourmenté.»
Toutefois, celui qui fut président de la seconde période de transition précise que les années de maquis ayant précédé la prise de pouvoir de Pierre Nkurunziza ont durablement impacté l’exercice du pouvoir de ce dernier. « Il s’est difficilement adapté à la gestion des affaires politiques ». Et d’espérer que le successeur élu saura combler les défaillances du président défunt.
Adolphe Rukenkanya : « Un homme d’une convivialité sans pareil »
L’ancien professeur et directeur de mémoire garde du défunt président, un homme avec un leadership hors pair. Une qualité qui s’est vite remarquée dès son entrée à l’Université. « Il a vite pris les rênes, devenant le responsable de sa promotion».
M .Rukenkanya se souvient aussi de son caractère fort : « Quand il ne comprenait une chose, il n’hésitait pas à demander pour avoir d’amples éclaircissements.» Un jour, raconte-t-il, en pleine démonstration sur la façon de lancer le javelot, j’ai utilisé une lance. Un choix qui l’a piqué vif. « Tout furieux, il est venu vers moi et m’a demandé pourquoi, je n’ai pas lancé un objet autre que cette lance? » La scène m’a laissé de marbre, parce que je n’avais de compte à lui rendre en tant qu’enseignant.
Plus important, se souvient l’ancien ministre des Sports, quand il avait une idée en tête, il la mûrissait à fond. Allusion faite à son acharnement pour sortir de terre son rêve. « Le complexe sportif qu’il a construit chez lui à Buye ».
Invité en tant qu’éducateur lors de la célébration de ses 50 ans d’anniversaire, M. Rukenkanya se rappelle de la convivialité et de la simplicité du défunt président. « Contrairement aux autres dirigeants de ce monde coutumiers des célébrations en grande pompe, et dont les invités sont triés sur le volet, j’ai été étonné de trouver un parterre d’invités uniquement constitués de ses enseignants de l’école primaire, du secondaire et de ses voisins. J’étais le seul membre du gouvernement ».
Le parcours du président Pierre Nkurunziza
Né à Buye(Ngozi) en décembre 1964, Pierre Nkurunziza était détenteur d’une licence en éducation physique et sportive à l’Université du Burundi, obtenue en 1991. Après une brève carrière dans l’enseignement secondaire, il est engagé comme professeur assistant à l’Université du Burundi (1992- 1994). En 1995, il rejoint la rébellion après avoir échappé à une tentative d’assassinat.Au maquis, il gravit vite les échelons. En 1998, Pierre Nkurunziza est nommé Secrétaire Général puis président du mouvement Cndd-Fdd en 2001. A la suite de la signature du cessez-le-feu de novembre 2003 avec le gouvernement de transition, le Cndd-Fdd est agréé en 2004 comme parti politique, toujours sous la présidence de Pierre Nkurunziza. Dès son retour à Bujumbura, il devient le « super ministre » d’Etat en charge de la Bonne gouvernance.Lors des élections de 2005, Pierre Nkurunziza est élu président de la République au suffrage universel indirect et succède le 26 août à Domitien Ndayizeye.
En 2010, au terme d’une élection boycottée par l’opposition, il est reconduit à ce poste.
En 2015, en dépit de l’Accord d’Arusha limitant le nombre de mandats présidentiels à deux, il se représente à nouveau. Une candidature qui provoque une grave crise sociale et politique dont les conséquences restent vivaces.
Président du très respecté comité des Sages, un organe restreint qui inspire la gestion du Cndd-Fdd, en mars 2018, le président Nkurunziza avait même été élevé par son au grade de « visionnaire permanent ». La même année, il promulgue une nouvelle Constitution qui n’est toujours pas entièrement en vigueur et qui accorde une place inédite au « Tout-Puissant » dans les institutions burundaises.
Il tire sa révérence alors qu’en février 2020, le Parlement venait de le proclamer Guide suprême du patriotisme. Pour rappel, le 20 août marquait la fin de son 3ème mandat. Le président Nkurunziza avait 55 ans.