Dimanche 24 novembre 2024

Politique

Le Frodebu revient à la charge

Le Frodebu revient à la charge
Frodebu : « Le pays nous appartient tous »

Enlèvements et assassinats ciblés, exclusion dans les postes de prise de décisions, dans les recrutements, corruption… Le parti Sahwanya Frodebu décrit une image peu reluisante de la situation socio-politique du pays. Pourtant, ses dirigeants affirment qu’ils ont beaucoup contribué à la naissance du CNDD-FDD.

Par Rénovat Ndabashinze et Pascal Ntakirutimana

Les cérémonies marquant le 31e anniversaire de la victoire du parti Frodebu à la présidentielle du 1er juin 1993 ont eu lieu à Gitega, la capitale politique.

Déjà, Daniel Manirakiza, représentant de ce parti dans cette circonscription, trouve la situation intenable. « Notre fédération, qui est la province de Gitega, fait face à beaucoup de problèmes. La pauvreté fait rage dans les familles. Se déplacer est devenu un casse-tête, sans oublier la pénurie des boissons de la Brarudi alors que leurs prix ont été revus à la hausse. » Selon lui, ne fût-ce que pour acheter un panier de patates douces, il faut environ 10 mille BIF. « Et ce n’est pas tout le monde qui peut se le permettre. Il n’y a plus de sucre. Pour en avoir, il faut faire la file indienne. » D’après lui, il est actuellement difficile pour une famille de se rendre à Bujumbura. Il évoque également le chômage extrême qui sévit dans cette province.

Côté droits de l’homme, la situation n’est guère rassurante. « Nous constatons encore des gens qui se cachent derrière les grandes personnalités du pays pour nuire aux autres, car ils savent qu’une fois inquiétés, ils seront facilement libérés. » M. Manirakiza n’a pas cité de noms. Toutefois, il se réjouit de la bonne cohabitation entre les partis politiques, « sauf qu’il y a des gens qui méprisent les autres », regrette-t-il.

Le CNDD-FDD, une « création du Frodebu » ?

À cette occasion, Léonce Ngendakumana, un des poids lourds de ce parti, n’a pas mâché ses mots : « Quand nous avons créé le parti Frodebu, nous disions que les Hutus étaient discriminés, mais depuis l’accession du CNDD-FDD au pouvoir, ce dernier a écarté le Frodebu. Durant 19 ans de pouvoir, il n’a engagé aucun militant du Frodebu. On engendre son propre problème, je vous le dis. » L’ancien président de ce parti a affirmé haut et fort que c’est le Frodebu qui a créé le CNDD-FDD : « Nous les avons financés en matériels, en médicaments, en nourriture et nous les avons aidés financièrement, nous avons tout fait pour eux. » Ce que Patrick Nkurunziza, le président actuel de la formation, a confirmé : « C’est l’œuvre du Frodebu. Les dirigeants actuels doivent l’accepter. Vous entendez certains dire qu’ils se sont coalisés suite à la colère. Pourquoi ne pas mettre en place aujourd’hui quelque chose de similaire au CNDD-FDD alors que nous sommes frustrés ? Le CNDD-FDD doit l’accepter : c’est une œuvre du parti Frodebu. »

Il a ensuite annoncé que, depuis le 1er juin, son parti a lancé une campagne visant à faire comprendre au CNDD-FDD que le pays nous appartient tous : « Brisez la peur partout où vous passez. Le CNDD-FDD doit comprendre que ce pays nous appartient tous », a-t-il insisté.

Exclusion dans les recrutements

Concernant l’exclusion dans les recrutements, M. Ngendakumana a reconnu qu’un seul militant du Frodebu a été engagé par le CNDD-FDD. Il s’agit, selon lui, de Patrick Nkurunziza, l’actuel président du parti, qui a été, par la suite, licencié. « Nous ignorons ce qui s’est passé, mais il s’est levé un matin et il était viré. » Faisant référence au programme du feu président Melchior Ndadaye, il estime que ses idéaux n’ont pas été suivis. « Aujourd’hui, le mensonge persiste. Quand tu dis Reta-Mvyeyi, où est le Frodebu ? Tu l’exclus ? Quand tu dis que chaque poche doit avoir de l’argent, les Frodebistes n’en ont-ils pas besoin ? »

Ngendakumana ne comprend pas comment on peut déclarer que le pays vit à 100 % dans la paix et la sécurité tout en continuant à entendre parler d’enlèvements, de fouilles, d’arrestations arbitraires, etc. D’après lui, un simple paysan peut décider de la peine de mort : « Cela se passe souvent. On apprend que quelqu’un a été enlevé, on le cherche et on ne le retrouve pas. Le lendemain, tu apprends que son cadavre a été retrouvé dans une rivière ou ailleurs. Et là, on se demande si la peine de mort a été restaurée. »

Pour lui, il vaut mieux l’officialiser et procéder à des pendaisons publiques plutôt que de jeter les corps dans la brousse. Il a également déploré la manière dont on accède au pouvoir. « La démocratie, c’est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. On met en avant l’intérêt de la population. Mais aujourd’hui, le pouvoir vient d’une autorité et pour son intérêt. » Pour cet ancien président de l’Assemblée nationale, il faut une école de la démocratie au Burundi.

D’après lui, le parti au pouvoir ne tolère pas les voix discordantes et les critiques. Pour que cela cesse, M. Ngendakumana suggère de mettre fin à toutes ces actions qui suscitent des dénonciations. Il a donné quelques exemples : « Pouvons-nous dire que nous avons du sucre alors qu’il n’y en a pas ? Allons-nous nous taire alors que les enfants n’apprennent rien à l’école ? Allons-nous cesser de crier alors que des personnes sont enlevées et retrouvées mortes ? C’est impossible. Qu’ils sachent que le parti Frodebu va dénoncer les mauvaises pratiques s’ils continuent et nous sommes prêts à faire face aux conséquences. »

« Refuser un pouvoir autoritaire »

Les inziraguhemuka lors de la célébration du 31e anniversaire du Frodebu à l’élection présidentielle de juin 1993

« Ndadaye voulait un Burundi respectueux et respecté où les Hutus, les Tutsis, les Ganwa et les Twa doivent se coaliser pour refuser un pouvoir autoritaire », a rappelé M. Ngendakumana, appelant tous les Burundais à « refuser un pouvoir autoritaire ». D’après lui, les dirigeants en place ont échoué sur tous les plans et la corruption est devenue une pratique qui continue à asphyxier les Burundais par les impôts et les taxes. « Ils veulent faire régresser tous les droits acquis avec l’avènement du parti Frodebu en 1993. »

Revenant sur le mal de la société burundaise, Léonce Ngendakumana a souligné que le problème burundais n’est pas ethnique. Pour justifier cela, il a donné l’exemple d’anciens officiers militaires tutsi qui ont dirigé le Burundi en ayant toujours recours à des coups d’État, et des dirigeants actuels du CNDD-FDD qui discriminent les Hutus. Il a cité le cas d’Agathon Rwasa, ancien rebelle comme eux.

Face aux enlèvements et aux arrestations arbitraires, M. Nkurunziza a appelé les militants de son parti en particulier et les Burundais en général à « résister » : « Il faut toujours exiger des mandats d’arrêt ou d’amener quand des gens à bord de véhicules aux vitres teintées viennent enlever des citoyens. »

Alors que nous nous dirigeons vers les législatives de 2025, ces ténors du parti de Melchior Ndadaye n’ont pas manqué de revenir sur la composition de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). « Il suffit de vaincre la peur. Même en 1993, quand nous avons gagné contre l’Uprona, la Ceni était monocolore », a-t-il rappelé. Il a d’ailleurs appelé ses militants à ne plus cacher leurs foulards et chapeaux du parti.

S’ils ont peur des Imbonerakure, il a déclaré qu’eux aussi sont frustrés : « Ce sont nos frères et ils sont touchés eux aussi par la pauvreté. […] À part les Motorola qu’on leur a donnés pour leur faire comprendre qu’ils sont forts, ils n’ont rien. Est-ce qu’ils peuvent manger ces Motorola ? Vous devez leur rappeler que le Burundi a sombré. Vous devez les conscientiser. »


Réactions

Gaspard Kobako : « C’est une triste réalité »

« Oui, je confirme que la lutte du CNDD dirigée par Léonard Nyangoma a été soutenue par le Frodebu. En effet, il était lui-même le patron de la propagande politique du Sahwanya Frodebu. Cette propagande a conduit à la victoire lors des élections du 1er juin 1993. Deuxièmement, le 1er et le 2e vice-présidents ainsi que son chef de cabinet étaient issus du parti Sahwanya Frodebu. Troisièmement, moi-même je gérais un des départements en charge des réfugiés et des rapatriés qui étaient du Frodebu », commente Gaspard Kobako, président du parti AND Intadohoka.

Concernant les malversations, les recrutements basés sur l’appartenance politique, etc., c’est une triste réalité selon M. Kobako. Il indique que la situation actuelle reflète l’image décrite par le Frodebu. Et d’émettre une suggestion pour tourner la page : « Nous proposons au parti au pouvoir de rompre avec cette fâcheuse habitude de s’acharner, car on ne peut pas régner sur des cadavres. On ne peut pas se maintenir au pouvoir en emprisonnant. L’histoire juge et elle ne recule pas. »

Kefa Nibizi : »Il est normal de demander des comptes au pouvoir et de faire des analyses critiques »

Selon Kefa Nibizi, président du parti Codebu, il est normal pour le Frodebu, comme pour tout citoyen ou toute personne de l’opposition, de demander des comptes au pouvoir et de faire des analyses critiques. « D’autant plus que le Frodebu réclame avoir donné naissance à cette formation politique lorsqu’elle était encore un mouvement armé », poursuit-il. « Il devient normal de prendre une position critique et objective sur les événements qui se déroulent dans le pays sous la houlette de ce système. »

Le président du Codebu signale que le tableau peint par le Frodebu sur la vie politique et socio-économique du pays reflète exactement le quotidien de la population et ne fait que répéter ce qui est décrié par d’autres acteurs. « Que ce soit dans le domaine des droits humains ou dans d’autres, il est difficile de trouver des avancées enregistrées à l’actif du pouvoir. Par contre, on a reculé sur beaucoup de points, surtout par rapport au début. », constate tristement ce politique.

Pour lui, la seule réussite que le parti au pouvoir pouvait revendiquer est la sécurité. Mais là aussi les failles sont visibles. « On ne peut pas clamer haut et fort assurer la sécurité de tous les Burundais alors que certains ont fui le pays sous votre régime. À cela s’ajoutent des événements d’insécurité qui ont coûté des vies à Gatumba et ailleurs. »

Kefa Nibizi encourage le Frodebu à continuer sur la voie d’une analyse objective et critique de la situation socio-économique de notre pays. Il s’engage également à ce que le Frodebu, en collaboration avec d’autres, apporte une contribution significative lors des prochaines élections. « Je demanderais également au pouvoir de rectifier le tir, car cette sonnette d’alarme du Frodebu vient après beaucoup d’autres depuis 2005. », rappelle-t-il.

UPD-Zigamibanga : « Il est temps de briser le silence »

« Les déclarations du parti Frodebu engagent ses responsables et je pense qu’ils en assument la responsabilité. Cela étant, le parti UPD-Zigamibanga trouve qu’il est temps de briser le silence comme vient de le faire le Frodebu », réagit Abdul Kassim, président du parti UPD-Zigamibanga.

D’après lui, la situation actuelle telle que décrite par le parti Frodebu est malheureusement juste. « Le quotidien de la population burundaise, qui se lasse de voir la démocratie pour laquelle elle a lutté être aujourd’hui confisquée par une aristocratie au pouvoir du CNDD-FDD. »

Le parti UPD-Zigamibanga propose aux ténors du parti présidentiel de revoir leur idéologie, de méditer sur leur devise et l’hymne du parti, d’interroger la population et de tirer les conclusions qui s’imposent.

Iwacu a tenté de joindre Doriane Munezero, secrétaire nationale chargée de l’information et de la communication du parti CNDD-FDD, pour recueillir ses réactions par rapport aux propos du Frodebu, mais en vain.

 

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Rupande

    Pourquoi le Frodebu parle qu’il a aide le CNDD FDD a etre la ou il est aujourd’hui et que le CNDD FDD n’est pas reconnaissant, mais eux meme oublient que c’est grace au PALIPEHUTU FNL qu’ils ont gagne les elections de 1993, ni etait l’enseignement clandestin du PALIPEHUTU FNL avant la venu du multipartisme au Burundi le FRODEBU ne devrait pas gagner les elections de 1993 mais malgre cela ca n’a pas empeche au feu NDADAYE MELCHIOR de denigre publiquement le PALIPEHUTU FNL, en disant que c’est un petit groupe de gens qui possede 5 fusils , et aujourd’hui les voila defendre Rwasa Agathon , tout se paye ici bas .

  2. Hihi

    Tout cela n est qu un cirque
    la seule chose qui les préoccupe c’est occuper des postes, et recevoir du fric
    C est une véritable prostitution bien orchestrée par le Pouvoir
    Qui va donner des miettes
    Le Frodebu n a aucune vision politique du pays
    Comme la majorité des partis opposition
    Le peuple ils en ont rien à « faire »

    • Ndirabika

      « ´le Rfodebu comme les autres partis n’ont pas de vision.. »
      Mais seul ton parti a une vision?

      • Stan Siyomana

        @Ndirabika
        1. Il se pourrait que Hihi n’appartienne a aucun parti politique au Burundi.
        2. Pourriez-vous nous informer et nous dire ou l’on peut trouver le document sur la vision du parti au pouvoir CNDD-FDD, ou de l’UPRONA, ou du CNL, ou du FRODEBU. Il serait interessant de comparer les differentes visions et voir laquelle semble etre la meilleure.

        • ger

          Mon cher Stan,

          Abarundi uratugaya ubundi, ivyandiko dukora bimeze neza cane. visions, strategies, discours, etc. Vyose bimeze neza cane.

          Ahusanga ibihushane, n’ukwiyumvamwo, ivyo twandika canke ivyo tuvuga.

          • Stan Siyomana

            @ger
            1. Jewe sinogaya abarundi kandi nanje ndi umurundi naho ntaba mu Burundi kuva imyaka myishi.
            2. Ntihari hakwiye kuba « Ahusanga ibihushane, n’ukwiyumvamwo, ivyo twandika canke ivyo tuvuga… »
            Aha uciye unyibutsa aho Nyakubahwa perezida Varisito Ndayishimiye mumezi aheze wenyene yivugiye ko mugisagara ca Bujumbura harimwo abantu benshi bari muri CNDD-FDD kandi uwo mugambwe batawiyumvamwo.
            3. Rero iyo migambwe yose y’i Burundi ni ije yerekana aho ihagaze kugira abantu tugire ico tubivugako.

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