Le président de la République, Evariste Ndayishimiye a lancé le jeudi 14 novembre 2024, à la prison de Muramvya, l’activité de désengorgement des prisons où 477 détenus ont été libérés. Il est prévu que 5 442 prisonniers seront graciés dans tout le pays sur un effectif de 13 211 détenus. De leur côté, certains défenseurs des droits humains recommandent le respect de la grâce et surtout d’autres mesures d’accompagnement pour éviter des cas de récidive et/ ou de vengeance.
« La surpopulation carcérale nous préoccupe plus. C’est un fardeau, non seulement pour le pays mais aussi pour les familles des détenus. Le logement, la restauration, l’habillement et les frais de santé pour les prisonniers exigent des sommes colossales. L’Etat et les familles perdent énormément », a fait savoir le président Ndayishimiye, lors du lancement de cette opération d’élargissement des prisonniers.
Chaque année, a précisé le chef de l’Etat, le gouvernement burundais dépense une somme qui avoisine 15 milliards pour faire fonctionner les prisons. Un grand budget, a-t-il fait observer, qui peut être affecté dans d’autres secteurs telle que la construction des écoles ou des hôpitaux.
Il estime qu’il s’agit d’une grande perte pour le pays d’entretenir quelqu’un dans une prison qui est bien portant alors qu’il peut participer au développement du pays.
Parlant des bénéficiaires de cette grâce, le président Evariste Ndayishimiye a indiqué qu’on a mis en avant ceux qui ont commis des infractions mineures ; ceux ayant déjà purgé le quart de leur peine ; les vulnérables tels que les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants qui ont un handicap physique ou mental, ou les prisonniers souffrant de maladies chroniques et les personnes âgées.
A ceux-là, a-t-il précisé, s’ajoutent les prisonniers ayant purgé leur peine principale mais qui sont sous contrainte par corps.
Toutefois, a-t-il rappelé, la grâce ne concerne pas les prisonniers ayant commis des crimes de sang ou accusés d’atteinte à la sécurité nationale ; ceux qui ont commis des crimes de génocide ou de viol, tout en souhaitant que la grâce soit une occasion à ceux qui ne l’ont pas obtenue de s’amender.
Du respect de la loi
Le président de la République a demandé aux bénéficiaires de la grâce de couper court avec certains comportements surtout l’oisiveté et la paresse qui peuvent les conduire à la récidive.
Il les a prévenus qu’il n’y aura plus de pardon pour les récidivistes. « Ils seront doublement punis par la circonstance aggravante car cela signifiera qu’ils ne se sont pas amendés », a-t-il martelé.
Par ailleurs, le Magistrat suprême s’est montré intransigeant envers ceux qui sont accusés de détournement des biens publics, de malversations ou de corruption. « Ils doivent restituer les biens volés et payer les sommes indues. Ils ne pourront en aucun cas réintégrer la Fonction publique et même ceux du secteur privé ne sont pas autorisés à les embaucher », a-t-il mis en garde.
A défaut de payer les dommages-intérêts aux victimes, a-t-il insisté, les biens des coupables seront saisis et vendus pour rétablir les victimes dans leurs droits.
Le chef de l’Etat trouve que punir les coupables, c’est rendre justice aux victimes, tout en martelant que « quand il n’y a pas de justice publique, la justice privée s’installe ».
En outre, le chef de l’Etat a exhorté ceux qui instruisent les dossiers des justiciables de bien enquêter et de ne plus privilégier la détention mais plutôt la liberté ou la restitution des biens volés. « Que personne ne soit emprisonné sur simple suspicion sans qu’il ne s’avère réellement qu’il a commis l’une ou l’autre infraction qui lui est reprochée », a conseillé le Numéro Un burundais.
Il a en outre fait savoir que libérer ne signifie pas laisser les gens continuer à commettre les infractions mais que l’emprisonnement devrait être une décision de dernier recours. « Nous encourageons les magistrats à privilégier d’autres alternatives à la peine d’emprisonnement ».
Enfin, le président Ndayishimiye est revenu sur le respect de la procédure en insistant par-là sur le fait qu’il existe des prévenus qui passent de longs moments dans les prisons sans être jugés.
Il faut des mesures d’accompagnement
Certains défenseurs des droits humains saluent la mesure de grâce présidentielle de désengorger les établissements pénitentiaires. Ils estiment que c’est une première dans l’Histoire des prisons au Burundi qu’un effectif de 5 442 prisonniers soit libéré.
« C’est une réponse à nos préoccupations. C’est un fardeau qui a été levé sur nos épaules. C’est un soulagement pour les prisonniers et leurs familles », se réjouissent-ils.
Cependant, Vianney Ndayisaba, coordinateur national de l’Association de lutte contre le chômage et la torture (Aluchoto), en appelle à ceux qui sont chargés de l’opération d’élargissement de respecter la loi et partant la parole donnée du président de la République.
« Le chef de l’Etat a instruit les responsables des prisons à s’exécuter en endéans deux semaines », a-t-il rappelé.
Par ailleurs, ces défenseurs des droits des prisonniers font observer qu’il ne suffit pas de libérer ces prisonniers. Ils recommandent des mesures d’accompagnement pour une bonne réinsertion dans la communauté.
« Ceux qui sont libérés rentrent démunis. Même ceux qui avaient du travail avant ne sont pas directement réintégrés. Il leur faut une assistance multiforme pour éviter qu’ils ne récidivent pas suite à la faim ou à la pauvreté », plaide Jean Marie Nshimirimana, président de l’association Solidarité avec les prisonniers et leur famille, SPF/Ntabariza.
Il interpelle l’administration et le ministère en charge de la Solidarité et des droits de l’Homme de venir en aide à ces personnes libérées.
Ce défenseur des droits des prisonniers évoque aussi le cas des femmes qui, une fois libérées, sont souvent rejetées par leurs maris ou leurs belles familles.
« Quand les femmes sont emprisonnées, leurs maris les délaissent et se remarient. Quand elles sont relâchées, elles éprouvent des difficultés de réintégration car elles sont rejetées soit par leurs maris ou leurs belles familles. Elles ont besoin d’être assistées moralement et matériellement », plaide-t-il.
Quand une personne est privée de liberté, fait observer M. Nshimirimana, c’est toute la famille qui en souffre. Il interpelle certains juges à faire un examen de conscience avant de prendre toute décision.
« Des fois, nos juges exagèrent dans leurs décisions. Imaginez-vous infliger à une personne une peine de plus de 100 ans alors qu’elle ne vivra même pas 80 ans. C’est le faire mourir vivante. Ses pensées et son comportement changent subitement et elle peut directement en mourir ».
Comme le chef de l’Etat, Jean Marie Nshimirimana déplore aussi le non-respect des délais de procédure pénale. D’où, épingle-t-il, des justiciables passent plus de six mois voire une année sans comparaître devant le juge. « De tels cas existent et ils sont nombreux », précise-t-il.
Il trouve que ceux-là devraient être mis en liberté tout en promettant de donner le rapport sur ces cas afin que leur situation soit analysée.
Créer des centres d’écoute et de rééducation
M. Nshimirimana a émis quelques recommandations aux uns et aux autres. Il encourage ainsi la création des centres d’écoute et de rééducation dans lesquels les personnes libérées doivent transiter pour y recevoir des conseils qui leur permettront une bonne réinsertion sociale dans la communauté.
« Ces centres permettraient à ces personnes libérées de rassurer la communauté qu’elles ne viennent pas commettre d’autres infractions mais qu’elles veulent plutôt une bonne cohabitation ».
Tout en saluant la libération des prisonniers sous contrainte par corps, il leur recommande de ne pas s’enorgueillir mais de s’engager plutôt à rembourser les dettes.
Même interpellation du côté de Vianney Ndayisaba. Il soutient le président de la République qui interdit à ceux qui sont accusés de détournement de réintégrer le secteur public ou privé. « Cela pourra servir de leçons à ceux qui gèrent les biens publics de le faire en bons pères de famille ».
Dans le cas contraire, fait observer M. Ndayisaba, ces personnes tenteraient aussi de détourner d’autres deniers publics. « Il faut à tout prix qu’elles remboursent pour que ces sommes servent au développement du pays », insiste-t-il.
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