Lundi 25 novembre 2024

Politique

Le Cnl asphyxié ?

Le Cnl asphyxié ?
Le président du Cnl, Agathon Rwasa, entouré par la nouvelle équipe dirigeante du parti lors du congrès extraordinaire du 30 avril

Dans une lettre rendue publique ce 2 juin, le ministre en charge de l’Intérieur, a annoncé la suspension de toutes les activités du parti Cnl sur tout le territoire national. Une mesure qui irrite le patron de ce principal parti d’opposition qui dénonce ‘’une dérive dictatoriale’’.

Par Alphonse Yikeze, Jérémie Misago et Stanislas Kaburungu

Samedi 3 juin. Une dizaine de policiers ont pris position devant l’entrée de la permanence nationale du parti Congrès national pour la liberté (CNL) sise à Mutanga-Nord dans la ville de Bujumbura.

A 10 heures, l’entrée de cette permanence du CNL, le principal parti d’opposition dirigé par Agathon Rwasa, était bloquée par ces policiers. Certains militants portant des badges de ce parti n’ont pas été autorisés à entrer. Ils n’ont pas eu d’explications sur ce refus.

Au quartier 9 en zone urbaine de Ngagara où se trouve sa nouvelle permanence en construction, la situation était la même. Trois policiers s’y trouvaient aussi à 10h30.

Sur son compte Twitter, le CNL a indiqué que « la police bloque toute entrée et toute sortie » dans sa permanence nationale : « Cela est d’autant plus inquiétant pour les Inyankamugayo que les policiers en charge de la sécurité des responsables de ce parti ont été rappelés et pourraient être retirés ».
Plus tard, le secrétaire général du parti CNL, Simon Bizimungu, a expliqué que les policiers étaient présents à la permanence dès 4h30 du matin : « Nous ne savons pas encore ceux qui les ont envoyés et la raison derrière leur présence sur les lieux. Le parti CNL est reconnu par la loi et respecte la loi. Il est inquiétant que des policiers soient déployés à la permanence sans en avoir informé les dirigeants du parti ».

Dans sa correspondance du 17 mai, le ministre Martin Niteretse avait invalidé les conclusions des récents congrès ordinaires et extraordinaires du CNL.

Retrait de la garde rapprochée

« Les policiers chargés de ma sécurité ont reçu l’ordre de quitter ma résidence. Les remplaçants sont arrivés sans que je sois informé de ce changement. On m’a dit que c’est une simple relève. En matière de sécurité, le concerné devrait normalement choisir sa garde rapprochée », fustige Agathon Rwasa, président du parti Cnl, contacté par Iwacu.

Il dit n’avoir pas accepté cette nouvelle garde : « Je ne peux pas accepter une garde qui m’est imposée alors que je ne connais même pas les mobiles derrière ce changement ».

Agathon Rwasa indique qu’il a contacté le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique : « Il m’a répondu qu’il ne dispose pas d’informations à ce sujet et qu’il allait se renseigner ».

Sur son compte twitter, le ministère de l’Intérieur, du développement communautaire et de la Sécurité publique a parlé d’une relève normale du personnel de la Police : « C’est une routine à la Police nationale et à la FDNB (Force de défense nationale du Burundi) ».

De mal en pis

Dans sa lettre du 2 juin, le ministre burundais de l’Intérieur, Martin Niteretse, a annoncé la suspension, sur tout le territoire national, des activités organisées par ‘’les organes irrégulièrement mis en place’’.

Pour justifier une telle décision, le ministre est revenu sur les dissensions en cours au sein du Cnl et dit craindre des troubles à l’ordre public. « Seules les réunions de dénouement des tensions au sein de votre parti pourront avoir lieu après avoir demandé et reçu l’autorisation des autorités habilitées ».

Certains membres de l’ancien bureau de ce parti ont récemment envoyé une lettre au ministre de l’Intérieur pour s’opposer aux résultats du congrès extraordinaire tenu en mairie de Bujumbura en date du 30 avril. A l’issue, de nouveaux organes avaient été mis en place.

Notons que le 31 janvier dernier, dans une lettre adressée aux gouverneurs de province, le ministre Niteretse avait demandé à ce que les partis politiques puissent organiser librement leurs réunions. « Dans l’exercice de leurs libertés de réunion, ils informent les autorités, mais ne demandent pas l’autorisation ».

Deux poids deux mesures

Dans une lettre du 1er juin, le gouverneur de la province Kirundo, Albert Hatungimana, a fait savoir qu’en raison des conflits qui prévalent au sein du parti, les assemblées organisées par le Cnl dans les communes Busoni (3 juin) et Kirundo (4 juin), étaient suspendues.

Le gouverneur avance des raisons sécuritaires. « C’est pour éviter que les citoyens soient victimes de dommages collatéraux occasionnés par des troubles entre les militants de ce parti ».

Pourtant, courant 2021, quand des échauffourées avaient éclaté dans cette province entre les partisans de Jean-Baptiste Nzigamasabo et ceux d’Anastase Manirambona, cadres au sein du parti Cndd-Fdd dans la province Kirundo, le gouverneur Hatungimana n’avait jamais annoncé une suspension des activités du parti Cndd-Fdd dans sa circonscription.

Le visage du fanatisme à Gihungwe

C’est un discours qui laisse songeur. Le 27 mai dernier, devant un petit parterre de militants du parti Cndd-Fdd, Rémy Nsengiyumva, chef du parti Cndd-Fdd à Gihungwe (localité de la commune Gihanga en province Bubanza), a lancé des mises en garde pour le moins incongrues. « Que personne n’ose louer son local au parti Cnl. La personne qui ira quand même à l’encontre de cela et empochera cet argent pour que soit planté un drapeau du Cnl, ce qui ne s’est jamais vu ici depuis 2005, qu’elle sache qu’elle aura mis le feu dans la ville de Gihungwe ! »

Emporté par sa ferveur quasi religieuse, le mugumyabanga poursuit. « Ce sera comme se promener avec de la braise dans ses vêtements. A Celui qui osera faire ça, cette guerre prendra naissance dans tes vêtements et se terminera dedans ».


>>Réactions

Olivier Nkurunziza : « Les administratifs à la base ne doivent s’ingérer dans les affaires internes des partis politiques »

Pour le président du parti Uprona, il est important que les administratifs à la base ne s’ingèrent pas dans les affaires internes des partis politiques. « Cela a pour conséquence de verrouiller l’espace politique ».

Ce député de l’EALA ajoute aussi que son parti ne rencontre pas particulièrement d’obstacles au niveau des provinces et des communes, mais au niveau des chefs collinaires. « Ce sont souvent les chefs collinaires et les responsables du parti Cndd-Fdd au niveau collinaire qui nous mettent les bâtons dans les roues ! ».

Revenant sur le cas du Cnl, il demande au ministère de l’Intérieur d’être prudent « parce qu’il y’a des gens qui sont mal intentionnés et qui profitent des failles internes pour aboutir à des intérêts cachés en détruisant les partis politiques ».

Hamza Venant Burikukiye : « Il n’y a pas d’intolérance politique »

Pour cet activiste de la Société civile et représentant légal de CAPES+ (Collectif des associations des personnes infectées et affectées par le VIH/SIDA), les partis politiques d’opposition au Burundi ne sont nullement privés de leur liberté d’exercer leurs activités. « C’est une façon de camoufler leurs faiblesses dans leur rage de gagner les élections ».

Selon lui, l’existence du forum des partis politiques est le signe qu’il n’y a pas d’intolérance politique. « Les partis politiques vont jusqu’à planifier ensemble un projet commun de développement à l’instar des jeunes affiliés dans différents partis politiques y compris le parti Cnl à Ngozi ».
Ce militant de la Société civile demande aux partis d’opposition de ne pas perdre leur temps « à se lamenter sans raison ou à chercher des prétextes d’intolérance politique ». « Il faut qu’ils respectent les lois du pays, la loi sur les partis politiques »

Carina Tertsakian : « Une ingérence flagrante »

Pour la présidente de l’Initiative des Droits humains pour le Burundi (IDHB), les interventions récentes du ministre de l’Intérieur sont disproportionnées et destinées à entraver les activités du principal parti d’opposition, le Cnl. « On se demande pourquoi le ministre s’ingère dans des questions internes d’un parti politique qui ne concernent que les membres de ce parti et ne constituent pas une menace pour l’ordre public. S’il y a des problèmes de gouvernance ou de démocratie interne au Cnl, il appartient aux membres de ce parti de les résoudre ».

Et de dénoncer un parti-pris de la part du ministre. « Sa lettre du 2 juin, dans laquelle il suspend toutes les activités du CNL ‘’organisées par les organes irrégulièrement mis en place’’, constitue une ingérence flagrante. De même son insistance que le CNL doit obtenir l’accord des autorités avant même de pouvoir tenir des réunions pour résoudre ses tensions internes. Sans parler de sa décision de déployer des policiers pour interdire l’accès à la permanence du Cnl aux membres du parti samedi dernier ».

Mme Tertsakian estime que ces actions sont particulièrement inquiétantes dans un contexte où les membres du Cnl font régulièrement l’objet de harcèlement, d’intimidation et d’arrestations arbitraires. « Elles rappellent des interventions semblables du gouvernement pour diviser et affaiblir les partis d’opposition dans les années précédentes. Ces événements nous font craindre un nouveau regain de la répression politique dans la période qui précède les élections législatives de 2025 ».

Phénias Nigaba : « Quand on est de l’opposition, on n’est pas là pour chanter le pouvoir »

Le porte-parole du parti Sahwanya-Frodebu indique qu’à la veille des élections de 2025, l’intolérance politique prend une allure inquiétante. « Au niveau du parti Sahwanya Frodebu, nous avons déjà enregistré des cas d’intolérance à Bururi où notre drapeau a été arraché et l’auteur appréhendé. Malheureusement, il n’a pas été puni conformément à la loi. A Cibitoke, dans la commune Rugombo, un drapeau de notre parti a été arraché et les auteurs se sont volatilisés. Il y a une volonté d’empêcher qu’il y ait une visibilité de notre parti ».

S’exprimant sur le cas du Cnl, ce militant de la première heure du Frodebu rappelle le rôle des partis d’opposition. « Pourquoi les partis politiques sont créés ? C’est dans l’optique de conquérir le pouvoir et transformer la société. Quand on est de l’opposition, on n’est pas là pour chanter le pouvoir. C’est plutôt pour dire ce qui ne va pas et dénoncer les abus. C’est permis par la loi sur les partis politiques et la Constitution ».
Le porte-parole du Frodebu dit s’insurger contre toute tentative d’empêcher les partis politiques de fonctionner. « Nous ne nous lasserons jamais d’œuvrer pour la démocratie ».


Agathon Rwasa : « Nous assistons à une dérive dictatoriale »

Le président du Cnl estime que la suspension des activités de son parti politique ternit l’image d’un pays apaisé que véhiculent les autorités du pays.

Quelle est votre réaction par rapport à la récente décision d’interdire la tenue de toute activité de la part des organes de votre parti ?

Le ministre a réagi par l’arbitraire au lieu de se conformer au droit. En vertu de la loi sur les partis politiques de 2011, les partis politiques s’organisent librement et les pouvoirs publics n’ont pas à s’immiscer dans les affaires internes des partis politiques.

Du fait de sa casquette de ministre, il se donne le droit de malmener un parti politique qui s’organise en vertu de la loi nationale à des fins purement égocentriques. C’est un militant d’un parti politique qui est au pouvoir et qui aimerait s’y pérenniser autant que faire se peut quitte à recourir à tous les moyens possibles, l’arbitraire parmi tant d’autres, n’est pas à exclure.

Avez-vous respecté la loi ?

Oui, le Cnl s’est organisé et a agi conformément à la loi. Son congrès ordinaire du 12 mars dernier a procédé à l’amendement de ses statuts et de son règlement d’ordre intérieur. Les résultats de ce congrès ont été communiqués au ministre en temps utile.

Le parti a par la suite mené des descentes dans les cinq provinces conformément à la loi du 16mars qui fixe la nouvelle délimitation des provinces, communes, zones et collines. C’est quand même navrant de voir que le ministre fait volte-face après plus d’un mois et demi pour vérifier un congrès juste à cause d’une équipe gens qui l’aurait saisi et ce qui est étonnant, c’est qu’une fois qu’il a été saisi, il n’a pas cherché les organes du parti pour qu’on discute de cette saisine.

Vous étiez au courant que des militants ont saisi le ministre ?

Ces gens qui ont saisi le ministre n’ont même pas réservé une copie au parti, ce qui fait qu’on ignore la matière de cette saisine. Ne serait-ce pas un alibi que le ministre avance, en complicité avec ce petit groupe-là, en vue de paralyser les activités du parti Cnl. De surcroît, suspendre les activités du parti suppose que celui-ci est en contradiction avec la loi nationale. Or le Cnl ne s’est rendu coupable d’aucune infraction.
D’ailleurs, de quel droit le ministre juge-t-il d’illégitime les conclusions d’un congrès approuvées par la plupart des militants du parti ? Si on veut respecter la démocratie, il faut respecter le pluralisme politique consacré par la constitution. Et si tous les signaux sont au rouge dans un certain nombre de domaines, ce n’est pas à cause du Cnl, mais à cause d’un déficit de bonne gouvernance de la part de ceux qui gèrent le pays.

Samedi passé, une armada de policiers a investi et interdit l’accès aux bureaux et les lieux de rassemblements du parti Cnl ici en Mairie de Bujumbura. Il y a aussi le retrait de votre garde rapprochée. Comment faites-vous face à tout cela ?

Nous assistons à une dérive dictatoriale. Je ne comprends pas le lien qu’il y a entre ma sécurité personnelle et les gens qui veulent à tout prix faire éclater le parti. Le plus étrange, c’est de voir des autorités politiques qui se dérobent à leurs responsabilités. Samedi matin, j’ai contacté le ministre de l’Intérieur via WhatsApp. Me répondant après un long moment, il m’a demandé les permanences qui avaient été assiégées et, il m’a dit qu’il allait s’enquérir de la situation.

Chose pour le moins ubuesque, avant-hier, le ministre publie une lettre antidatée, je dis antidatée parce que s’il l’avait rédigée le 2 juin, il ne m’aurait pas demandé, le dimanche 4 juin, de lui dire les permanences assiégées alors que c’est lui qui avait donné l’ordre aux policiers d’investir les lieux. Ce qu’il a d’ailleurs reconnu implicitement dans un message dont il m’a fait part cet après-midi-là.

Le ministre pactise avec des militants qui se méconduisent au sein d’un parti politique et prétendre que c’est dans le but de ressouder le parti, c’est de la poudre aux yeux. Si le parti au pouvoir peut comprendre qu’il n’y a pas de régime éternel, il ne se livrerait pas à ces manœuvres-là. Les pratiques discriminatoires dans la gestion du pays ne nous mèneront nulle part. On est libre d’adhérer ou pas à un parti politique et le comble pour le pouvoir en place, c’est qu’il considère qu’on doit prêter allégeance au parti Cndd-Fdd alors qu’on doit le faire à l’égard de la Constitution et des lois du pays.

Le ministère de l’Intérieur a indiqué, à propos du retrait de votre garde rapprochée, que cela entrait dans le cadre du travail habituel de ses services. Votre commentaire.

Ce n’est pas du tout comme cela que ça se passe. C’est la personne qui a besoin d’être protégée qui choisit ses gardes du corps, ceux-ci ne lui sont pas imposés. Et même la personne assignée à assurer une garde rapprochée doit se sentir en confiance vis-à-vis de celui ou celle dont elle assure la protection. Pour votre information, les gardes que j’avais, ce n’est pas le ministre qui me les avait fournis. Pour les avoir, je m’étais adressé à l’inspecteur général de la Police car c’est lui qui a cette prérogative-là.

A deux ans du scrutin de 2025, que présage la situation actuelle ?

Le risque d’une élection monocolore avec un habillage démocratique. A plusieurs reprises, nous avons des partis politiques qui ne présentent jamais de candidats, mais qui disent qu’ils vont se rallier au parti au pouvoir. C’est ce scénario-là qui se dessine.

Aujourd’hui, avec cette suspension, quelle est la suite ?
Nous allons nous adresser au Premier ministre et au président de la République. Au-delà du juridisme qui semble être privilégié par le ministre de l’Intérieur, j’ose penser que le chef de l’Etat et son Premier ministre ont le souci de bâtir un Burundi où tout le monde a sa place.
Et ce n’est pas en suspendant les activités d’un parti politique agréé qu’on va améliorer l’image d’un pays apaisé que véhiculent les autorités burundaises.

Fin janvier, le ministre de l’Intérieur avait instruit les gouverneurs de province de respecter les droits et libertés des partis politiques. Quel bilan aujourd’hui de cette mesure ?

De quel bilan me parlez-vous ? C’est le ministre lui-même qui vient d’agir en contradiction de ce qu’il a dit. Que peut-on attendre de ses subalternes dans ce cas-là ? A ce moment-là, c’était sans doute pour séduire, mais maintenant, l’heure n’est plus visiblement à la séduction. On revient à la case départ où on sort les serres.

CNL

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Ntakirutimana Pascal

    La fragilisation de l’opposition est le propre du CNDD-FDD depuis son arrivée au pouvoir.

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