Arrestations, tortures, emprisonnements, dépossessions de leurs biens… Tels sont les déboires des jeunes burundais partis à la recherche de l’« eldorado tanzanien ». Souvent sans documents de voyage, ils sont arrêtés et renvoyés au Burundi dans un état critique. Iwacu s’est rendu à Makamba pour recueillir leurs témoignages. Des récits glaçants.
Mabanda, un chef-lieu communal en plein développement, se situe dans la province de Makamba, au sud du Burundi. À moins de 5 km du poste-frontière de Mugina, qui sépare le Burundi de la Tanzanie, ce centre urbain semble en apparence prospère.
La circulation y est dense et les boutiques débordent de clients. Cependant, derrière les murs de certaines maisons se cache une autre réalité. L’histoire des mineurs et des jeunes hommes renvoyés de Tanzanie est sur toutes les lèvres.
Chez Adelaïde, surnommée Maman Bella, chaque semaine, de nouveaux enfants arrivent. Ils se présentent chez elle mal habillés, affamés, épuisés et souffrants. Dans la matinée du 26 novembre dernier, une dizaine d’autres sont arrivés, tels des squelettes ambulants.
Parmi eux, Désiré Nishimwe n’a que 15 ans. Originaire de la commune Buhiga, dans la province de Karusi, ce cadet d’une fratrie de sept enfants est parti en mai dernier.
D’après son témoignage, il a été recruté par un homme de sa localité travaillant en Tanzanie : « Il est venu à la maison et m’a proposé de me trouver un travail. Comme j’avais déjà quitté l’école, nous en avons discuté avec mes parents qui ont donné leur accord. »
Le jour de son départ, Désiré a quitté le toit familial à 1 h du matin. « Nous sommes partis en direction de Gitega. Arrivés dans la capitale politique, un autre véhicule nous a conduits jusqu’à la Société sucrière du Moso (Sosumo). De là, nous avons pris une moto en direction de la frontière. Avec d’autres jeunes, nous avons traversé la rivière Malagarazi à bord d’une pirogue. Les passeurs étaient des Burundais. »
Une fois en Tanzanie, ils ont passé quelques jours chez un Tanzanien, leur futur employeur. La périlleuse aventure ne faisait que commencer : « Une nuit, nous avons été emmenés en pleine forêt de Mvurwe. Là-bas, nous avons commencé à récolter du manioc et du maïs sans être payés. »
Selon Désiré, le passeur burundais recevait leur paiement à leur place. « Mon accord avec le patron était qu’il me payerait en décembre, mais il a ensuite affirmé que nous ne rentrerions qu’en juin 2025. C’est après ce désaccord que nous avons été arrêtés. » On lui avait promis un salaire de 40 000 shillings tanzaniens.
La vie dans la forêt
Pour s’abriter, ces jeunes burundais construisent de petites huttes. Désiré Nishimwe raconte qu’à l’intérieur de cette forêt, il y a des animaux comme des singes, des chacals, etc. « Des serpents aussi vivent là. Les moustiques grouillent de partout. Il fait également froid », précise-t-il.
Dans leur campement de fortune, souligne-t-il, ils étaient au nombre de douze.« On mangeait toujours de la pâte de maïs et des haricots. Normalement, le jour du transfert vers cette forêt, vous partez avec un stock d’aliments. Quand il s’épuise, vous faites un appel au recruteur qui informe à son tour le patron tanzanien. Là, il peut ou non vous apporter d’autres quantités. On mangeait deux fois par jour. »
Selon son témoignage, le travail commençait à 5 h du matin pour se terminer à 17 h. En cas de maladie, on n’avait droit qu’à quelques comprimés sans aucune consultation médicale. « En fait, on n’était pas autorisé à sortir de cette forêt. Même pour avoir de l’eau, il n’y a qu’une seule source. »
Arrestations, tortures et emprisonnements
Des blessures, des plaies encore béantes témoignent de l’ampleur des violences physiques que ces jeunes ont subies lors de leurs arrestations et emprisonnements. Sur sa jambe gauche, Désiré Nishimwe a une plaie non soignée. Au niveau des genoux, de petites blessures se remarquent également.
Son visage laisse apparaître des douleurs et il ne parvient même pas à retenir ses larmes quand on l’interroge sur le jour de son arrestation : « En fait, je n’avais pas su que les Abagemu (éco-gardes) étaient à notre trousse avec leurs véhicules. Ce jour-là, je n’étais pas parti travailler parce que j’étais malade. Alors, j’ai vu mes amis revenir en courant. Et moi, malade, quand j’ai tenté de me sauver, ils m’ont encerclé et m’ont arrêté. »
Et le calvaire a commencé : « Ils m’ont battu avec leurs machettes, des gourdins, des bâtons et ils m’ont sérieusement giflé. » Des larmes dans les yeux, ce mineur indique qu’il a été, par la suite, conduit à leur poste. Avec d’autres capturés, précise-t-il, ils y ont passé deux jours. Chaque matin, ils étaient sérieusement battus, le ventre vide.
« Ils nous ont ensuite amenés dans un autre endroit, une prison. Et là, on dormait à même le sol, sans manger, sans couverture. Je remercie beaucoup le bon Dieu parce que je suis encore en vie. »
Le jeune Nishimwe n’est pas le seul à avoir vécu ce calvaire. Vincent Ngabirano est un autre jeune renvoyé de Tanzanie. Âgé de 18 ans, il est natif de la colline Gitongati, dans la commune et province de Muyinga. Une plaie au-dessus de son œil droit témoigne des souffrances endurées. Elle n’est pas encore guérie.
Lui aussi éprouve des difficultés pour raconter ce qu’il a enduré. Après quelques minutes de silence, il essuie ses larmes et témoigne : « Ce sont les Abagemu qui m’ont blessé au visage avec un couteau. Ils nous ont arrêtés en pleine forêt alors que nous cultivions. Notre patron nous a avertis tardivement. Ils étaient déjà sur place. Lorsque nous avons essayé de fuir, nous étions déjà encerclés. Les traces des bâtons ne sont plus visibles. »
Le jeune Vincent séjourne depuis deux semaines à Mabanda. Orphelin de mère, il indique qu’il était parti en Tanzanie parce qu’il n’était pas en bons termes avec sa marâtre. « Comme elle a d’autres enfants, elle me maltraitait beaucoup. Et mon père ne faisait rien pour défendre ma cause. » Vincent Ngabirano espérait gagner de l’argent et se procurer une propriété. Il a été arrêté au début du mois de novembre alors qu’il venait d’y passer seulement deux mois.
Joseph Bukuru, quant à lui, est parti en Tanzanie avec l’accord de ses parents. Âgé de 23 ans, ce natif de la colline Taba, dans la commune Gihogazi, province de Karusi est le cadet d’une fratrie de neuf enfants. Il se souvient lui aussi du jour de son arrestation : « En réalité, nous venions de terminer de labourer. C’était le moment de semer. Nous avons vu des véhicules arriver à toute allure. Je ne savais pas que la forêt était gardée. »
Avertis à temps, ses deux amis se sont vite échappés pour se cacher. « J’ai continué mon travail comme si de rien n’était. Ils m’ont directement arrêté et ont commencé à me tabasser en disant : vous venez ici sans documents et vous détruisez la forêt de l’État. »
Ce jeune homme indique qu’il a été sérieusement torturé pour qu’il révèle le nom de son patron. « Je ne connaissais pas son nom. Ils m’ont conduit là où ils avaient rassemblé d’autres jeunes capturés dans cette forêt. Ils étaient nombreux, y compris des enfants. » Ils y ont passé deux jours. Chaque matin, ils étaient sérieusement battus, selon son témoignage.
Des cicatrices de coups de bâton sont encore visibles sur son épaule et son dos. Sur son pied gauche, une grande plaie encore saignante lui fait mal. Il est obligé de marcher pieds nus.
Après quelques jours en garde à vue chez ces garde-forestiers, ils ont ensuite été conduits à la prison de Kasulu.
« Je n’ai rien gagné »
Pour partir, le jeune Bukuru avait l’accord de ses parents qui espéraient aussi des lendemains meilleurs avec le retour de leur fils. Comme dans d’autres cas, ils sont partis la nuit pour ne pas être interceptés par la police burundaise. « Nous avons quitté la maison à trois heures du matin. Arrivés à Gitega, nous avons pris un véhicule jusqu’à Rutana. »
De là, poursuit-il, ils sont descendus vers la Sosumo à pied. « Là, nous avons pris une moto jusqu’à la rivière Malagarazi. Nous sommes montés dans une pirogue pour traverser la frontière. On payait 1 000 BIF par personne. »
Arrivés sur le sol tanzanien, ils ont été accueillis par un trafiquant burundais. D’après lui, ils ont parcouru plusieurs kilomètres avant d’arriver chez leur patron tanzanien.
Et le deal a débuté avec le trafiquant burundais. « On s’est convenu de cultiver 4 hectares pour 70 mille shillings. Ensuite, il nous a amenés dans la forêt et nous a laissé de la nourriture, des tentes pour s’abriter. » Il ne le reverra plus. En effet, ils ont été arrêtés par la suite. Aujourd’hui, ce jeune burundais jure qu’il ne retournera plus en Tanzanie : « Je n’ai rien gagné. Au contraire, j’ai perdu beaucoup de choses. Je vais rester au Burundi. »
Pour sa part, Donatien Habimana a été attiré dans cette aventure par un ami d’enfance. « Il m’a appelé. Il m’a dit qu’en Tanzanie, il y a beaucoup d’argent. Et comme j’en avais terriblement besoin, j’ai accepté. »
Âgé de 22 ans, Donatien Habimana est natif de la colline Buziraguhinduka, dans la commune Muruta en province de Kayanza. À son départ, le 10 mai 2024, il était convaincu que les lendemains seraient bien meilleurs. Son ami a même payé le billet pour lui. Sans documents, il a pris un véhicule en direction de Gitega et de là, il a rejoint la Sosumo. « Là, nous avons pris des motos pour arriver à la Malagarazi en passant par Kayogoro. Nous avons traversé cette rivière à bord d’une petite pirogue. »
Ils ont alors rencontré le Tanzanien qui allait les embaucher comme ouvriers. Et l’aventure ne faisait que commencer. « Nous avons marché à pied. La nuit est tombée et nous avons continué à marcher. Je suis sûr que si nous n’avions pas pris un véhicule pour rentrer, je ne pourrais pas reconnaître le chemin de retour vers mon pays. »
Il indique que c’est un trafiquant burundais qui les a convoyés chez le Tanzanien. « C’est lui qui négocie le travail. C’est lui-même qui allait nous payer en francs burundais. » C’est après un mois de travail en Tanzanie, dans la forêt de Mvurwe, qu’il a été arrêté. « Nous avons reçu un appel téléphonique de l’un de nos patrons nous avertissant qu’il fallait vite quitter le lieu pour ne pas être arrêtés. Juste quelques minutes plus tard, les rangers sont arrivés et nous ont attrapés à quatre. »
Ils ont été conduits à leurs postes. « Là, nous avons rencontré des policiers et des militaires. Ils nous ont sérieusement battus. Même pendant la nuit, ils nous réveillaient pour nous frapper, nous gifler, etc. Ils nous soumettaient à des exercices physiques très exigeants. »
Deux jours après, les jeunes burundais capturés ont été transférés dans une station de police. « Là, nous n’avions même pas droit à la nourriture. » Selon ses dires, ils ont ensuite été interrogés par les services d’immigration : « De là, on nous a conduits dans la prison de Kasulu, dans la province de Kigoma. Nous venions d’y passer un mois. » Leurs infractions étaient de s’être introduits en Tanzanie sans les documents de voyage requis et d’avoir détruit une aire protégée.
Les affres des geôles
Térence Manirambona a 19 ans. Il est originaire de la colline Bihembe, commune Nyabitsinda, dans la province de Ruyigi. Il espérait gagner beaucoup de shillings tanzaniens, mais il a vite déchanté. « Je suis parti en Tanzanie en septembre. Je travaillais dans une aire protégée. Je ne savais pas que c’était interdit d’y cultiver. Mon patron m’y avait amené sans aucune explication et pendant la nuit. »
Le 2 octobre 2024, le jeune Térence a rencontré les gardes forestiers de cette aire protégée. « J’ai été arrêté. Ils m’ont confisqué deux vélos ainsi que l’argent que j’avais sur moi. Ils nous ont conduits dans un cachot. Chaque matin, nous étions battus. On mangeait une seule fois par jour. »
Quelques jours après, le jeune homme de la colline Bihembe et ses trois autres compagnons de fortune sont transférés dans la ville de Kasulu, dans la région de Kigoma. Ils déclinent leur identité : âge, colline, commune et province d’origine. « Nous avons été déférés devant un tribunal tanzanien. Le juge nous a lu les conditions requises pour entrer sur le sol tanzanien. Le tribunal nous a condamnés à 5 ans de servitude pénale, mais comme nous avions plaidé coupable, la peine a été réduite à 1 mois et demi. Nous avons été transférés à la prison de Kasulu. »
La galère ne faisait que commencer. « À la prison de Kasulu, nous avons rencontré beaucoup de Burundais. Ils étaient surpris que nous ayons écopé de cette peine. Car la plupart d’entre eux avaient pris 3 ou 5 ans », raconte M. Manirambona.
D’après lui, tous les Burundais étaient poursuivis pour leur entrée illégale en Tanzanie et le fait de travailler dans des aires protégées. « Après une semaine, nous avons rencontré le directeur de la prison. On nous a donné les habits des condamnés. Cela signifiait que nous pouvions aller travailler là où la prison avait un contrat de travail ou sur les terres appartenant à la prison. »
Chaque matin, poursuit-il, on sonnait une cloche et on devait s’aligner pour le décompte. « On nous donnait le ‘Kibangala’, un gobelet pour la bouillie. Ensuite, nous étions embarqués dans des camions pour aller labourer les champs. Chacun avait 2 m² de terre à labourer. »
Selon lui, il y avait des directives très strictes à respecter : interdiction de regarder en arrière, interdiction de se reposer. Si ton camarade te dépassait, les coups et les claques pleuvaient, surtout sur les articulations… « Si tu avais envie de faire un gros besoin, tu appelais celui qu’on appelle ‘Giherehere’, lui aussi est un détenu, et à son tour, il appelait ‘Major’, un gardien de prison, qui te donnait la permission de creuser un petit trou sur place pour faire tes besoins. »
Le jeune homme affirme qu’on leur donnait des corvées qu’ils ne pouvaient pas accomplir car elles étaient trop pénibles. « Il y a une semaine, on nous a obligés de transporter des madriers sur deux kilomètres, sur une route escarpée. C’était 4 000 madriers pour 50 prisonniers. C’était exténuant. Si tu protestais, tu étais battu. Si tu tombais, tu étais tabassé. Imagine, même si tu tombais nez à nez avec un serpent, tu n’avais pas le droit de fuir. Tu devais attendre que les gardiens viennent le tuer. Nous accomplissions des corvées très dures alors que nous n’avions qu’un seul repas par jour. Nous faisions les mêmes corvées que les enfants mineurs. Comme ils étaient encore jeunes et n’avaient pas encore la force pour exécuter ces tâches, ils étaient tabassés et blessés, parfois même à la machette. »
Le jeune homme raconte que ces abus heurtent les Burundais emprisonnés ou maltraités en Tanzanie. « Nous vivons à la frontière avec la Tanzanie. Nous voyons des Tanzaniens qui se promènent au Burundi sans aucun document. Ils ne sont pas inquiétés. Il y a beaucoup de Burundais, même des septuagénaires, qui ont besoin d’une assistance immédiate en Tanzanie. Les autorités burundaises doivent intervenir. »
La déception
Térence Manirambona témoigne qu’on leur faisait miroiter de belles choses en Tanzanie, mais la réalité en a été toute autre. « Je n‘ai pas envie d’y retourner. Beaucoup de Burundais meurent dans ces forêts sans arriver au poste de police. Des discussions avec les autorités tanzaniennes s’imposent. »
Désiré Nishimwe est aussi déçu : « Quand je suis parti pour la Tanzanie, je pensais que j’allais gagner de l’argent. Mais, là, la vie est très difficile. On vit dans la brousse, loin des villages. Il est impossible de retrouver le chemin retour. Car, c’est pendant la nuit qu’on nous conduit là. »
Pour l’allécher, il indique que les trafiquants burundais lui disaient qu’en Tanzanie, il va gagner beaucoup de shillings. « Arrivés sur le terrain, on est vite désillusionnés. C’est le regret. Parce qu’on nous traite comment des animaux. Nous vivons dans une peur permanente d’être attrapés, frappés et emprisonnés. »
Il signale qu’il y a même ceux qui y laissent la vie : « Après l’arrestation, il arrive que tu sois incapable de marcher à cause des tortures, des blessures. Là, on te laisse agonisant. Ou quand on t’arrête et que tu essaies de résister, on te frappe avec des gourdins, des machettes et on te laisse mourant dans la forêt. »
D’après son témoignage, dans ces conditions, c’est rarement qu’on parvient à sortir de ce parc et arriver dans un village pour espérer un secours quelconque. Là, aussi, il doit venir du Burundi : « Par chance, tu peux appeler au Burundi pour informer tes proches que tu as été arrêté. Ils peuvent venir à ton secours et te rapatrier, mais ce sont des cas rares. »
Il signale que même après l’arrestation, que ce soit le patron tanzanien ou le passeur burundais, personne ne vient te secourir. « Ils savent très bien qu’il est interdit de cultiver dans cette forêt. Ils éteignent leurs téléphones et disparaissent. » Le jeune Nishimwe est renvoyé sans avoir touché aucun des 300 mille shillings qu’on lui avait promis après une année.
Joseph Bukuru est aussi désillusionné. « A mon départ, je voyais d’autres personnes avec des billets. J’écarquillai les yeux. J’ai décidé d’y aller espérant gagner de l’argent. » Et il n’est pas parti seul. C’est avec d’autres jeunes de sa localité qu’ils se sont lancés dans cette aventure. « En voyant le taux de change du BIF contre le shilling tanzanien, on s’est dit que c’est l’occasion d’amasser de l’argent. »
Des refoulements qui s’amplifient
Que ce soit l’administration ou les associations de défense des droits des enfants, tous reconnaissent que le trafic humain est une triste réalité dans le pays. Et le nombre de refoulés ne fait que croître.
Lorsque ces jeunes arrivent en commune Mabanda, dans la province de Makamba, ils sont remis à l’administration. S’ils arrivent la nuit, ils passent la nuit au commissariat communal de la police. Ils sont ensuite confiés à des familles d’accueil qui peinent à subvenir à leurs besoins en termes de nourriture, d’hébergement, etc.
Parmi elles, la famille d’Adélaïde Nkunzimana, une maman qui les accueille depuis une dizaine d’années. « Je me suis engagée à prendre soin de ces enfants depuis 2013. C’est un don chez moi. Toutefois, ma collaboration avec les associations, qui militent pour les droits des enfants, a débuté en 2016. Ils sont allés voir ces enfants à la police, mais je les avais déjà amenés chez moi. Alors, ils ont décidé de constituer des familles d’accueil. »
Ces trois derniers mois, explique Adélaïde Nkunzimana, les familles d’accueil ont déjà accueilli plus de 250 jeunes. « À leur arrivée, ces jeunes sont en mauvais état. Certains présentent des blessures dues aux coups reçus. Ils arrivent pieds nus, certains sans vêtements, avec des cheveux hirsutes. Certains sont même malades. Dernièrement, j’avais deux enfants hospitalisés. Heureusement, la commune nous aide dans la mesure de ses moyens. La commune a payé une facture de 108 000 BIF. »
Cette mère indique que des centaines de jeunes sont toujours en Tanzanie. Et l’accueil n’est pas facile : « On se retrouve avec beaucoup de problèmes, surtout un problème de logement, de nourriture et nous manquons de vêtements. On essaie de se débrouiller avec les moyens à disposition. Par exemple, on m’a appelée ce matin pour me dire qu’un groupe d’enfants vient d’arriver. Je n’étais pas préparée. Je n’avais pas de nourriture. » Elle ajoute : « Cela demande une disponibilité permanente de nourriture, de vêtements, des unités de recharge pour que ces enfants puissent passer un coup de fil à leurs familles. »
Selon Adélaïde Nkunzimana, il y a aussi des filles qui font ce périple. « Les passeurs disent aux filles qu’elles vont travailler comme femmes de ménage ou qu’elles vont se marier avec des Tanzaniens pour gagner des shillings tanzaniens. Parfois, ce sont des mensonges ou elles découvrent qu’on veut les marier avec des personnes âgées. Elles préfèrent revenir. » Elle précise qu’elle a déjà recueilli plus de dix jeunes filles qui étaient parties en Tanzanie soit pour se marier, soit pour travailler comme domestiques.
Adélaïde Nkunzimana souligne que des associations comme la Fondation Stamm, Fenadeb et la Croix-Rouge leur apportent des aides. « Je voudrais demander aux associations qui militent pour les droits des enfants de toujours prévoir des stocks de nourriture, des vêtements, des frais de soins de santé ainsi que d’autres besoins pour ces enfants, car ils arrivent à l’improviste. »
Elle demande aussi à toute âme charitable ainsi qu’à d’autres institutions comme les banques, de prévoir un budget pour aider ces enfants.
D’après David Ndengeje, directeur provincial du Développement familial et social à Makamba, ce mouvement d’arrivée des jeunes et d’enfants renvoyés de Tanzanie s’intensifie depuis le mois d’août de cette année. « Durant ce mois, nous avons accueilli plus de 135 personnes refoulées de ce pays. Et nous constatons que presque chaque semaine, nous recevons des refoulés. »
Ils sont remis à la frontière de Mugina par la police tanzanienne. Arrivés au Burundi, leur gestion n’est pas facile, selon M. Ndengeje. Ils sont d’abord dirigés vers le centre de la Fondation Stamm à Mabanda. Et là, déplore-t-il, la capacité d’accueil est inférieure à 100 personnes. « Nous avons donc un sérieux problème pour les héberger et les nourrir. Nous sommes obligés de nous débrouiller autrement. » Il note d’ailleurs que beaucoup de ces enfants arrivent avec des blessures, des plaies encore ouvertes. « Ils sont dépouillés de tout et renvoyés sans être payés. D’autres rentrent après avoir passé des jours en prison. »
Selon lui, ces refoulements seraient liés aux élections de 2025. « D’après les témoignages de ces enfants, la police tanzanienne multiplie les opérations de vérification des documents pour que les élections se tiennent après le renvoi de tous les irréguliers. » Il reconnaît néanmoins que ces jeunes burundais partent en Tanzanie sans les documents de voyage requis. « Ils sont surtout recrutés par des trafiquants burundais qui travaillent avec des Tanzaniens. »
Kayogoro, le tronçon facile
Pierre Simon Nyabenda, administrateur de la commune Kayogoro, reconnaît que ce mouvement vers la Tanzanie est une réalité dans sa commune frontalière avec la Tanzanie. « D’habitude, ce sont les hommes qui partaient. Actuellement, on observe un phénomène nouveau. Des femmes abandonnent leurs foyers pour aller se remarier en Tanzanie. C’est un grand problème pour la famille. »
Concernant la cause de ces départs des jeunes, hommes et femmes, l’administrateur communal pense qu’ils y vont pour chercher du travail, car c’est sur la frontière. « De plus, le shilling tanzanien a une valeur qui est au-dessus de la monnaie burundaise. C’est pourquoi les Burundais sont attirés. Alors, ils rencontrent des difficultés auxquelles ils ne s’attendaient pas. »
Selon Pierre Simon Nyabenda, il n’y a pas beaucoup de passeurs en commune Kayogoro. « Ceux qui font miroiter l’eldorado à ces jeunes sont ceux qui vivent en Tanzanie depuis des années. Nous pensons d’ailleurs que c’est un trafic de ces enfants. Les Tanzaniens paient de l’argent et ils exploitent ces jeunes comme ils veulent surtout au moment de la saison culturale. Lorsque nous appréhendons un passeur, nous le considérons comme un ennemi de la Nation. Nous avons interpellé certains d’entre eux, mais ils ne sont pas natifs de Kayogoro. Du coup, on les envoie dans leurs provinces d’origine. »
Pourquoi le choix de Kayogoro ? L’administrateur de la commune Kayogoro a une hypothèse : « En passant par Kayogoro, le trajet devient très court. La route pour arriver au point d’entrée est praticable et les véhicules qui les transportent sont disponibles. »
M. Nyabenda fait savoir qu’il y a une collaboration entre l’administration, les comités mixtes de sécurité et les forces de l’ordre et de sécurité afin de juguler ce phénomène. « On ne peut pas dire que le phénomène a été éradiqué, mais il a diminué d’ampleur. Pour les adultes, on leur demande de chercher des documents de voyage. Pour les mineurs, ils ne peuvent pas passer. Ils retournent dans leurs familles. »
Selon Fenadeb, 607 enfants ont été victimes de la traite des enfants.
D’après Ferdinand Ntamahungiro, coordinateur national de la Fenadeb (Fédération nationale des associations engagées dans le domaine de l’enfance au Burundi) la Tanzanie est la première destination de ces enfants victimes de ce trafic humain.
Après leur exploitation, il déplore que le fait qu’ils soient refoulés après avoir subi plusieurs formes de violences. « Ils sont frappés physiquement, brûlés, même fouillés et dépouillés de leurs biens. Ils rentrent étant vraiment dans un état très critique. »
Depuis le début de cette année, la Fenadeb signale que le nombre des jeunes renvoyés monte du jour au jour. « Depuis le mois de janvier jusqu’aujourd’hui, la Fenadeb a, elle seule, déjà inventorié 607 enfants victimes de la traite des enfants. »
Quid des causes de ces exploitations ? M. Ntamahungiro, coordinateur national de cette fédération, associe généralement cela à la vulnérabilité économique des familles : « C’est la pauvreté qui pousse ces enfants à quitter leurs familles et à prendre le chemin vers la Tanzanie. Parce qu’ils ne sont pas bien nourris, soignés ou que leurs parents n’ont pas de propriété foncière à exploiter. Ils préfèrent aller chercher de l’argent. Parfois, ils ne savent même pas qu’ils seront exploités. »
Concernant les auteurs de ce trafic, il souligne que le recruteur est le principal : « C’est lui qui fait que l’enfant soit victime de la traite. Il y a également l’exploitant. Ce sont ces Tanzaniens propriétaires des terrains, des troupeaux de vaches que les enfants vont cultiver ou garder. »
A côté de la Tanzanie, il précise qu’il y a aussi un nombre important de jeunes, d’enfants qui partent vers la République démocratique du Congo (RDC). En plus de l’exploitation dans les champs, ces enfants subissent aussi, selon lui, de l’exploitation sexuelle. « Et les victimes sont des garçons et des filles. »
D’après les statistiques établies par la Fenadeb, Karusi est la province la plus touchée par ce phénomène de trafic d’enfants. « 80% des enfants victimes de la traite sont originaires de cette province. Elle est suivie par la province de Gitega. Paradoxalement, la province de Makamba, même si elle est le lieu de transit vers la Tanzanie, elle n’est pas parmi les provinces les plus touchées », révèle M. Ntamahungiro.
En ce qui est de la réintégration sociale de ces jeunes refoulés, la Fenadeb a déjà réussi à faire une réunification familiale de 389 enfants. « Là aussi, plus de 300 cas sont de Karusi, suivie de Ngozi. Et 259 enfants ont pu retourner à l’école. »
Les familles d’accueil appellent à l’aide
Vu les violences infligées à ces enfants, David Ndengeje demande au gouvernement de prendre au sérieux cette question pour que les droits des enfants soient respectés. « Il faut faire tout pour que ce commerce d’enfants s’arrête. Les trafiquants devraient être traqués, arrêtés et punis. » Il appelle aussi les parents à satisfaire les besoins de leurs enfants. En effet, explique-t-il, beaucoup de ces enfants disent qu’ils sont partis en Tanzanie à cause de la pauvreté dans leurs familles.
Pour sa part, Ferdinand Ntamahungiro indique que différentes actions peuvent être faites pour stopper ce phénomène. « Il faut d’abord une sensibilisation au niveau communautaire. Il faut qu’il y ait une prise de conscience de toutes les couches sociales. »
Car, justifie-t-il, généralement, la traite des enfants est un phénomène qui n’est pas très connu au niveau communautaire. D’ailleurs, il signale qu’il y a même des enfants qui subissent la traite interne. « Il y a des familles qui font travailler de jeunes filles pour les travaux domestiques. Elles ne sont même pas payées à la hauteur de leur travail. »
Pour lui, les communautés ne se sont pas encore engagées dans la lutte contre la traite des enfants.
M. Ntamahungiro déplore le fait que ces administratifs à la base connaissent les auteurs de ce trafic, mais n’osent pas les dénoncer pour être traduits en justice. Or, insiste-t-il, c’est une infraction qui est punie par le Code pénal. Ainsi, il demande à la justice de punir les auteurs conformément à la loi.
Selon le Code pénal, dans son article 244, l’auteur de la traite et du trafic des êtres humains est puni d’une servitude pénale de 5 à 10 ans. « Lorsque cette infraction est commise envers un enfant, l’auteur est puni d’une servitude pénale de 15 à 20 ans et d’une amende de 500.000BIF à 10 millions BIF », précise le même code dans son article 255.
Et de son côté, Adelaïde Nkunzimana demande aux autorités burundaises de sévir sérieusement contre les passeurs. « Car, ils mettent en danger la vie de ces jeunes. »
Interview avec Jérémie Kekenwa
« Plus de 90 % des prisonniers burundais sont condamnés pour présence illégale sur le territoire tanzanien. »
Les jeunes qui partent chercher du travail en Tanzanie subissent des abus divers. Êtes-vous au courant de cette situation ?
Nous avons entendu parler de cas de non-paiement par certains employeurs, en particulier à la fin d’une tâche convenue ou en cas de cumul de mensualités impayées.
Cela arrive presque exclusivement aux travailleurs dont l’employeur sait qu’ils sont dans l’illégalité et cherche à en profiter pour éviter de payer une somme considérable. Ils signalent alors leur présence à la police et, lorsque celle-ci arrive pour les arrêter, ils s’enfuient en laissant leur dû.
Comment le Consulat aide-t-il ces jeunes burundais lorsqu’ils rencontrent ce genre de problèmes ?
Tous les cas soumis au Consulat ont été régularisés. Les personnes qui se font rançonner, battre et/ou dépouiller sont celles qui, en rentrant au Burundi, n’utilisent pas les voies reconnues menant au poste-frontière et passent par la brousse pour faire un raccourci ou pour éviter le contrôle sur les routes, faute de papiers en règle.
Les cas dont nous avons eu connaissance se sont produits la nuit, sans que nous puissions intervenir d’aucune manière. Les quelques cas de rançonnage sur les routes qui nous ont été signalés à temps ont été résolus en collaboration avec les responsables hiérarchiques.
La difficulté réside dans le fait que les personnes lésées ne portent pas plainte par peur parce qu’elles ne sont pas en règle, ou même ne font pas appel au Consulat parce qu’elles en sont éloignées ou tout simplement parce qu’elles ignorent que le Consulat peut leur être utile.
D’après ces jeunes, il y a beaucoup de Burundais emprisonnés dans la prison de Kasulu et leur état de santé est préoccupant. Quels sont les crimes qui leur sont reprochés ?
Les cas d’emprisonnement de Burundais sont nombreux non seulement dans la prison de Kasulu mais aussi dans les six prisons de la province de Kigoma.
Plus de 90 % des prisonniers burundais sont condamnés pour présence illégale sur le territoire tanzanien et/ou pour l’exercice d’une activité rémunérée sans autorisation.
Le Consulat intervient-il pour aider ces Burundais qui sont en prison ?
Les personnes emprisonnées le sont après condamnation par le juge. La seule chose dont nous soyons capables est d’informer la famille du condamné de la possibilité de le faire libérer en payant l’amende qui est presque toujours prononcée comme peine alternative à l’emprisonnement pour ce type d’infraction. Une demi-douzaine de personnes a déjà été libérée de cette façon.
Le laissez-passer Ujirani Mwema existe-t-il ?
Le laissez-passer d’Ujirani Mwema, avec lequel on pouvait auparavant se rendre jusqu’à Kigoma, est toujours utilisé. Néanmoins, en raison des abus constatés par la plupart des utilisateurs, son champ d’action géographique a été réduit à ses limites antérieures de 10 km.
En effet, lors des discussions entre les autorités burundaises et tanzaniennes des provinces frontalières lors des réunions annuelles d’Ujirani Mwema, la distance de validité de ce laissez-passer avait été tacitement étendue à toute la province de Kigoma.
Plus tard, en raison du mauvais usage de ce document que beaucoup de Burundais en venaient à considérer comme un passeport en bonne et due forme, l’autorité ministérielle de tutelle a ramené la validité aux limites initiales de 10 km. Il sert aujourd’hui pour les visites entre voisins proches des deux côtés de la frontière.
Au Burundi, nous avons la bonne culture du respect envers les etrangers, je me demande pourquoi notre DIEU permet que des burundais soient soumis A une telle animositE de la part des etrangers???
Ceux qui nous gouvernent devraient en faire quelque chose pour que les jeunes burundais ne se bousculent plus sans papiers vers l’etranger en laissant derriere eux le lait et le miel……… Ni hatari kabisa!