Il n’y aura pas de fumée blanche pour nos confrères en ce 10ème jour d’incarcération. Les 4 journalistes du Groupe de Presse Iwacu et leur chauffeur, poursuivis pour «complicité d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat », sont maintenus en détention préventive.
C’est le verdict rendu ce jeudi 31 octobre 2019 par la Chambre du Conseil du Tribunal de Grande Instance de Bubanza. La décision a été prise par trois juges de cette instance : Bernard Hakiza, Emile Nduwayo et Arlène Citegetse.
Dans son exposé, l’officier du ministère public, Jean Marie Vianney Ntamikevyo, magistrat instructeur, soutiendra qu’il existe « des indices sérieux de culpabilité. »Nos collègues ont 5 jours ouvrables pour faire appel à cette décision. Ils ont tous nié les faits leur reprochés.
11 heures et demie
Les ordonnances de mise en détention préventive arrivent à la prison de Bubanza. Elles sont présentées aux journalistes du Groupe de Presse Iwacu Agnès Ndirubusa, Christine Kamikazi, Egide Harerimana, Térence Mpozenzi et Adolphe Masabarakiza, leur chauffeur.
Selon cette notification, « l’infraction qui leur reprochée est punissable d’au moins une année de servitude pénale et les circonstances de l’infraction sont impérieusement remarquables. »
C’est une greffière du TGI Bubanza qui est chargée d’amener en prison ces notifications destinées aux quatre reporters du Groupe de Presse Iwacu et leur chauffeur. Elle a la lourde responsabilité : annoncer le verdict. Elle est reste très humaine. «Il faut être courageux et garder espoir. Il faut rester fort », lâchera la brave dame chargée de cette mission, peu facile. Après ces mots gentils, elle présentera à chaque prévenu son dossier.
Une douche froide
Quelques minutes avant le verdict, c’était l’incertitude mêlée d’anxiété, d’une peur diffuse pour l’équipe d’Iwacu en prison. Puis, des détenus sont venus dire au groupe de journalistes incarcérés qu’il faut se présenter à l’entrée principale faite de barres de fer, la tension monte. Il est 11 heures et demie.
Dehors, dans le véhicule transportant une délégation de journalistes du Journal Iwacu venue s’enquérir de la situation à la prison de Bubanza, les blagues fusent. Une façon de tuer le temps.
Un appel d’un des trois avocats d’Iwacu détenus vient troubler cette bonne ambiance de façade : «Les nouvelles ne sont pas bonnes». Coup de tonnerre. Le silence se fait.
Les espoirs nourris de rentrer avec nos confrères s’estompent petit à petit. Dans la tête des journalistes, des images, des scénarios de procès interminables, de visites aux confrères emprisonnés se mettent à défiler.
Les journalistes d’Iwacu ne sont pas autorisés d’aller réconforter leurs confrères déjà informés et surement désespérés. Il faut attendre 14 heures.
Accolades et bisous à travers les barres de fer
A 14 heures et demie, les journalistes venus de la rédaction terminent leurs formalités pour pouvoir rendre visite à leurs amis détenus.
Térence, le photographe se présente le premier avec un demi-sourire. Ce n’est pas dans ses habitudes. Visiblement, il n’est pas à l’aise. Egide du service anglais et Adolphe arrivent, ils affichent des visages peu rayonnants. Egide qui déjà parle peu a la tête rentrée dans ses épaules. Il est perdu dans ses pensées. Présent, mais absent.
Les accolades à travers les barres de fer avec leurs confrères venus de Bujumbura ne permettent pas de communiquer, de communier, de compatir. C’est un exercice de contorsion peu facile.
Adolphe se porte volontaire pour aller chercher les ’’filles’’. Elles n’ont pas la permission d’aller du côté des hommes.
Les reporters venus de Bujumbura se dirigent dans la zone mixte. Christine, qui d’habitude remonte le moral aux autres, semble ne pas comprendre ce qui leur arrive. Elle est abattue, mais se ressaisit vite.
Comme pour les accolades avec les hommes, les bisous à nos consœurs, à travers les barres de fer s’avèrent compliqués. Il faut allonger sa bouche pour attendre la joue de l’autre côté. Un moment fort.
Quelques échanges. Histoire de se dire qu’il nous faut rester unis, solidaires et forts. Il faut partir. Un moment difficile. « Surtout ne pas se retourner », comme chantait Michel Sardou .
Soudain, Agnès, à travers les barreaux, nous crie d’attendre. Elle griffonne quelques mots et nous remet une enveloppe. Elle nous dit que c’est pour son fils.
Tout le monde retient son souffle. Les mains tremblantes, je prends l’enveloppe. Lorraine du service anglais se met à sangloter. Les hommes du groupe se retiennent. Nous partons. Sans nous retourner.