Mépris, mauvaises odeurs, douleurs physiques, discrimination sociale… Les femmes atteintes des fistules obstétricales souffrent. Après un accouchement difficile, elles se sont retrouvées fistuleuses. La majorité n’a pas pu sauver leurs bébés. Le centre Urumuri, à Gitega, tente de leur venir en aide. Reportage.
L’hôpital régional de Gitega, au centre du pays. 10 heures, il fait frais. Des motos, des vélos, ramènent toujours des malades. Quelques ambulances font aussi des navettes. Munis de stéthoscopes, en uniformes blancs ou bleues, des médecins font le tour dans les chambres d’hospitalisation. On entend des enfants pleurer.
Dans la cour intérieure de cet hôpital, un nouveau bâtiment à trois niveaux se démarque des autres. Juste au mur de son niveau supérieur, on peut lire : « Centre Urumuri financé par la Fondation Bonne Action Umugiraneza. » Les lettres sont en majuscules. C’est là que se trouvent les femmes souffrant des fistules obstétricales.
Juste en bas, certaines d’entre elles font le lézard. Elles attendent leur rendez-vous d’être « réparées. » Des échanges, des murmures. Mais, quand on les approche, c’est le silence. Elles essaient de dissimuler leurs visages. Elles doivent avoir entre 18 ans et 30 ans. Devant elles, chacune a un petit seau. Une fiche médicale aussi. Elles semblent avoir honte. « Comment allons-nous aborder des femmes dans cet état ? » On s’interroge. Nous sommes deux journalistes hommes. Mais, le métier oblige, on se lance comme d’habitude. On sort nos badges. On évite de prendre des photos. Après un « bonjour » un peu timide, le contact est établi. Mais la réserve reste de mise. Un soulagement. Et puis, miracle, pour elles, notre présence est la bienvenue. « Ce n’est pas souvent qu’on a une visite de journalistes ici pour recueillir nos témoignages. Soyez les bienvenus. On va parler même si nous souffrons beaucoup. »
En fait, elles ne parlent pas. Elles se déchargent, déversent un trop-plein de douleur. « Je suis venue pour me faire soigner des fistules obstétricales. J’ai eu un problème lors d’un accouchement. Je suis partie vers un centre de santé et l’enfant n’est pas sorti. La situation s’est compliquée et on m’a transférée vers un hôpital. Mais, là aussi, ils n’ont pas pu sortir mon enfant, il est mort », raconte Valérie, la trentaine, native de la commune Buhinyuza, à Muyinga.
Les yeux inondés de larmes, la jeune femme avoue qu’elle a trop souffert pendant ses transferts d’un endroit à un autre : « Les douleurs étaient insupportables. J’étais entre la vie et la mort. Et ça a été peine perdue. Je n’ai pas pu tenir le bébé dans mes mains. » Sur ses mots, elle craque.
On se tait. Après quelques minutes de silence, elle essuie ses yeux avec son pagne avant de reprendre difficilement le récit de son calvaire : « Après la mort de mon enfant, j’ai été hospitalisée pendant deux semaines : c’était très difficile de marcher. »
C’est par après que les médecins vont lui annoncer qu’elle souffre de la fistule obstétricale. Et elle a été transférée vers le Centre Urumuri.
A cette époque, Valérie a été réparée. « Je suis rentrée guérie. Et pour le moment je suis revenue pour une nouvelle consultation parce que j’ai constaté que des écoulements ont repris. Et j’attends le docteur pour me traiter encore une fois », confie-t-elle.
Victimes de discrimination
Indexées, ces femmes sont même rejetées par ceux-là qui devraient être proches d’elles, manifester plus d’empathie : leurs maris. C’est ce qui est arrivé à Domithile, la cinquantaine, native de Bururi. Elle aussi attend d’être soignée. Elle vit avec cette souffrance depuis plus de 30 ans :« 1993, c’est l’année où ma vie a basculé. C’était lors d’un accouchement à un centre de santé. Et le travail a trop duré. J’ai tout fait pour que mon enfant sorte, en vain. Et finalement, après des heures, mon enfant est mort. » Par après, elle a été transférée vers un hôpital pour pouvoir sortir le corps de son bébé mort : « C’est de cette façon qu’ils ont pu sauver ma vie. »
Cette femme indique que c’est de là qu’elle a connu ce problème de fistule obstétricale. De retour à la maison, son époux commence à se tenir à l’écart. Et depuis lors, raconte-t-elle, les relations amoureuses ont cédé la place aux injures, au mépris. « Tu es puante », lui lance souvent son mari. Et son entourage aussi commence à s’éloigner de plus en plus d’elle. Pour finir, son époux a décidé de prendre une autre femme. « J’ai été obligée de retourner chez mes parents. Eux, ils ont essayé de me comprendre. »
Selon leurs témoignages, la liste des injustices dont elles sont victimes est longue. Valérie ajoute que souvent, la femme victime de la fistule n’est pas comprise par son entourage : « Elle se sent isolée, délaissée. Elle ne trouve pas comment se comporter devant les gens. On a l’impression qu’on n’est plus comme les autres suite aux écoulements souvent puants qui se dégagent de ses parties intimes. »
Ce qui entraîne souvent la détérioration des relations conjugales. « Il y a des relations conjugales qu’on ne peut pas remplir quand tu souffres des fistules obstétricales. Et quand ton époux ne tolère pas cela, ne s’abstient pas pendant ta maladie, il part chercher ailleurs. On te chasse aussi », raconte-t-elle.
A l’intérieur de ce bâtiment flambant neuf, dans les couloirs, des traces des écoulements. Une des salles d’hospitalisation est totalement pleine. Les lits sont tous occupés. Aucune femme en position debout. Elles sont toutes allongées sur leurs lits, sur le dos. En dessus de chaque lit, un seau lié à la patiente par une sonde urinaire. Certaines femmes fistuleuses ont à côté d’elles des bébés. D’autres sont seules. Elles n’ont pas eu la chance d’entendre leurs enfants pleurer. En plus des douleurs physiques, la souffrance morale se lit sur leurs visages.
Parmi elles, Sophie, 35 ans, une native de Ruhororo, en province de Ngozi. Elle vient de passer deux semaines là. D’une voix vacillante, elle raconte son supplice : « Moi, j’ai eu un problème d’accouchement à l’hôpital de Mivo. Il y a eu des complications et mon enfant est malheureusement mort-né. »
Depuis qu’elle est là, aucune visite de sa famille. Ce qui la traumatise beaucoup et la décourage : « Je suis veuve. J’ai besoin d’être assistée. Mon époux est mort alors que la grossesse était à son deuxième mois. Aujourd’hui, je suis ici, et c’est moi qui me battais pour nourrir mes cinq enfants. Aujourd’hui, quand je pense que mes enfants n’ont personne pour les nourrir, qu’ils peuvent dormir sans rien mettre sous la dent, je ne dors pas. Je souffre triplement », raconte-t-elle, en pleurant.
Tout en remerciant la Fondation Bonne Action Umugiraneza, elle demande à la Première Dame de penser aux familles de ces femmes fistuleuses. « Après la guérison, on aimerait travailler, vaquer aux activités champêtres pour faire vivre nos enfants, mais, avec cette affection, même si on guérit, les séquelles restent. On ne peut pas se permettre de tout faire comme avant ». Faute de moyens, ses enfants ne sont jamais venus lui rendre visite. « Ils me manquent beaucoup. Je m’inquiète pour eux. »
Besoin d’un soutien moral et financier
Allongée sur son lit, Sophie plaide. « Nous avons besoin d’être accompagnées pour reconstruire nos vies ». Elle trouve qu’il est aussi important de sensibiliser les gens, la communauté « pour ne pas toujours discriminer les femmes qui ont connu ce problème de fistule obstétricale. »
Un message relayé aussi par Léa de Nyabitsinda, 30 ans. « Imaginez, tu rentres à la maison et tu trouves ton époux avec une autre femme. Comment s’y prendre ? », s’interroge la convalescente.
Elle vient d’être traitée pour la deuxième fois et n’attend qu’un billet de sortie pour rentrer. Selon elle, beaucoup de femmes sont répudiées, chassées parce qu’elles sont fistuleuses : « Or, cela n’est pas leur faute, c’est une maladie comme tant d’autres. Il faut alors qu’on nous accompagne en protégeant aussi notre couple. » Elle dit que beaucoup de ces femmes viennent de familles pauvres.
ECLAIRAGE
Dr Ndihokubwayo Eric : « La fistule obstétricale est traitable, et guérissable »
Depuis 2010, plus de trois mille femmes souffrant des fistules obstétricales ont été « réparées. » Et une soixantaine est sous traitement. Dr Eric Ndihokubwayo, directeur de l’hôpital régional de Gitega appelle à la non-discrimination de ces femmes.
Qu’est que la fistule obstétricale ?
La fistule obstétricale, ou fistule vaginale, est une communication anormale entre le vagin et la vessie en avant ou le tube digestif inférieur en arrière. Autrement dit, c’est une communication anormale entre le vagin et la vessie (vésico-vaginale) ou bien une communication entre le vagin et le rectum (recto-vaginal), ou bien encore est la communication entre la vessie et le rectum (vésico-rectum). Cela survient souvent à la suite d’un accouchement difficile, un travail prolongé d’accouchement.
Pas d’autres causes ?
Oui. Cela peut être lié à un avortement mal pratiqué, abus sexuel ou viol, utilisation d’épisiotomie et de pinces pendant le travail, traitement du cancer du col utérin par radiothérapie, etc.
Quels sont ses symptômes ?
Une fistule vaginale ou une fistule obstétricale est généralement indolore. Mais il en résulte un passage incontrôlable de l’urine ou des excréments, causant beaucoup d’embarras. En cas de fistule vésico-vaginale, l’urine continue de s’échapper du vagin. En cas de fistule recto-vaginale, une décharge nauséabonde s’échappe. Le gaz peut également être évacué. D’autres symptômes sont entre autres infection et inflammation de la région génitale entraînant une irritation ou une douleur, douleur intense pendant l’activité sexuelle, etc.
Quelles sont les tranches d’âges à risques ?
Et les facteurs des risques sont multiples. Ce sont les jeunes filles de moins de 18 ans, les mamans qui se marient en bas âge, qui sont souvent à risque de développer les fistules obstétricales.
Comment traitez-vous la fistule obstétricale ?
Plusieurs techniques sont utilisées. Mais, le traitement dépend de la capacité du tissu à guérir. Cela dépend également de la taille et de l’emplacement de la fistule. Mais, environ 80% des femmes peuvent être guéries par une simple chirurgie vaginale. Des médicaments topiques ou oraux sont administrés pour que les plaies guérissent avant une intervention chirurgicale. Et en fonction de l’étendue des dommages, de la taille et de l’emplacement de la fistule, différents types de chirurgie vaginale peuvent être pratiqués. Donc, cette maladie est traitable et guérissable.
Que dites-vous de cette discrimination dont sont victimes ces femmes qui souffrent des fistules obstétricales ?
D’abord, il faut noter qu’en dehors des symptômes physiques, la fistule obstétricale a un impact plus grave sur les aspects sociaux, économiques et psychologiques. Les femmes touchées sont souvent ostracisées de la communauté en raison de l’odeur ou des fuites continues d’urine.
La femme qui souffre de cette maladie est souvent discriminée. Elle est dénigrée. Il y en a même qui sont chassées par leurs maris. En Kirundi, on l’appelle « ingwara yo mu kigo », ce qui signifie qu’une femme fistuleuse a peur d’être à la portée de tout le monde. Elle préfère se cacher dans l’enclos, d’où ce nom.
Ces femmes sont vraiment perturbées mentalement suite à ce dénigrement qu’on leur fait. Elles ont des problèmes psychologiques suite à cette considération par la société. Or, la fistule obstétricale est une maladie comme les autres. Une fois traitée, elle guérit. Lorsque ces femmes viennent ici au Centre Urumuri, elles sont prises en charge et guérissent.
Evidemment, parlez-nous de ce centre ?
Le Centre Urumuri existe depuis 2010. Il a été initié par l’organisme Médecins Sans Frontières. Depuis 2010, jusqu’à nos jours, environ 3155 femmes ont déjà bénéficié des opérations de ces fistules obstétricales. Et on accueille environ 15 patientes par mois.
Alors, ces derniers jours, nous sommes dans la campagne de réparation des fistules obstétricales. Là, on a plus de 70 patientes qui sont là, qui sont déjà opérées. D’autres sont en attente.
Selon les témoignages de ces femmes fistuleuses, certains des hommes se désintéressent de leurs épouses ou les chassent tout simplement après avoir constaté qu’elles ont cette affection. Quel est votre message ?
Le message que je lance à l’endroit de la Communauté, c’est de ne pas discriminer ces femmes tout en sachant que c’est une maladie qu’on peut guérir. Lorsqu’elles se font soigner, elles sont bien traitées et guéries. Et elles retournent chez elles et vivent comme les autres femmes. J’interpelle les maris dont leurs femmes souffrent des fistules obstétricales de ne pas les discriminer, mais d’essayer de les amener ici au centre Urumuri pour les traiter. C’est ça comme message que je lance. Mais également aux administrations locales de s’impliquer et de faire des investigations en collaboration avec les prestataires des soins afin d’identifier toutes les femmes qui ont connu ce problème de fistules obstétricales afin de les ramener ici au centre Urumuri pour les prendre en charge.
Mais, il y en a qui préfèrent se cacher au lieu de se faire soigner
Très déplorable. Ces cas existent. Il y a dans les campagnes, à l’intérieur du pays, des femmes qui souffrent des fistules obstétricales qui ne viennent pas nous consulter. Là, je profite de cette occasion pour lancer un appel vibrant à l’endroit des prestataires des soins que chaque fois qu’ils détectent une femme qui a ce problème de fistules, qu’ils peuvent l’orienter ici au Centre Urumuri I à l’hôpital régional de Gitega. Elles sont bien prises en charge et c’est gratuit. On ne leur demande rien comme frais de réparation des fistules. Il nous arrive d’accueillir même des femmes en provenance de la Tanzanie.
Est-ce qu’une fois réparées, les malades de fistules obstétricales peuvent encore une fois mettre au monde ?
Oui. Après réparation, elles peuvent concevoir après un an, mais, cette fois-ci, elle doit accoucher par césarienne.
Quels sont les principaux défis auxquels vous faites face ?
Le personnel qualifié reste une problématique. Nous avons seulement trois médecins généralistes. Or, nous avons besoin au moins de trois spécialistes. Comme tout hôpital, le personnel infirmier n’est pas suffisant. Par exemple, on a beaucoup besoin des sages-femmes vu que les patientes augmentent du jour au jour.
Côté, matériel, il y a le manque des équipements pour la kinésithérapie. Manque de véhicule pour le déplacement des patients guéris et l’ambulance pour emmener les malades dans les différentes localités du pays vu que c’est le seul centre dans tout le pays. Un véhicule d’approvisionnement des médicaments.
Les moyens financiers sont aussi insuffisants. Car, les patientes sont nourries à l’hôpital et sont soignées gratuitement. Elles ont besoin des kits de dignité. Il y a des femmes ou enfants qui ont besoin des examens paracliniques comme le scanner que l’hôpital doit payer ailleurs. Malgré l’extension du centre, on a encore besoin qu’il soit plus élargi vu le nombre des patientes qui ne cesse d’augmenter. Le coût moyen mensuel pour s’occuper de ces femmes fistuleuses est de 50 millions BIF en dehors de la période de campagne.
Aujourd’hui, nous souhaitons que les moyens soient orientés surtout dans l’achat des médicaments, équipements et approvisionnement des denrées alimentaires.
Qui sont vos partenaires dans ce combat ?
Premièrement, c’est la Fondation Bonne Action Umugiraneza. Elle nous a construit un bon bâtiment qui répond aux normes. Nous remercions la Première Dame qui dirige cette fondation et pour ses appuis et sa compassion envers ces femmes fistuleuses.
Il y a aussi le FNUAP pour les frais de déplacement, l’alimentation de ces patientes, la fourniture des kits de dignité, etc. D’autres partenaires nous appuient de façon sporadique comme l’OMS.
Quel terrible malheur que la condition feminine. Cette realite me pose depuis peu des questions ontologiques et religieuses depuis que ma fille (aujourd’hui adulte) m’a bouleverse en m’apprenant qu’enfant elle pleurait la nuit en demandant a Dieu de la changer en garcon. A 11 ans ( si tot) lorsqu’elle a eu ses regles j’ai ete peine de cet etat de perdre l’innocence de l’enfance si tot dans la vie alors que les garcons ont tout facile.
Bien avant ma fille, ma niece preferee, mere de 2 filles, m’avait profondement choque en me disant: « etre une femme c’est une malediction divine ». Et la bible condamne la femme aux douleurs atroces de l’enfantement. Un pretre burundais prof de kirundi affirmait que l’origine etymologique du mot « femme », umugore est le verbe « kugorwa » cad souffrir. Dieu merci au Burundi contrairement a de nombreux pays en Afrique, les petites filles ne subissent pas l’horreur absolue de l’existence que sont les Mutilations genitales feminines. Meme Freud a theorise sur cette condition mal partie des le depart avec le complexe du manque de penis. Ma fille qui avait termine ses etudes avec grande distinction en Europe et decroche un travail international a pique une grave depression. Je me demande souvent si la cause ne reside pas dans ce refus de son genre de soufrance qu’elle refusait des le depart. Y-a-t-il un psychanaliste dans la maison?
Bravo pour ce travail.
Lu pour vous :
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/10/19/en-cote-d-ivoire-un-psychiatre-en-mission-dans-les-camps-de-priere_6146527_3212.html