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Le Burundi et l’union monétaire est-africaine

05/05/2013 Commentaires fermés sur Le Burundi et l’union monétaire est-africaine

L’excellent article de Mathias Sinamenye dans IWACU n°212 du 20 mars intitulé {« Une intégration à marche forcée »} interpelle le public et me donne à mon tour l’occasion de faire un essai d’interprétation sur un sujet complexe, mais passionnant.

Car il traite de la monnaie qui touche aussi bien le monde sophistiqué de la haute finance que le citoyen ordinaire dans sa vie quotidienne. La présente crise financière dont l’origine remonte en 2008 aux Etats-Unis et qui s’est étendue au reste du monde vient nous rappeler que la définition qu’en donnait Aristote trois siècles avant Jésus-Christ reste toujours pertinente. En voici l’énoncé : La monnaie a été instituée selon un accord ou une convention de l’homme. C’est pourquoi elle est appelée monnaie, car elle ne reçoit son prix ni son cours de la nature mais de la loi et de l’ordonnance de l’homme. Et celui-ci est en mesure de transformer ce prix et de décrier ce cours.

L’histoire de la monnaie depuis sa création jusqu’à ce jour fourmille de maints exemples où les manipulations par le pouvoir politique sont fréquentes et parfois désastreuses. Pendant des siècles, l’or a tenu le rôle qui a régulé le mécanisme de fonctionnement de la monnaie en Occident avant que le papier-monnaie ne s’impose sur les économies nationales avec la décision de l’abandon de l’étalon-or en 1971 par les Etats-Unis dont le dollar est la principale monnaie de réserve des banques centrales. Le propos de cet article est de traiter les aspects politiques de la monnaie, manifestation la plus visible de la souveraineté nationale, la création de la monnaie étant d’essence éminemment politique.

Le grand mérite de l’article de M.Sinamenye est d’avoir mis à la disposition du lecteur non spécialiste, une panoplie d’instruments et de mesures préalables à la prise de décision par les autorités politiques pour l’intégration de la future union monétaire est-africaine. Sur le plan technique, il cite l’union douanière et les règles de fonctionnement du marché commun qui en constituent les conditions premières. Mais la conclusion est ambigüe dans la mesure où l’auteur, après une argumentation technique impeccable, hésite à donner clairement la voie à suivre. Car la question se pose en termes suivants : est-ce que le Burundi doit-il attendre que les conditions soient pleinement remplies pour adhérer à l’union monétaire est-africaine ?

Pour ma part, l’entrée du Burundi dans l’espace monétaire est-africaine devrait être accélérée pour amener le pays à entreprendre rapidement les réformes économiques nécessaires sous la pression et la discipline qu’imposeront les organes de gouvernance de la Communauté de l’Afrique de l’Est. Voici les raisons qui militent pour cette approche politique :

1. Après les indépendances des années soixante, beaucoup d’Etats qui ont eu à gérer leurs propres monnaies ont connu plutôt des expériences plutôt calamiteuses, minant ainsi des systèmes financiers déjà fragiles et par conséquent la confiance des Africains en leurs propres monnaies. La BRB, la banque centrale du Burundi, bien que considérée généralement comme étant bien gérée, n’a jamais été en mesure de contrôler l’inflation qui a miné le pouvoir d’achat de la monnaie pour les agents économiques et s’est traduit par une dépréciation systématique par rapport au dollar et à l’euro comme le montre le graphique ci-dessous. A titre d’illustration, le dollar américain valait environ 150 BIF en 1988 contre 1500 BIF en 2012.

2. Le nationalisme monétaire (monetary nationalism), de surcroît de la part d’un petit pays, par lequel les gouvernements continueraient comme par le passé à imposer la monnaie nationale et son cortège de contrôles de change sur les transactions dans le territoire national, n’a plus de sens à cette époque moderne de globalisation. Malgré les disparités économiques nationales, la zone franc avec le CFA comme monnaie commune en Afrique Centrale et de l’Ouest a incontestablement connu une croissance économique de loin plus élevée et soutenue dans le temps que dans les pays à monnaies nationales, et à ce titre a été un succès.

3. La monnaie multinationale est-africaine devra être gérée par une banque centrale à qui les Etats membres transfèreront une partie de leurs prérogatives, comme c’est le cas pour l’euro. Elle aura pour objectif principal un taux d’inflation le plus bas possible. En définitive, les taux d’intérêt seront inférieurs à ce que l’on constate aujourd’hui dans chaque pays pris individuellement. Par la réduction du risque perçu par les détenteurs de capitaux, cette situation nouvelle créera un environnement incitatif à des investissements considérables dans tous les secteurs de la production. Notamment dans les infrastructures qui bénéficieront d’importantes économies d’échelle, résultant d’une zone monétaire élargie.

4. Les petits pays aux économies enclavées comme le Burundi en seront les premiers bénéficiaires grâce à une accélération de l’intégration économique et financière à travers les marchés financiers globalisés. L’implantation de nouvelles banques régionales comme KCB, DTB et CRDB en est un exemple révélateur : grâce à une concurrence plus accrue, elle se révélera un puissant moyen de maîtriser les taux d’intérêt pour les entreprises et ménages.
Une récente étude sur le secteur financier, « The Financial Sector in Burundi », a mis en évidence un certain nombre d’obstacles à l’accès au crédit, notamment pour le secteur de la production comme l’agriculture et les PME, pourtant créatrices d’emplois et source de croissance économique élevée. A terme, la création d’un système monétaire, bancaire et budgétaire fort au niveau de la Communauté de l’Afrique de l’Est sera le gage de stabilité macroéconomique. D’après l’étude déjà citée, la faible performance sur une longue période, de la BRB et du secteur bancaire, est due à l’ingérence incessante des gouvernements dans la nomination des dirigeants sur des critères d’appartenance politique plutôt que sur leur compétence managériale.

5. Quant à la politique budgétaire et monétaire du Burundi dont l’indépendance sera forcément réduite, le constat est que, depuis des années, la marge de manœuvre du gouvernement est déjà étroite puisque le pays ne peut équilibrer ses comptes que grâce à un appui massif des bailleurs de fonds internationaux. Seuls des investissements directs étrangers pour l’exploitation des richesses minières à une grande échelle (nickel, or, coltan et autres ressources) et agricoles permettront au pays d’atteindre une croissance économique élevée, susceptible d’élever le niveau de vie par tête d’habitant grâce à une redistribution équitable des revenus.

En conclusion, la Communauté est-africaine ne résoudra ses problèmes économiques et sociaux que s’il y a une réelle volonté des dirigeants politiques de créer une monnaie commune de référence qui maintiendra la stabilité financière et la rigueur budgétaire de la zone monétaire. La crise actuelle de l’euro rappelle que la future monnaie devra s’appuyer sur une véritable union bancaire régionale avec une supervision en profondeur qui s’étendra à l’ensemble du secteur financier sous l’égide de la banque centrale commune.

Voilà un bon sujet à traiter lors d’une conférence-débat.

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