Jeudi 19 décembre 2024

Editorial

Le bonbon ou le bâillon

14/03/2024 6

« Mangosuthu Buthelezi, Tshisekedi wa Mulumba, John Fru Ndi,… » A tort ou à raison, les détracteurs de l’« ancien » président du Congrès national pour la liberté ( CNL), Agathon Rwasa, le comparent à ces chefs charismatiques de l’opposition en Afrique qui ont régné sur leurs partis sans partage pendant plusieurs décennies. En guise d’exemple, Buthelezi a été à la tête de l’Inkatha Freedom Party (IFP) en Afrique du Sud depuis la création en 1975 jusqu’en 2016. Agathon Rwasa est à la tête du CNL, qui a changé à maintes reprises d’appellation, depuis le maquis jusqu’au récent « congrès » du parti convoqué dimanche 10 mars 2024 à Ngozi par des cadres « exclus officiellement du bureau politique du CNL ». Il est traité de tous les noms, mais ses tombeurs lui reprochent principalement d’avoir une tendance à être un macro-démocrate et un micro-autocrate. « Il clame la démocratie à l’échelle nationale alors qu’il dispense des cours magistraux en autocratie au sein de notre parti. »

Par Léandre Sikuyavuga
Directeur du groupe de presse Iwacu

Avec ses sympathisants, Agathon Rwasa dénonce « une farce de mauvais goût, une tentative de putsch, une ingérence intolérable du gouvernement dans les affaires internes du parti. » Pour le politique Tatien Sibomana, ce qu’il faut tirer de ce congrès de Ngozi, c’est le rôle du ministre de l’Intérieur qui, selon lui, a orchestré la crise et qui vient de consommer la scission au sein du CNL. « Depuis le début de la crise, toute personne avisée voyait que c’est la main du ministre de l’Intérieur qui soutenait la dissension au sein du CNL. »

Pour rappel, le CNL, principal parti d’opposition au Burundi, a vu ses activités suspendues par le ministère de l’Intérieur en raison d’ « irrégularités » lors de ses deux congrès, l’un ordinaire le 12 mars et l’autre, extraordinaires, le 30 avril 2023, visant à doter le parti de nouveaux statuts et règlements intérieurs conformément au nouveau découpage administratif du pays, qui sera effectif en 2025. « Toutes les activités organisées par les organes irrégulièrement mis en place sont suspendues à travers le pays … Seules les réunions organisées dans le but de dénouer les tensions au sein du parti sont autorisées », pouvait-on lire dans un courrier du ministre adressé à Agathon Rwasa daté du 2 juin.

Dans son ouvrage Être opposant en Afrique, Charly Hessoun démontre comment c’est téméraire, voire suicidaire de se déclarer opposant en Afrique. C’est une option à haut risque. « Faites un tour d’Afrique, partout où vous posez votre valise, fonctionne avec une redoutable efficacité la machine à casser ou à caser de l’opposant. Il s’agit de faire douter celui-ci, de l’ébranler au plus profond de lui-même, pour qu’il s’aplatisse comme une crêpe ». Pour Hessoun, la machine propose quatre réponses : bonbon, bâillon, prison, morgue.

Le dictionnaire définit le bâillon comme « morceau de bois ou de fer, tampon d’étoffe que quelqu’un introduit de force dans la bouche d’une personne qu’il veut empêcher de parler ou de crier ». M. Rwasa a refusé de savourer la carotte lui offerte généreusement pour troquer son maillot d’opposant. Depuis les élections de 2010, selon plusieurs observateurs, il a été un opposant constant et consistant, n’a pas accepté le bonbon du pouvoir en vue de changer radicalement. Il est devenu, au contraire, un adversaire d’un autre calibre, gênant le parti au pouvoir. M. Rwasa commençait à prendre du galon au niveau international (invité à plusieurs conférences transnationales), de l’opposition et des médias. « Comment le Cndd-Fdd aurait-il croisé les bras ou fermé les yeux devant un adversaire du calibre de Rwasa, lequel mène aussi le combat contre cette formation politique ? », s’interroge un politologue.

Paraphrasant l’expression très utilisée en matière pénale : « A qui profite le crime ? », Tatien Sibomana pense que « le crime profite au parti au pouvoir par l’entremise du ministre de l’Intérieur. » Je dirais, de ma part, que le crime ne profite à personne. C’est le déclin, le recul de la démocratie alors que tous nos politiques se targuent d’être démocrates, malheureusement…

Forum des lecteurs d'Iwacu

6 réactions
  1. Inakayago carine

    Personne n’ignore la dictature de Rwasa.Disons-nous la vérité,si Rwasa un jour devenait président de la Republique, le peuple serait entré dans le gouffre.Heureusement que Rwasa ne sera jamais le président de la Republique.Qu’il rentre dans la pension politique car cette dernière n’est pas pour lui.

  2. Kabagambe Richard

    Le musellement méthodique de l’opposition finit par rendre celle-ci atone et aphone. La scène politique, de ce fait, ne résonne plus que du tam-tam du pouvoir. La voix de son maître, triomphante et souveraine, efface l’opposition de tout l’espace médiatique, reléguée qu’elle est dans les arrière-cours de la vie nationale. Comme pour signifier que qui n’a plus de voix, n’a plus de poids, donc n’a plus de vie… Voilà ce que devient la scène politique au Burundi

  3. M@tefer

    Je ne commente pas les faits dont je ne connais pas les détails, je dénonce les comportements de tous ceux qui s’appellent « PRÉSIDENTS ou Représentants Légaux » en Afrique. Une fois élus, ils font tout pour faire ces postes électifs des acquis familiaux. Pour y parvenir, ils font tout pour écarter du jeux toute voix dissidente.
    Je me rappelle quand j’étais encore très jeune, j’ai participé dans une Assemblée générale constitutive d’une association des jeunes dont je veux pas citer le nom parce qu’elle est bien connue, j’ai signé sur la liste de présence mais j’ ai retrouvé plus que sur la liste annexée au PV déposé au Mininter pour la demande d’agrément mon n’y figurait plus parce que le Président-fondateur avait peur de moi. Dix ans plus tard, j’ai été invité dans une AG extraordinaire pour élire un nouveau président, curieusement, j’ai constaté que la soi-disant AG n’avait que 10 membres pour une association comptait un effectif deplus d’une centaine de membres engagés et actifs. Quand j’ai demandé pourquoi les membres n’ont pas été conviés à la réunion, j’ai été directement écarté et depuis je ne suis plus convié à aucune réunion ni activité de l’association. Il est de même dans mon église. L’église nous dit que nous sommes membres pourtant nous n’avons jamais été conviés à une AG. Cette association ne connait qu’un seul président depuis sa création et je peux deviner que son successeur sera sa femme ou son fils.
    Si l’église qui devrait servir de modèle ne peut pas organiser des élections transparentes, comment les autres structures feraient mieux ?
    Tout le monde sait que les présidents-fondateurs le sont à vue, ceux qui les remplacent utilisent souvent des voies obscures. Ce qui me fait très mal au cœur ce sont ceux qui créent des partis d’opposition et des rébellions, soi-disant pour changer les choses alors qu’ils eux-mêmes échangeables.

    A bon entendeur, salut !

  4. R

    « …mais ses tombeurs lui reprochent principalement d’avoir une tendance à être un macro-démocrate et un micro-autocrate. »

    Moi je le prendrais plutôt pour un « micro-démocrate » et « macro-autocrate »

  5. Murekatete

    Tous les autres partis sont des marionettes.
    Le seul parti qui osait critiquer la gouvernance DD est dissout.
    Nous pouvons chanter alors Vision 40/69.
    Chanter que nous sommes un peuple choisi (peut être choisi pour être le pays le plus pauvre du monde)

  6. ndirabika

    « un macro-démocrate et un micro-autocrate. » ça doit être un lapsus d’après le portrait qu’on fait de lui. Il est plus autocrate que démocrate

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