Le sauvage assassinat de Léandre Bukuru a provoqué des réactions variées et passionnées. Et certains en ont profité pour régler leurs comptes à ceux qu’ils considèrent, à tort ou à raison, comme des adversaires.
Le comportement des autorités judiciaires et policières dans cette affaire a étonné, parfois scandalisé, plus d’un. « La conduite de la justice dans cette affaire est incompréhensible. La femme du défunt a été interrogée alors qu’elle était encore dans un état de choc », relève Me Fabien Segatwa. Il indique que le procureur n’avait pas besoin de l’entendre d’abord, alors que des témoignages avaient identifié un véhicule appartenant à la police, sans oublier que des policiers avaient été reconnus au domicile du défunt.
Ce qui est impensable, pour Me Segatwa, c’est que la veuve de Bukuru n’ait pas été entendue comme partie civile, mais comme suspecte. Le procureur est allé vite en besogne et, humainement parlant, c’est un comportement qui n’est pas digne. Quelle idée d’enterrer séparément deux parties d’un même corps ? « Mais son geste peut également être expliqué par la crainte qu’aurait suscité, dans la famille et dans l’opinion publique, la vision des deux parties du même corps », pense l’avocat.
Ce point de vue semble être partagé par le Frère Emmanuel Ntakarutimana, président de la Commission Nationale Indépendante des Droits de l’Homme(CNIDH). Devant la presse, ce mardi 22 novembre, il a souligné l’empressement du Procureur général près la Cour d’Appel de Gitega d’enterrer la tête de la victime, près du reste du corps, sans l’accord et en l’absence de la famille. En déplorant ce manque de consensus, la commission souligne qu’« un enterrement respectueux des valeurs culturelles et des normes de dignité inhérentes à tous les membres de la famille humaine s’impose pour le cas Léandre Bukuru. »
Entre indignation et accusation
La déclaration de la CNIDH a également constaté le manque de diligence des autorités policières et judiciaires pour faire la lumière sur ce meurtre, tout comme, poursuit-elle, « d’autres cas similaires d’enlèvement relevés ici et là se terminent souvent par l’exécution et un enterrement hâtif ; d’où le risque de basculer dans les crimes graves de disparitions forcées. »
Cependant, d’autres ont réagi différemment, très différemment.
Alors que des membres de la société civile se sont rendus, ce week-end, au domicile de feu Léandre Bukuru pour soutenir sa famille, et réaffirmer leur indignation contre cet acte barbare, le Secrétaire général du gouvernement a versé dans le cynisme en déclarant qu’ils vivent du malheur des Burundais.
Dans un point de presse tenu ce mardi 22 novembre, Philippe Nzobonariba, a indiqué que le gouvernement met l’assassinat de Léandre Bukuru dans le même sac que les autres cas d’exécution extrajudiciaire. Et, pour lui, certaines personnes se sont empressées de fausser le travail des enquêteurs en donnant un numéro de plaque, par exemple, sans laisser le temps à la police de faire son travail : « Ce numéro peut avoir été donné par un de ses assassins pour dérouter la police, ce ne serait pas une première au Burundi ». Pour M. Nzobonariba donc, il faut se méfier des déclarations hâtives des médias et certaines organisations de la société civile, travaillant comme des auxiliaires de l’ADC-Ikibiri, et laisser travailler la justice et la police. Faut-il y voir une autre promesse de justice ? Une promesse, dit-on, est une dette.
Vers une radicalisation des positions
Pourtant, le Secrétaire général et porte-parole du gouvernement ne s’est pas gêné, lui, pour déclarer, il n’y a pas si longtemps, ceux qui avaient la mauvaise habitude de décapiter les gens avec de petites houes sont connus.
Il faut souligner qu’une certaine opinion a, au début, cru voir dans l’ignoble assassinat de Bukuru une opération du pouvoir pour calmer une opinion qui n’apprécierait pas que les victimes des exécutions extrajudiciaires soient toujours des Hutus. Des affirmations ont été lancées avant que même la tête de la victime soit retrouvée, mais il s’est avéré que le décapité de Giheta n’était pas Tutsi.
Mais, en définitive, il apparaît clairement que la décapitation de Léandre Bukuru, tout comme le carnage de Gatumba et les morts du Campus Mutanga, vient renforcer des prises de position qui risquent de basculer vers un dénouement malheureux. D’un côté l’engagement de la société civile pour le respect des droits de l’homme, et de l’autre sa diabolisation par le pouvoir comme un adversaire proche, si pas auxiliaire, de l’opposition.