Les adeptes de Zebiya étaient venus de tous horizons sur la colline Businde, dans leur sanctuaire, pour la fin du monde, prévue pour le 12 décembre à 12h. L’heure fatidique dépassée, le rendez-vous a viré en affrontement contre la police. Et le ministre de l’Intérieur hausse le ton.
<doc6431|left>« Mercredi, 12 décembre 2012, à 12h00. Tout va s’arrêter. Préparez-vous. Ce sera la fin du monde ». L’alerte avait été lancée par les fidèles de Zebiya. Le matin de cette date, les habitants de la commune Gahombo attendent l’accomplissement de la « prophétie ». Les journalistes sont au rendez-vous pour rapporter en direct la fin de toutes choses. Entre-temps, depuis la veille, les adeptes de Zebiya, majoritairement des femmes, sont écroués au chef lieu de la commune, arrêtés par la police. Ils étaient venus dans l’espérance qu’ils seront élevés sur leur « sainte » colline, Businde.
Vers 11h. Une large délégation composée d’autorités administratives et policières arrive. Le ministre de l’intérieur, Edouard Nduwimana, en fait partie. Les « Zebiyas » sont libérés et acheminés dans une cour encerclée par la police, devant les bureaux de la commune. Le ministre ne tarde pas à lancer ses derniers avertissements. « L’affaire Zebiya n’est plus celle de la commune Gahombo, ou de l’Eglise catholique : c’est une affaire de l’Etat du Burundi. Nous le répétons pour la toute dernière fois, aucune forme de prière sur la colline Businde chez Zebiya n’est autorisée. Qui ne veut pas l’entendre de gré, le saisira par la force », lâche-t-il, avant de nommer quelques visages qu’il a reconnus en provenance de Bujumbura : « Celui-là s’appelle Baranjoreje. C’est un ancien procureur de Bururi. Mais je suis sûr qu’il n’est pas venu pour la Vierge Marie. Il a d’autres fins inavouées. On se connaît ! Qui trompe qui ? »
Et d’épingler les fonctionnaires récidivistes: « Tout fonctionnaire qui a laissé son travail pour venir dans ces pseudo-prières doit être identifié pour être puni conformément à la loi ».
A la fin de la réunion, chaque administrateur de Kayanza présent est rentré avec les « brebis égarées » natives de sa commune, après les avoir inscrites sur une liste. L’opération s’est déroulée vers 13h. Jusque là, la fin du monde n’avait pas encore eu lieu…
<doc6429|left>Ils avaient juré de ne jamais lâcher prise
Le coup de théâtre débute mardi 11 décembre, 5h du matin. Les « Zebiyas » entonnent des chansons, au rythme du tambour, scandant des slogans religieux, aux alentours de leur sanctuaire qui venait d’être rasé. Ils y ont apparemment passé la nuit. Ils sont des centaines ! La police, qui garde le site et ses alentours, tente d’empêcher son invasion.
Les « Zebiyas », résistent et foncent. Ils lancent de pierres pour se défendre et des coups de feu retentissent. Selon certaines sources sur place, ils venaient de plusieurs côtés. La police est débordée et appelle des renforts qui ne tardent pas à débarquer, en provenance de Ngozi. A leur arrivée, tous les hommes à l’allure ‘bourgeoise’ sont arrêtés. Parmi eux, le prêtre de Gitega, Herman Harakandi, récemment suspendu par l’Eglise catholique et le chef de poste de police de la commune Gashikanwa, avec son garde du corps. Les femmes sont vite acheminées au chef lieu de la commune Gahombo et sont enfermées dans l’une des salles des bureaux communaux.
La population en a assez
Pendant toute la journée, c’était une vraie chasse aux sorcières. Comme le signale un habitant de la colline Rukago, tout fidèle de Zebiya était vite repéré, traqué, voire battu. « Nous avons raison de nous acharner. Apparemment, aucun de ces « Zebiyas » n’est passé par une route. Ils ont piétiné nos plantations pendant la nuit », s’insurge-t-il.
Et quant à l’authenticité de ce qui se passe chez Zebiya, l’opinion publique diverge. Pour les uns, il s’agit d’une vraie farce, alors que les autres sont indécis. « Qui sait ? Peut-être qu’il y a quelque chose de vrai. Le temps nous en dira plus », pense un habitant de la commune Gahombo. Certains estiment que la source est à rechercher du côté de Satan : «Dieu n’est jamais l’auteur de ce qui divise, rabaisse et détruit l’humanité. » Et une autre personne de renchérir : « Les enfants abandonnent l’école, les foyers se disloquent à cause de ces histoires de Businde ».
<doc6428|left>Quid de la fin du monde attendue ce 12 décembre 2012 à 12h00 ?
D’après C.N., Eusébie Ngendakumana n’a jamais prêché la fin des temps: « Elle reste convaincue que seul le fils de l’homme sait quand et comment cela se passera. » Il dit ne pas comprendre la position des évêques catholiques : « Eusébie ne dérange personne. Comment se fait-il que les mêmes religieux qui avaient béni notre croix reviennent pour dire que nous sommes hors la loi ? » Il rappelle que l’Etat burundais est laïc : « Pourquoi la police et le ministre de l’Intérieur courent-ils après nous ? » Il ne doute pas que la malédiction tombera sur les gens qui persécutent des catholiques calmes. Et d’appeler le gouvernement et le clergé à la prise de conscience : « Les gens doivent rester libres. » A la question de savoir pourquoi ils ne créent pas une autre religion, C.N., gêné, répond : « Nous restons attachés à l’Eglise catholique, car nous ne sommes pas des brebis égarées. »
Un mouvement qui traduit une crise au sein de l’Eglise…
Le professeur Paul Nkunzimana pense que l’existence de ce mouvement traduit une crise au sein de l’institution catholique : «C’est une crise des valeurs qui n’est pas récente, au niveau de l’institution elle-même, où on assiste à la naissance d’un certain nombre de mouvements dissidents et des dissensions dans cette institution.» Ceci traduit en réalité, poursuit-il, un malaise au niveau social, économique, et même politique. Le Pr Nkunzimana indique que le mouvement eusébiste est lié au contexte national et sous-régional. Raison pour laquelle, selon lui, Eusébie a des adeptes venus des pays voisins. Pour le cas du Burundi, continue le sociologue, la laïcité est remise en cause par les responsables politiques qui ne cherchent pas à distinguer le religieux du politique.
Une « secte » favorisée par une crise sociale
« Ce sont des événements qui sont annoncés lorsque la société se trouve dans l’impasse », ajoute-t-il. Il estime que plus la crise sociale s’accélère, plus ce type de ‘prophètes’ continue à sévir dans une société donnée »,
Le Pr Nkunzimana rappelle que, lorsqu’une association est créée, elle doit se conformer à la loi. « Mais la secte d’Eusébie veut remplacer l’institution traditionnelle, car les sectes se considèrent comme meilleures par rapport aux institutions dont elle sont issues, conclut-il.