Lundi 23 décembre 2024

Société

La vie intenable des déplacés de SOBEL

23/03/2023 Commentaires fermés sur La vie intenable des déplacés de SOBEL
La vie intenable  des déplacés de SOBEL
Vue partielle du site SOBEL

La faim, les maladies, le désœuvrement, le désespoir, entre autres éléments du quotidien des déplacés du site SOBEL, commune Mutimbuzi dans la province Bujumbura. Accablés, ils sont pour la délocalisation vers leurs lieux d’origine ou ailleurs. La vie du site est devenue insupportable. Reportage.

« La vie d’ici est devenue presqu’impossible. On vivote. On mange à peine une fois par jour. La faim est une réalité », se lamente Joseph, un déplacé du site de déplacés de la Société burundaise d’élevage (SOBEL).

Nous sommes non loin de la route Bujumbura-Rugombo et du bureau communal de Mutimbuzi. Des centaines de tentes sont installées ici et là sur ce site dominé par de hauts arbres. Mal vêtus, pieds-nus, des enfants y grouillent. Certains présentent des signes de malnutrition. « Nos enfants souffrent parce qu’ils n’ont pas à manger. Regardez leurs ventres, leurs cheveux. C’est visible que la kwashiorkor rôde », décrit un père de cinq enfants.

D’après lui, plusieurs mois viennent de se passer sans aucune assistance alimentaire. « Quand nous avons quitté nos maisons, nous n’avons rien récupéré. Tout a été emporté par l’eau », se souvient-il. Aujourd’hui, il dit n’avoir aucune source de revenu pour faire vivre sa famille. Et ses trois enfants ont abandonné l’école : « Ils m’ont dit qu’ils ne peuvent pas continuer à aller à l’école sans manger. »

Une mère rencontrée dans ce site se dit dépassée : « On ne sait plus quoi dire. On est totalement abandonné. Imaginez-vous passer plus de six mois sans assistance. C’est grave ! » Elle ne doute pas que c’est à cause de ce manque de nourriture que les gens tombent souvent malades. « Le paludisme fait rage.

Des cas de décès sont souvent enregistrés, suite à ces mauvaises conditions dans lesquelles on vit. Et quand on ne mange pas suffisamment, sûrement que le corps devient très faible », déplore la sexagénaire.

Interrogée sur les cas de viol, de vagabondage sexuel qui se produiraient dans ce site, cette femme raconte que cela ne peut pas manquer : « Très difficile de résister à la tentation quand on a faim. Quand ces filles n’ont pas à manger, elles deviennent très vulnérables. » Ce qui entraîne, selon elle, beaucoup de cas de grossesse non désirées.

Le désœuvrement

« La vie est très difficile. Les déplacés sont désœuvrés parce qu’ils n’ont pas d’espaces pour cultiver. Or, la plupart vivaient de l’agriculture et de la pêche », indique Jean-Claude Bimazimpaka, administrateur du site SOBEL-Mafubo.

Malheureusement, déplore-t-il, ils ne peuvent même pas être embauchés dans les champs des voisins du site. « Ces derniers préfèrent donner du travail aux résidents de Buterere, Mubone, etc. Et c’est impossible pour un déplacé d’avoir de l’argent pour louer un lopin de terre à exploiter. C’est très cher ».

En cas de pluie, M. Bimazimpaka reconnaît que la situation devient intenable, la majorité des tentes étant délabrées. « Même celles données par OIM dernièrement n’ont pas suffi. Ils en ont donné à plus de 400 ménages. Or, le site en héberge 847 composés de 4.235 personnes ». Il signale que seuls les anciens occupants du site ont été assistés : « Ceux qui sont venus de l’ancien site dit Kigaramango n’en ont pas bénéficié.»

Il indique que dans ce site, il y a deux catégories de tentes : « celles dites Gasekebuye (VIP) et des tentes sous forme de hangar. Et là, une famille a droit à 3m/2m, quel que soit le nombre d’enfants, l’âge, le sexe. »

Suite à cette promiscuité, il signale que beaucoup d’hommes, de familles ont quitté ce site pour demander refuge chez des amis ou louer des maisons dans différents quartiers.

En ce qui est de l’assistance alimentaire, il affirme que la dernière distribution remonte à plus d’une année : « C’était en mars 2022. Et ce n’est pas tout le monde qui en a bénéficié. Seuls les anciens ont été assistés, ceux qui y sont installés en 2020. »

D’autres assistances sporadiques viennent des bienfaiteurs, des personnes qui le font à titre individuel. Ils apportent du sucre, des savons, etc. Et leurs cibles sont des vieux, des personnes vivant avec handicap, des malades, etc.

Se faire soigner, un parcours du combattant

Jean-Claude Bimazimpaka : « La vie est très difficile. »

En cas de maladie, Jean-Claude Bimazimpaka avoue qu’on s’en remet à Dieu : « Nous avons un petit Centre de santé du MSF et la Fondation Stamm. Malheureusement, le matériel n’est pas suffisant. Quand tu tombes malade, les examens se font ailleurs, ce qui est très difficile pour les indigents. Et cela fait un mois qu’on leur a dit d’aller se faire soigner ailleurs. »

Pire encore, il signale que le CDS travaille seulement la journée jusqu’à 15h. « Or, vous savez que les maladies ne sont pas prévisibles. C’est d’ailleurs pendant la nuit que des enfants tombent souvent malades ». Et dans ce cas, pour bénéficier des soins, ils sont obligés de se rabattre sur certains CDS privés environnants. « Et là, dépourvus de sources de revenus, les déplacés hypothèquent leurs habits, leurs ustensiles de cuisine… pour sauver leur peau ».

Au moment où des cas de choléra ont été signalés dans la plaine de l’Imbo, il signale qu’aucun cas n’a été détecté dans ce site. « Aujourd’hui, nous avons suffisamment d’eau. Seulement, quand des habitants des environs s’approvisionnent à notre source, le débit commence à être faible ».

M.Bimazimpaka assure que la malaria existe : « Beaucoup de ménages n’ont pas pu avoir de moustiquaires. » Ainsi, il demande qu’on fasse une autre distribution tout en évoquant aussi l’existence des maladies de la peau très fréquentes.

Et des morts ont été enregistrés suite à ces mauvaises conditions de vie : « En janvier dernier, un vieil homme est mort. C’est après 3 ou 4 jours que nous avons remarqué qu’il ne sort plus de sa tente. Et nous l’avons évacué pour des soins et il est mort au CDS. Sans doute qu’il est mort par inanition. » Il fait état de 27 personnes mortes parce qu’elles n’avaient pas de moyens pour se faire soigner ou suite à la faim.

Quid du vagabondage sexuel ? L’administrateur du site SOBEL indique que grâce à l’implication de l’OIM, ce comportement a diminué sensiblement : « Ils ont donné un petit capital aux jeunes filles. 570 mille BIF pour 30 filles et ils ont aussi organisé des sensibilisations. Et 60 autres filles sont sur la liste d’attente, y compris des orphelins. »

Un site qui héberge des vulnérables à plusieurs degrés. Selon les données fournies par le responsable du site, on trouve 25 orphelins, 36 femmes enceintes, 47 personnes vivant avec handicap et 233 personnes de plus de 60 ans. On y répertorie aussi 136 femmes allaitantes, 86 diabétiques, des séropositifs, etc. 54 filles-mères vivent également dans ce site. Et les enfants avec père inconnu y sont également nombreux, selon Jean-Claude Bimazimpaka.

En ce qui est de la scolarisation, il précise que ce site compte plus de 500 élèves. Grâce à l’appui de certaines organisations, comme SAD et Save Children, beaucoup d’entre eux poursuivent encore leurs études. Néanmoins, il déplore que le taux d’abandons y soit très élevé : « Certains enfants ne parviennent pas à résister. Suite à la faim, aux mauvaises conditions, ils abandonnent l’école. »

La délocalisation, une urgence

Ce responsable du site assure que ces déplacés sont fatigués : « Il y en a qui sont ici depuis 2020. Et c’est une perte pour les déplacés et pour le pays, car nous vivions de l’agriculture, de la pêche. Et quand on vendait notre production, on payait des taxes. Mais aujourd’hui, nous sommes là désœuvrés. Mais on doit manger. »

Pour lui, la relocalisation a pris du retard. Il propose que ceux qui venaient des endroits aujourd’hui desséchés puissent rentrer chez eux. Pour les endroits encore sous l’eau, il estime que l’Etat doit les réinstaller ailleurs.

L’Etat est à l’œuvre

« On suit de près au quotidien la situation des déplacés des catastrophes naturelles. Pour le moment, nous sommes en train de sensibiliser ceux qui n’avaient pas leurs propres maisons pour accepter qu’on leur donne des moyens pour aller louer des maisons », réagit Ildephonse Majambere, porte-parole du ministère ayant les affaires sociales dans ses attributions.

Ildephonse Majambere : « Nous reconnaissons que les conditions de vie de ces déplacés sont mauvaises. »

Il espère qu’avec cette assistance, ils pourront quitter les sites. « Pour ceux qui sont capables de réhabiliter ou de se construire des maisons, on leur demande de le faire et on va leur donner du matériel pour la charpente et les toitures ».

Pour les plus démunis, M.Majambere indique qu’on est en train d’aménager des lieux de délocalisation à Mubimbi et Kabezi. Dans ce travail, il demande aux médias de jouer leur rôle : « Que les déplacés qui peuvent faire un effort pour retrouver leur vie normale le fassent. »

Concernant l’assistance alimentaire, il signale qu’en collaboration avec les partenaires, le ministère est à l’œuvre pour que cette aide puisse être disponible et distribuée sous peu.

Pour le nombre des morts, M. Majambere souligne qu’il faut au préalable mener des enquêtes pour établir un bilan : « Toutefois, nous reconnaissons que les conditions de vie de ces déplacés sont très mauvaises. »

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