Jeudi 10 octobre 2024

Économie

La vie chère à Bujumbura : témoignages et analyses

La vie chère à Bujumbura : témoignages et analyses
Evolution de la pauvreté au Burundi selon la Banque mondiale

La pauvreté urbaine est une réalité omniprésente dans la capitale burundaise, Bujumbura, où la vie devient de plus en plus difficile pour une majorité de la population. Les jeunes diplômés et les fonctionnaires, jadis perçus comme privilégiés, subissent les conséquences d’une inflation galopante et de la stagnation économique.

Des témoignages recueillis sont poignants et les réflexions de l’économiste André Nikwigize sur la crise urbaine à Bujumbura et l’impact de la pauvreté sur les ménages laissent sans voix.

Dans la zone Kamenge de Bujumbura, Jacques Nikwigize, jeune diplômé sans emploi, raconte sa lutte quotidienne pour la survie. Bien qu’il soit titulaire d’un diplôme, il n’a pas pu trouver d’emploi correspondant à ses qualifications et se résout à travailler comme conducteur de taxi-vélo.

« Cette vie est devenue plus compliquée après mes études et je dois la vivre ainsi. J’ai un diplôme, mais personne ne veut m’engager. Pour l’instant, je travaille comme taxi vélos et le peu que j’obtiens m’aide à satisfaire certains besoins, même si je ne suis pas satisfait », confie-t-il en essuyant de grosses gouttes de sueur sur son front.

Le salaire qu’il perçoit est à peine suffisant pour subvenir à ses besoins fondamentaux. Chaque jour, il révèle qu’il gagne entre 7 000 et 8 000 BIF, mais qu’il doit verser 3000 BIF à son patron, le propriétaire du vélo.

« Je n’ai aucun autre choix, je dois travailler, même si je sais que ce métier ne me mènera nulle part. Je n’économise rien ; je mange à peine. C’est juste pour assurer la survie.» Jacques, comme de nombreux autres jeunes dans les zones urbaines du Burundi, vit une situation de précarité, incapable de s’élever au-delà des limites imposées par l’économie urbaine informelle.

Le témoignage de Jean Paul, enseignant au lycée communal de Kamenge, renforce cette perception d’une pauvreté généralisée qui touche même les fonctionnaires.

Avec un salaire de 400 000 BIF par mois, il peine à subvenir aux besoins de sa famille. Les dépenses mensuelles dépassent largement ses revenus, totalisant plus d’un million de BIF.
« Joindre les deux bouts est devenu un miracle », chuchote-t-il, expliquant que les coûts de la vie, en particulier pour le logement, la nourriture et les frais de scolarité de ses enfants, dépassent ses moyens. Il nous fait un tableau de ses besoins et de ses dépenses.

Cette situation est représentative d’une grande partie des ménages urbains de Bujumbura qui voient leur pouvoir d’achat diminuer, tandis que le coût de la vie continue d’augmenter.

La pauvreté urbaine en chiffres

Selon les rapports de la Banque mondiale, la pauvreté urbaine, qui affectait environ 6 % de la population en 1990, a grimpé à 15 % en 2023. Ce seuil, basé sur des revenus inférieurs à 2 USD par jour, reflète l’impact de l’augmentation des prix et de la baisse des revenus réels.

« Les familles de fonctionnaires, pour survivre, doivent déployer beaucoup d’efforts Des ménages doivent rechercher des revenus complémentaires, les jeunes en chômage se lancent dans des activités informelles de survie, tandis que les jeunes des campagnes émigrent vers les centres urbains, à la recherche des emplois rémunérés, ce qui ajoute une pression supplémentaire à la pauvreté urbaine », note André Nikwigize.

La Diaspora est de plus en plus sollicitée pour aider financièrement les membres de la famille restés au Burundi. Aujourd’hui, plusieurs familles sont aidées par certains de leurs membres qui ont réussi à rejoindre l’Europe via la route les Balkans.

Kevin, un jeune burundais, a choisi l’exil en Serbie ’’pour échapper à la pauvreté qui sévit au Burundi’’. Après trois ans de chômage, il a proposé à sa famille de financer son départ. Cependant, pour financer son voyage, sa famille a dû contracter un emprunt bancaire la plongeant encore plus dans la précarité.

« Ma famille vivait dans la misère en remboursant cette dette », confie Kevin. Aujourd’hui, grâce à son travail en Serbie, il envoie de l’argent pour aider sa famille à rembourser la dette restante et subvenir à leurs besoins essentiels.

De plus, avec 87 % de la population burundaise vivant avec moins de 1,9 USD par jour, le Burundi se classe parmi les pays les plus pauvres au monde, avec un PIB par habitant de seulement 245,8 USD en 2023 selon la Banque mondiale.

La situation, exacerbée par les années de guerre civile et de violences, a laissé des cicatrices profondes dans l’économie du pays. Bien que la croissance ait repris après 2005, avec un taux de plus de 4 % par an entre 2005 et 2014, elle n’a pas suffi à réduire la pauvreté en raison d’une forte croissance démographique.

Avec une densité démographique de 480 habitants par kilomètre carré et une faible productivité agricole, les pressions sur les ressources sont immenses, ce qui pousse de nombreux jeunes à quitter les campagnes pour chercher des opportunités dans les centres urbains.

Pour faire face à la cherté de la vie, de nombreux fonctionnaires se tournent vers le petit commerce ou d’autres activités informelles pour arrondir leurs fins de mois.
« Des fonctionnaires s’absentent pour trouver des activités d’appoint sans que leur hiérarchie ne puisse leur en tenir grief des chauffeurs dans des organismes publics font le taxi pendant leurs heures de travail, par exemple », explique l’économiste André Nikwigize.

Certains employés publics deviennent conducteurs de taxis, même pendant leurs heures de travail, et d’autres se lancent dans le petit commerce, souvent en vendant des produits vivriers dans des kiosques au bord des routes.

La pauvreté croissante a également encouragé une augmentation de la petite corruption, un fléau qui gangrène le secteur public. « Les juges, les policiers, les contrôleurs de douanes et d’impôts, tous, sont plongés dans la petite corruption », observe Nikwigize.
« Dans ces conditions, il est difficile d’éviter que certains d’entre nous acceptent des pots-de-vin de la part de parents d’élèves pour arrondir nos fins de mois », confirme un instituteur sous anonymat.

Le désespoir des jeunes Burundais

Taxi-vélos malgré eux

Le chômage des jeunes reste l’un des plus grands défis de la société burundaise. 66 % de la population a moins de 25 ans, mais les politiques publiques ne prennent pas en compte leurs besoins. « La croissance économique, proche de zéro ne permet pas d’offrir des emplois aux jeunes, encore moins la résorption de la pauvreté, et le taux de chômage des jeunes représente 65%, ce qui est préoccupant. Les barrières à l’emploi des jeunes incluent un manque de création d’emplois, que ce soit dans la fonction publique, les entreprises publiques ou privées », critique l’économiste André Nikwigize.

En effet, la plupart des jeunes diplômés, comme Jacques, se retrouvent à travailler dans des emplois précaires, sans rapport avec leurs qualifications. « Le secteur informel reste la principale source d’emploi pour les jeunes, au Burundi, comme dans la plupart des pays en Afrique. La Banque mondiale estime que le secteur informel représente 80 à 97 pour cent des emplois créés », souligne l’étude de cet économiste.

Dans les villes, les jeunes sont alors de plus en plus nombreux à se lancer dans de petites activités dans le secteur informel sans aucun rapport avec leurs diplômes : « vendeurs de cartes téléphoniques, chauffeurs de taxis, coiffeurs, cuisiniers, serveurs, vigiles, etc. Ceux qui ont des parents ou des membres de familles un peu plus fortunés reçoivent un petit capital et se lancent dans l’entrepreneuriat et la création de leur propre emploi », relève l’économiste André Nikwigize.

La situation est aggravée par l’exode rural, avec de nombreux jeunes migrants qui affluent vers les centres urbains, espérant trouver un emploi rémunéré. Toutefois, la rareté des opportunités ne fait que s’ajouter à la crise.

« La pression des jeunes ruraux, venant chercher un emploi rémunéré dans les centres urbains, ajoute une pression sur la disponibilité d’emplois. Les garçons viennent chercher des emplois de domestiques, de porteurs, de balayeurs, ou même de veilleurs de nuit dans les ménages, les administrations, les entreprises. Les migrants sont des jeunes de 15 à 40 ans ».

Dans ses recherches André Nikwigize montre que des jeunes filles, convaincues que les centres urbains représentent un « Eldorado », abandonnent l’école pour aller dans les centres urbains où les emplois disponibles sont des emplois de nounous.

Des fois, déplore cet économiste, n’ayant pas eu d’éducation sexuelle préalable suffisante, ces jeunes filles se retrouvent enceintes et sont obligées de retourner dans leur village.

L’économiste André Nikwigize insiste sur la nécessité d’une véritable réforme économique pour remédier à cette situation désespérée : « Malheureusement, au lieu de trouver une solution durable au chômage des jeunes, le gouvernement décide, soit de les retirer des points de concentration dans la ville, soit de détruire les activités dans lesquelles ils sont occupés, tels les taxi-motos, les Tuk-Tuk, ou alors, tenants de kiosques au bord des principaux axes routiers », déplore-t-il.

La solution, selon lui, réside dans la création d’emplois formels et stables qui permettront aux jeunes de contribuer véritablement au développement du pays.

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