La campagne électorale est lancée. L’occasion de s’interroger sur la place et la force que la Constitution donne au président. Certains estiment qu’il risque d’être « sous la coupe de l’ancien président », ou sous le contrôle du parti… A l’analyse, il n’en est rien. Une fois que le Président est élu, les marges de manœuvre du Président du parti majoritaire sont presque nulles. Avec la nouvelle Constitution , l’homme qui sera élu à la présidence du Burundi détient d’énormes pouvoirs et peu ou presque pas de contre-pouvoirs. En cinq clés, un spécialiste du droit constitutionnel nous donne éclairage.
Par Antoine Kaburahe
1. Entre l’ancienne Constitution et celle votée en 2018, quel est le plus grand changement concernant les pouvoirs du Président ?
S’agissant des pouvoirs du Président, il n’ y a pas eu beaucoup de changements dans la constitution du 7 juin 2018 par rapport à la Constitution du 18 mars 2005. En passant au peigne-fin les deux constitutions, l’on trouve que les pouvoirs sont restés globalement les mêmes. Seul le temps pendant lequel ces pouvoirs sont exercés a changé, passant d’un mandat de cinq ans renouvelables une fois dans la Constitution du 18 mars 2005( article 96) à un mandat de sept ans renouvelables dans la Constitution du 7 juin 2018( article 97).
2. Le président burundais peut -il être limogé ?
Sous l’empire de la Constitution du 7 juin 2018, le Président burundais peut être limogé dans une seule hypothèse. C’est lorsqu’il est pénalement condamné pour haute trahison. Selon l’article 117, alinéa 2 de la Constitution, il y a haute trahison lorsqu’en violation de la Constitution et de la loi, le président de la République commet délibérément un acte contraire aux intérêts supérieurs de la Nation qui compromet gravement l’unité nationale, la paix sociale, la justice sociale, le développement du pays ou porte gravement atteinte aux droits de l’homme, à l’intégrité du territoire, à l’indépendance et à la souveraineté nationales.
C’est l’Assemblée Nationale et le Sénat réunis en Congrès qui mettent en accusation le Président de la République, en statuant à vote secret, à la majorité des deux-tiers de ses membres(article 117, alinéa 4 de la Constitution). Mais il ne leur appartient pas d’instruire l’affaire et de juger le Président de la République. L’instruction ne peut être conduite que par une équipe d’au moins trois magistrats du Parquet Général de la République présidée par le Procureur Général de la République( article 117, alinéa 5). Le jugement quant à lui incombe à une juridiction spéciale appelée la Haute Cour de Justice( article 117, alinéa 3).
Le limogeage du Président de la République est toutefois théorique. D’un côté, il n’existe pas une loi qui définit de façon claire les crimes constitutifs de haute trahison susceptibles d’être reprochés au Président de la République et qui détermine les peines applicables. D’un autre côté, la Constitution prévoit une loi organique qui fixe les règles d’organisation, de fonctionnement et de procédure applicable devant la Haute Cour de Justice( article 242), juridiction compétente pour juger le Président de la République pour haute trahison. Mais cette loi organique, qui était prévue déjà dans la Constitution burundaise du 13 mars 1992(article 159)n’a jamais vu le jour jusqu’aujourd’hui. Il va sans dire que ce n’est pas demain la veille que cette juridiction sera opérationnelle, car quiconque prendrait l’initiative de sa mise en place pourrait être vu comme ouvrant les hostilités contre le Président de la République qui ne s’empêchera pas de lui rendre la monnaie de sa pièce.
3. Quelle peut être l’emprise du Président du parti majoritaire au Parlement sur le président élu ? En d’autres mots, le Président élu peut être indépendant du parti qui l’a présenté au suffrages des Burundais ?
Une fois que le Président est élu, les marges de manœuvre du Président du parti majoritaire sont presque nulles. Il ne peut plus rien faire pour le limoger. Quand bien même la procédure de haute trahison serait engagée-ce qui n’est pas évident comme relevé plus-haut-les leviers d’influence du Président du parti majoritaire seraient les parlementaires de son parti. Or, leur rôle se limite à la mise en accusation. La condamnation du Président, elle, leur échappe. Sur ce point, la Constitution du 7 juin 2018 diffère radicalement de la Constitution du 18 mars 2005. Cette dernière, en plus de prévoir la procédure de haute trahison( article 117 ), prévoyait l’hypothèse où le Président de la République pouvait être déclaré déchu de ses fonctions par les parlementaires. Cette hypothèse était prévue à l’article 116. Elle n’existe plus dans la Constitution du 7 juin 2018. Les députés pourraient seulement voter une motion de censure contre le gouvernement qui, en cas de succès, va obliger le gouvernement à démissionner( article 208 de la Constitution du 7 juin 2018). Mais outre que la démission du gouvernement n’emporte pas celle du Président de la République, ce dernier pourrait à son tour décider de dissoudre l’Assemblée Nationale en l’accusant de paralysie des activités du Gouvernement( article 208 de la Constitution du 7 juin 2018), ce qui entraînerait des élections anticipées. Mais comme les députés ne sont pas toujours sûrs de sauver leurs sièges, la possible dissolution de l’Assemblée Nationale, pouvoir discrétionnaire du Président de la République, est donc une épée de Damoclès redoutable pour remettre dans les rangs les députés qui auraient des velléités de se ‘rebeller’ contre lui.
4. Quels sont les avantages d’une telle Constitution pour la fonction présidentielle ?
Pour la fonction présidentielle, le plus grand avantage est la stabilité. Et pour comprendre cet avantage, il faut remonter à l’histoire de la Constitution de la Cinquième République en France dont la Constitution burundaise du 7 juin 2018 semble s’inspirer, en tout cas s’agissant des pouvoirs reconnus au Président de la République. La Constitution de la Cinquième République en France a en effet été mise sur pied en réponse à l’instabilité chronique qui caractérisait le régime parlementaire de la Quatrième République. L’autre avantage peut être l’efficacité. Une fois élu, le Président est assuré qu’il ne peut pas être contraint d’écourter son mandat pour des raisons de divergences politiques et qu’il peut donc mettre en œuvre les engagements qu’il a pris devant le peuple qui l’ a élu au suffrage universel direct.
5. Et les inconvénients ?
Le plus grand inconvénient peut être un abus de pouvoir. Montesquieu disait en effet que « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser(…) ». Or, le Président de la République étant la clé de voûte de toutes les institutions, il a d’énormes pouvoirs et peu ou presque pas de contre-pouvoirs, d’où le risque possible d’abus.
Au final, l’on peut résumer les relations qui existeront entre le Président de la République et les deux autres institutions formant le pouvoir exécutif par la célèbre phrase prêtée à Nicolas Sarkozy, l’ancien Président de la République française, parlant de son Premier Ministre François FILLON : « Le Premier Ministre est un collaborateur, le patron, c’est moi ».
Quid du Vice-président et du Premier ministre ?
« Le patron, c’est celui qui est élu, pas celui qui est nommé », cette phrase prêtée à Nicolas Sarkozy peut bien s’appliquer à la situation burundaise. Le véritable patron reste le Président.
Selon notre spécialiste, la Constitution burundaise du 7 juin 2018 met en place un attelage institutionnel sui generis en prévoyant un poste de Vice-Président à côté d’un poste de Premier Ministre. La dernière fois que le poste de Premier Ministre existait dans une Constitution remonte au Décret-loi n° 1/001/96 du 13 septembre 1996 portant organisation du Système Institutionnel de Transition( article 80), mais à cette époque il n’y avait pas de poste de Vice-président .
Ce poste sera introduit pour la première fois en 1998 par le Décret-loi n° 1/008 du 6 juin 1998 portant promulgation de l’Acte Constitutionnel de Transition de la République du Burundi( article 86). Il s’agit d’un poste qui a toutefois évolué en dents de scie.
Au départ occupé par deux personnes, il sera occupé par une seule personne dans la Constitution de Transition de 2001( article 77) avant de revenir à deux personnes dans la Constitution du 18 mars 2005( article 122), puis encore à une seule personne dans la Constitution du 7 juin 2018( article 122).
En tant que Chef du pouvoir exécutif ( article 93), et sachant que l’institution de Premier Ministre et celle de Vice-Président font partie du pouvoir exécutif, à côté du Président, du gouvernement et de l’administration provinciale et publique ( Titre V de la Constitution du 7 juin 2018 ), le Président de la République se trouve dans une position prééminente face au Vice-président et au Premier Ministre. C’est lui qui les nomme ( article 123 en ce qui concerne le Vice-Président et article 130 en ce qui concerne le Premier Ministre) et c’est lui qui peut décider de mettre fin à leurs fonctions( article 123, alinéa 2 en ce qui concerne le Vice-président et article 132 pour le Premier Ministre).
Bien plus, les pouvoirs que ces deux institutions exercent dénotent cette prééminence présidentielle.
Dans ce sens, elles ont soit un rôle d’assistance au Président de la République, soit un rôle de coordination et d’exécution des décisions prises par le Président de la République
De façon concrète, le Vice-président a globalement un rôle d’assistance ( article 122). Il peut certes présider le Conseil des Ministres mais c’est uniquement sur délégation du Président de la République et sur un ordre du jour déterminé ( article 124). Il peut aussi assurer la gestion des affaires courantes en cas d’absence ou d’empêchement temporaire du Président de la République (article 121). Pour le reste, il contresigne, le cas échéant, les décrets pris par le Président de la République ( article 108) et il est consulté par ce dernier pour la nomination des membres du gouvernement ou pour leur révocation, sur proposition du Premier Ministre( article 109). Bref, dans l’ordre normal des choses, il n’a pas un pouvoir constitutionnel propre ou un pouvoir décisionnaire. D’ailleurs, la Constitution du 7 juin 2018 ne prend même pas la peine de prévoir l’ appellation qu’il convient de donner aux décisions qui seraient susceptibles d’être prises par le Vice-Président au moment où cette appellation existe pour le Président, à savoir un décret ( article 108) ou un décret-loi ( article 116) ; pour le Premier Ministre, à savoir un arrêté( article 131) ; pour les ministres, à savoir les ordonnances( article 139). C’est au moment où cette appellation existait dans la Constitution du 18 mars 2005. Il s’agissait d’un arrêté( article 126).
Le Chef du gouvernement met en œuvre la politique définie par le Président
Quant au Premier Ministre, il est vrai que par rapport au Vice-président il a ,lui, quelques pouvoirs substantiels. C’est lui qui est désormais le Chef du gouvernement( article 129). Sous l’empire de la Constitution du 18 mars 2005, ce rôle incombait au Président de la République ( article 109). Dans le cadre de cette fonction, le Premier Ministre coordonne les activités du gouvernement( article 130), prend des décisions par arrêté ainsi que les mesures d’exécution des décrets présidentiels( article 131) et préside les réunions préparatoires du Conseil des ministres.
Toutefois, par rapport au Président de la République, les marges de manœuvre du Premier Ministre ne sont pas énormes. Il est certes le Chef du gouvernement mais le gouvernement en question est chargé de la mise en œuvre de la politique de la nation telle que définie par le Président de la République( article 136) et ce gouvernement délibère en Conseil des Ministres dont la présidence est assurée en principe par le Président de la République lui-même( article 110). Pour que le Premier Ministre puisse présider le Conseil des Ministres, il faudrait trois conditions cumulatives : une délégation du Président de la République, un ordre du jour déterminé et un empêchement du Vice-Président auquel ce rôle est dévolu prioritairement( article 125, alinéa 2).