La mauvaise gestion des mémoires est l’une des causes profondes des divisions et des conflits cycliques entre les Burundais. C’est le défi que s’est assigné de relever le programme « Akariho Karavugwa » mis en œuvre par les organisations Dushirehamwe, Miparec et Thars avec l’appui technique d’Impunity Watch.
Le vendredi 7 mai 2021, Impunity Watch assurant la coordination du programme Akariho Karavugrwa, signifiant « ce qui s’est passé ne peut pas rester secret, on doit en parler pour préparer l’avenir », a organisé un forum provincial à Bujumbura en commune Mugongomanga.
Ce forum s’est tenu dans le but de présenter aux autorités politiques, administratives et représentants du peuple un certain nombre de préoccupations exprimées par les communautés de cette province. Il s’agit des besoins en matière de gestion des mémoires du passé pour s’engager à trouver des solutions et les accompagner dans leurs efforts de faire face à leur passé douloureux.
« La province de Bujumbura a été fortement touchée par les crises cycliques et ses habitants ont perdu plusieurs membres de leurs familles et beaucoup de leurs biens. Certains d’entre eux ont été forcés à l’exil et d’autres vivent encore dans des sites des déplacés. Les mémoires de ces événements, parfois contradictoires, continuent à diviser la population. Une personne dont le cœur est blessé ne peut pas penser au développement», a indiqué dans son mot d’ouverture Désiré Nsengiyumva, gouverneur de la province de Bujumbura.
Transcender les clivages
Un théâtre interactif produit par certaines des organisations de la société civile Sous la supervision de la troupe Umunyinya a été présenté pour mettre en contexte les discussions menées au niveau communautaire. Le scénario parle d’un père qui s’oppose au mariage de sa fille à un jeune homme qui n’est pas d’une même appartenance ethnique. Il accuse son ethnie d’avoir exterminé les membres de sa famille et spolier leurs biens. La fille rappelle à son père que son fiancé n’était pas encore né au moment des faits et que par conséquent il est innocent.
Les propos de ce père de famille sont contrebalancés par Karorero (exemple), une femme d’origine ethnique de son potentiel gendre. Elle a perdu son mari et tous ses enfants mais a opté pour être l’apôtre de la paix et la réconciliation pour lutter contre la répétition des violences pour les nouvelles générations. Cela après avoir bénéficié d’un accompagnement socio-thérapeutique. Pour elle, il faut s’abstenir de globaliser. De plus, aucun groupe social n’a été épargné par les crises. Elle appelle ses concitoyens à chercher de l’aide psychosociale et d’accepter le dialogue pour transcender les blessures et les clivages afin de construire une société plus juste et prospère.
Inspiré du message de cette pièce théâtrale, Dushirehamwe, Miparec et Thars et d’autres organisations de la société civile de Bujumbura ont présenté les préoccupations et propositions des communautés exprimées au cours des sensibilisations, dialogues et sessions de sociothérapie. La population souhaite que toutes les associations des victimes, celles des minorités et toutes les ethnies soient associées dans les activités organisées par l’administration.
En plus, la population souhaite la mise en application de la loi sur la protection des victimes et des témoins pour se sentir protégée afin d’exprimer leurs récits multiples du passé douloureux. Certains habitants des sites des déplacés de Mugongomanga qui désirent regagner leurs collines d’origine de Kanyosha veulent un accompagnement des autorités. De plus, ils souhaitent avoir des structures de prise en charge psychosociale pour guérir des blessures traumatiques encore béantes. Les communautés ont également demandé une implication active et urgente de l’administration pour résoudre la question d’enregistrement des enfants nés des femmes violées ou mariées aux anciens rebelles mais délaissées par après.
« Il ne faut pas rester prisonnier du passé »
Nina Barampama livre un témoignage poignant. Elle a été contrainte de rejoindre la rébellion à 16 ans en rentrant de l’école. Après la formation militaire, elle sera forcée plus tard de se marier à un officier dans le maquis. Deux ans après, elle s’échappe pour regagner sa famille. Le mal ne venant jamais seul, elle fuit le calvaire de la rébellion pour être, par après, pourchassée par l’armée régulière. Sa famille vit dans l’insécurité pendant des années à cause d’elle. Enceinte, elle mettra au monde un garçon mais reste en clandestinité. Elle décide de retourner sous le toit de son père malgré tous les risques. Pendant longtemps, ses voisins la considéraient comme une meurtrière. « Au fil des années et avec le concours des associations féminines et des ONGE, j’ai pu me réintégrer socialement ».
Après le cessez-le-feu, l’époux de Nina s’est marié à une autre femme et n’a pas reconnu la paternité de son enfant. « Quand je me rendais à son bureau pour lui demander de s’occuper de son enfant, il a juré d’en découdre avec moi». Pour elle, la vie dans la rébellion pour une femme ou fille est dure. «Grâce à l’accompagnement psychosociale pourvu par le programme Akariho Karavugwa, je ne suis plus prisonnière du passé ». Elle est pour le moment une des femmes leaders en commune Mutimbuzi, animatrice de paix et de la réconciliation.
Au sujet du retour de certains des déplacés vers leurs collines d’origine, le gouverneur de province a applaudi des deux mains. Il a expliqué que l’administration avait tenté de les convaincre mais qu’ils avaient refusé. Ensemble avec des administratrices des communes Mugongomanga et Kanyosha, il a promis de tout mettre en œuvre pour soutenir et réussir cette initiative. Il a salué le rôle joué par les organisations de la société civile et l’Impunity Watch qui soutient les acteurs sociaux dans leurs actions.
Pour Didace Nzambimana, représentant provincial du parti CNL, c’est un pas important d’avoir un cadre d’échange avec les décideurs locaux. Il souhaite que de tels échanges soient étendus dans toutes les communes. Même son de cloche de la part celui qui représentait le Conseil National des Eglises du Burundi, CNB. « Enseignons aux gens les valeurs de la vérité et de la justice. Il faut restaurer l’espoir et la confiance pour bâtir une société juste et prospère ».
Selon Véra Mutoni, chercheur à Impunity Watch, la transmission non-violente des mémoires doit mobiliser tous les acteurs. Il faut, dit-elle, unir les efforts pour accompagner les communautés dans leurs efforts de réconciliation.
Il convient enfin de souligner que le programme Akariho Karavugwa est mis en œuvre par les organisations précitées dans les provinces de Bujumbura, Cibitoke et Muyinga avec le soutien technique d’Impunity Watch et l’appui financier de la Belgique.