Depuis janvier 2018, Lucien Ikili Rashid, un Congolais basé au Burundi, court derrière 12 500$, son dû pour la vente des objets d’arts à Pierre Dartevelle, un citoyen belge. De l’ambassade du Royaume de Belgique au Burundi à la Cour européenne des droits de l’Homme en passant par les tribunaux et les ministères, Rashid a bataillé en vain. Chronique d’une vente-escroquerie.
Lucien Ikili Rashid, visage grave, a l’air fatigué. Quand il parle, les rides se dessinent clairement sur son front trahissant plusieurs printemps à son compteur ainsi que ses cheveux tout blancs. Différents documents à l’appui, il démontre, se répète, insiste. D’un moment à l’autre, il marque une pause. Il faut se rappeler un certain détail de son dossier. Ce jour-là, lundi 21 septembre 2020, il vient encore d’être débouté par la direction générale des affaires consulaires de la Belgique sur laquelle reposait ses derniers espoirs. «Le Service public fédéral des Affaires étrangères n’est pas compétent pour réaliser les démarches judiciaires en votre nom ».
L’affaire remonte à janvier 2018. Lucien Ikili Rashid envoie un masque Nghwaka, un fétiche Songe, un ancêtre Mambwe et un fétiche Luba, tous des objets d’art, à Pierre Dartevelle. Comme d’habitude, les deux hommes marchandent et conviennent d’un prix de 12.500 dollars américains. La transaction est faite après que M. Dartevelle a apprécié les quatre objets d’art, via des photos envoyées électroniquement. Iwacu a consulté les échanges électroniques. Le colis, transmis via DHL, arrive chez le client à Bruxelles, le 26 janvier 2018.
Ce collectionneur d’art attend que le montant convenu lui soit transmis via Western Union comme pour les transactions antérieures. «Nous avions déjà conclu trois transactions ayant respectivement la valeur de 5000 $, 2500 $ et 1500$ ». Sauf qu’il n’attendra pas longtemps pour déchanter…
Le début des inquiétudes
A la transmission du colis, M.Dartevelle promet d’envoyer 140 euros à Rashid pour qu’il puisse ‘’survivre’’ un peu, compte tenu de la situation de ce dernier, en attendant le transfert du reste du montant convenu. « J’étais dans des conditions vraiment misérables», raconte Rashid, désespérée. Selon ce dernier, M.Dartevelle a envoyé de fausses coordonnées. «Je suis allé voir sur Western, il n’y avait rien. Il m’avait envoyé un pseudo numéro». De quoi susciter les premières inquiétudes.
Il écrira à M.Dartevelle pour lui demander s’il prend ou non les objets. «Il m’a répondu qu’ils n’étaient pas intéressants ». Ainsi, le 1er février 2018, il lui demande de lui retourner son colis. Et le collectionneur de promettre de le faire endéans une semaine. «Des mois se sont écoulés, d’autres ont suivi, aucun objet ne m’a été retourné ».
Après maintes démarches au niveau de l’ambassade du royaume de Belgique pour l’aider dans ses réclamations, Lucien Ikili Rashid saisira, début 2019, le Tribunal de Grande Instance de Mukaza. Il demandait notamment que lui soient rendus les 12 500$ et 9 millions BIF d’indemnisation pour le séjour à Bujumbura en attente de son dû, soit une consommation de 30 000 BIF par jour pendant 300 jours. Les assignations de la plainte ont été transmises à M.Dartevelle. Il n’y a jamais fait suite.
Le 26 avril 2019, le TGI Mukaza a condamné Dartevelle à payer les 12 500 dollars, représentant le coût des 4 objets vendus, les 9 millions BIF et 167 900 BIF (frais sanitaires) à Lucien Ikili Rashid.
La signification ou le durcissement du dossier
Pour exécution du jugement rendu, le TGI Mukaza a sollicité l’intervention du ministère burundais des Affaires étrangères (MAE). Dans la correspondance, le président de ce tribunal écrivait que cette aide est requise car la partie défenderesse dans cette affaire est un étranger de nationalité belge résidant à Bruxelles.
Le 31 octobre 2019, le MAE burundais a transmis, par une note verbale, la signification du jugement rendu à l’ambassade du royaume de Belgique au Burundi. Cette dernière devait la faire parvenir au concerné.
Début décembre 2019, le service coopération judiciaire internationale de la direction générale des affaires consulaires a demandé au procureur du roi à Bruxelles de donner suite à cette note verbale qui était annexée à la correspondance.
Le dossier s’est bloqué à la dernière étape. Alors que la signification du jugement rendu, de façon finale à Pierre Dartevelle, devait être faite par l’Inspection de police de Bruxelles, l’inspecteur qui devait transmettre la copie du jugement a écrit, le 22 janvier 2020i : « Nous, Inspecteur Piron, déposons (après plusieurs passages infructueux ) une copie de la signification de jugement à M.Dartevelle Pierre, dans la boîte aux lettres de ce dernier (marquée du nom de la personne concernée à l’adresse (…) à Bruxelles.»
Ikili Rashid pointe alors une certaine complicité : «Outre l’adresse fournie, Pierre Dartevelle est expert en objets d’art, un millionnaire bien connu même mondialement. Il est inconcevable que l’inspecteur puisse prétendre qu’il l’a cherché en vain.»
Loin de se décourager, Lucien Ikili Rashid a fini par attaquer le Royaume de Belgique. L’ambassade de Belgique au Burundi et le ministère belge des Affaires étrangères lui ont indiqué qu’ils ne sont pas compétents pour réaliser des démarches judiciaires en son nom. Iwacu s’est procuré les messages électroniques.
Dans sa plainte au niveau de la Cour européenne des droits de l’Homme, le 6 juillet dernier, Ikili Rashid a accusé le Royaume de Belgique de « le priver de ses droits concernant l’exécution du jugement ».
Ce Congolais soutient que les réponses reçues des différentes institutions belges sont des « manœuvres dilatoires » n’ayant que la visée de protection d’un ressortissant belge « au détriment du respect des droits à une justice équitable ». Lucien Ikili Rashid a demandé à cette haute juridiction d’amener la Belgique à faire respecter ses droits.
Ce sexagénaire n’a pas encore eu de suite à cette plainte. Il se dit désemparé et demande à la Belgique de se ressaisir pour que le jugement rendu soit mis en exécution. Iwacu n’a pas pu avoir la réaction de Bruxelles à ce propos. Interrogé sur ce dossier, M.Pierre Dartevelle a parlé d’ «une arnaque », sans plus de commentaire.