La Société civile est un concept mondialement reconnu et l’importance de son rôle n’a jamais été mise en doute. Cependant, au Burundi, un désaccord affiché caractérise les relations entre les organisations de la société civile et le pouvoir, alors que les deux devraient être plutôt des partenaires.
<doc2140|left>L’idée d’une société civile conçue comme une sphère d’action à différencier de l’Etat est née pendant le siècle des Lumières (18ème siècle). Elle acquit son caractère moderne, grâce à des auteurs tels que John Locke ou Charles de Montesquieu. Il y était question d’une société, dans laquelle les êtres humains, libres et autonomes, ont le droit d’association et de décider des questions les plus importantes dans le débat public. Ils doivent, par ailleurs, être capables de réaliser une cohabitation caractérisée par la tolérance et l’égalité sociale, dans le respect total du droit, mais sans une trop grande pression exercée par l‘Etat.
Les origines de la société civile au Burundi remontent à la période coloniale. La fin des années 1950 va voir la naissance des premières organisations syndicales qui vont disparaitre suite aux premières crises politiques postcoloniales qui vont évoluer vers le monolithisme politique. Finalement, la véritable éclosion du mouvement associatif au Burundi remonte au début des années 1990 avec le mouvement de démocratisation, mais les années de crise vont profondément marquer l’évolution de ce dynamisme naissant, aussi bien dans le rythme de création des associations que dans les objectifs que celles-ci vont poursuivre.
Une multitude d’associations
Dans la pratique, la catégorie « société civile » regroupe un ensemble d’organisations entretenant plusieurs formes de rapports avec leurs membres mais aussi avec l’espace public, les autres associations, les médias… et, bien entendu, le gouvernement et la classe politique. Elle comprend notamment les organisations syndicales et patronales, les organisations non gouvernementales (ONG), les associations professionnelles, les organisations caritatives, les organisations de base, les organisations qui impliquent les citoyens dans la vie locale et municipale, avec une contribution spécifique des églises et communautés religieuses.
Selon le Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC), les organisations de la société civile remplissent des fonctions multiples*. Au terme d’une enquête réalisée en 2008, sur 2577 associations agréées jusque fin 2007, seulement 1270 étaient encore actives, 1147 étaient introuvables, et 84 étaient dysfonctionnelles. Tandis que plus de 95 % n’avaient pas transmis leurs rapports annuels alors que c’est une obligation légale, a précisé le FORSC. D’après ce Forum, la plupart des associations n’existent que de nom et nécessitent, par conséquent, une assistance technique et/ ou un suivi régulier. Il leur manque, non seulement, les moyens de fonctionnement, mais surtout une adresse physique. Il y en a qui naissent juste pour profiter des opportunités de financement ; et dans beaucoup de cas, leurs comités exécutifs ne sont jamais renouvelés et les réunions statutaires ne se tiennent jamais ou irrégulièrement.
Les associations fonctionnent individuellement ou sous forme de membres de collectifs ou de réseaux et collectifs existant déjà. D’autres semblent résulter d’un souci de mise en commun de ressources jugées maigres pour pouvoir aboutir à un résultat et qui, de ce fait, gardent une envergure locale.
Une mission appréciée différemment
Dans la réalité, les associations bénéficient de la confiance de la population, mais elles n’ont pas assez de ressources pour aller partout. Créées à Bujumbura, elles sont généralement présentes dans les provinces et certaines ont même des démembrements communaux. Les associations communautaires sont traversées par une multiplicité de conflits sur fond de gestion financière, les personnes lettrées étant paradoxalement celles qui sont accusées de gestion opaque.
Pour le FORSC, la société civile fonctionnelle et efficace est un signe de démocratie consolidée dans la mesure où elle s’exprime au nom des faibles et prend en charge les demandes délaissées ou négligées par les dirigeants. Elle assure alors une fonction de lien entre ces masses et leurs dirigeants à travers la construction d’une culture d’expression des acteurs non satisfaits reconnus par le système démocratique.
Selon toujours le FORSC, le risque important que rencontrent les associations de la société civile est politique. La plupart des fois, les associations œuvrant dans le domaine politique subissent des pressions, des tentatives de contrôle de la part de l’Etat. Cette confrontation société civile/Etat est fondée sur le fait que la première voudrait s’impliquer dans les sphères de souveraineté étatique. En agissant de la sorte, les dirigeants voudraient les maintenir hors de l’espace de légitimité étatique. C’est pour cela que pour réussir, cette stratégie emprunte une violence symbolique contre ces acteurs non étatiques qualifiés, à tort, d’opposants ou plutôt d’ennemis de la nation.
Opposants ou partenaires ?
D’après le Secrétaire général et porte-parole du gouvernement, Philippe Nzobonariba, la société civile est parfois une plage où viennent s’échouer certaines épaves politiques : « Lorsque, politiquement, ça ne marche plus, certaines personnes se réfugient dans des associations, en se déclarant apolitiques. Mais elles partent avec leurs idéologies ».
C’est pourquoi, souligne-t-il, le gouvernement lance constamment un appel aux organisations de la société civile pour qu’elles ne dévient pas de la noble ambition qu’elles s’étaient fixée en commençant l’association. Pour M. Nzobonariba, certaines de ces associations sont des auxiliaires de l’opposition. « Même si elles se déclarent apolitiques, certaines sont toujours au devant de la scène sur une question ou une autre, en train de livrer un bras de fer avec le ministre de l’Intérieur », ajoute-t-il.
Le Secrétaire général du gouvernement s’insurge contre le fait que certains ont fait de ces associations un commerce, et font des déclarations exagérées sur la situation pour que les bailleurs continuent de les financer, survivant ainsi grâce aux maux que vivent les Burundais.
Il reconnaît néanmoins l’importance de ces organisations de la société civile et approuve qu’elles soient soutenues : « Mais les bailleurs doivent aussi les aider à faire le tri entre le bon grain et l’ivraie. »
Interrogés sur ces relations entre la société civile et le gouvernement, certains habitants de la ville de Bujumbura sont pragmatiques. Pour eux, il est normal que les organisations de la société civile ne soient pas toujours appréciées par le pouvoir, au lieu d’être considérées comme des partenaires, puisqu’elles dénoncent ses dérapages. Mais, continuent-ils, il ne faudrait pas, non plus, que la société civile empiète sur le travail de l’Etat.
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Les fonctions de la société civile
– L{a fonction de protection.} La société civile a le devoir de procurer la liberté aux citoyens et à les protéger de l’arbitraire étatique.
– {La fonction de contrôle.} Une des obligations fondamentales dans le cadre de la fonction de contrôle est, par exemple, le contrôle des élections, pour en garantir le déroulement équitable, dans le respect des règles fondamentales de la démocratie.
-{ La fonction de participation.} Il s’agit ici de la socialisation démocratique et participative des citoyens.
-{ La fonction d’allègement (de l’Etat)}. Dans plusieurs domaines, la société civile contribue à alléger, dans le sens strict du terme, l‘Etat, le gouvernement et le monde politique.
– {La fonction d’articulation}. La société civile peut contribuer à ouvrir des voies efficaces de production, de rassemblement et d’articulation de valeurs communautaires et d‘intérêts sociaux-
-{ La fonction de démocratisation.} Il s’agit ici de la contribution de la société civile au processus de formation de l’opinion publique et de la volonté populaire
– {La fonction de règlement (ou gestion) des conflits sociaux.} Grâce à ses réseaux d’associations, d’initiatives et de mouvements, la société civile admet des superpositions au niveau de l’adhésion des membres. Ces adhésions croisées dans des groupes multiples peuvent contribuer à construire des ponts entre les positions conflictuelles les plus profondément ancrées dans la vie de la société.