Avant que même certaines localités ne soient asséchées, des quartiers de Gatumba, commune Mutimbuzi, province Bujumbura, sont de nouveau inondés. Les sinistrés réclament une intervention musclée de l’Etat. Reportage
Le calvaire n’en finit pas à Gatumba. Depuis quelques jours, des eaux ont envahi la totalité de la cour de l’Ecole Fondamentale de Mushasha I. Des locaux déjà inondés. Le terrain de jeux aussi. Les enfants ne jouent plus à la balançoire. Le canal qui servait à évacuer l’eau de la rivière Rusizi a cédé. Les eaux ont débordé. Elles se déversent dans la cour, les locaux, jusqu’au niveau des portes. Certaines salles de classes sont déjà fermées.
La désolation, la peur, l’inquiétude…s’observent sur les visages des enseignants, qui, malgré cette situation, poursuivent leur travail.
« Cette eau a envahi notre école, depuis l’année passée, en mai. Avec la saison pluvieuse, la situation se complique », raconte Séraphine Nikundana, une enseignante en 2e année B. Les activités des pêcheurs amplifient ces inondations. « Ils ont installé des digues qui obstruent les eaux de la Rusizi avant d’arriver dans le lac Tanganyika».
Elle affirme qu’il est difficile de travailler dans ces conditions : « Des enfants ne trouvent plus où se soulager. Idem pour le personnel obligé de se déplacer vers le peu de ménages environnants non encore inondés. »
L’endroit pue déjà. Les toilettes sont submergées, ce qui fait craindre des maladies infectieuses. « Pour aller d’une salle à une autre, on patauge. Il y a risque d’attraper la mycose, des maladies de la peau, etc. Nous avons peur des maladies diarrhéiques comme le choléra, la dysenterie».
De leur côté, les petits écoliers ne semblent pas être inquiets au point de se soulager dans cette marre d’eaux de pluie. Ils ne se soucient même pas des regards des passants.
Non loin de là, à Warubondo, les mêmes lamentations. Les activités à l’hôpital de Gatumba sont au ralenti. L’eau a envahi cette infrastructure sanitaire. Son accès est un parcours du combattant. « Nos activités sont perturbées. C’est terrifiant ! Il n’est pas facile de servir nos patients. D’abord sans bottines, difficile d’arriver au travail », déplore un laborantin de cet hôpital. Idem pour les patients. « La situation est catastrophique. C’est impossible d’arriver à l’hôpital sans patauger avec des risques d’attraper des maladies », se lamente Aline Munezero, une habitante de cette localité. Elle ajoute que toutes les avenues sont inondées : « Certains coins ne sont plus accessibles. Même l’ambulance ne peut pas s’y aventurer. »
L’école technique secondaire de Gatumba est menacée. Jean-Bosco Sinabajije, son directeur, affirme que si la situation perdure, les activités scolaires vont s’arrêter.
Non loin du pont Gatumba, le quartier Kinyinya n’est pas à l’abri. Des maisons d’habitation et des tentes récemment installées par les sinistrés des inondations d’avril 2020 sont de nouveaux inondés. Beaucoup de maisons se sont écroulées dans la nuit du lundi 11 janvier, selon les témoignages des sinistrés. « L’eau nous a envahis pendant la nuit autour de 22h. Je n’ai rien sauvé. Avec mes enfants, nous avons couru vers l’extérieur », raconte Judith Ntungiyabandi. Elle précise que c’est la deuxième fois que sa maison est inondée en moins d’une année.
« Le malheur ne vient jamais seul »
Dans ces conditions, des crocodiles sèment la terreur. « Il faut faire attention car on peut se retrouver nez à nez avec un crocodile. Ils rodent et sont affamés. Ils ont déjà fait deux morts et blessé deux personnes », confie Angélique Sinamenye, habitante du quartier Kinyinya I. Selon elle, avec les inondations que ces crocodiles circulent dans le quartier. « Ils n’étaient pas habitués à vivre dans beaucoup d’eau ».
Pierre Bamporubusa, habitant de Gatumba depuis 28 ans, pointe du doigt les services de l’Etat. Il soutient que ces reptiles ont été remis dans la Rusizi dans la précipitation : « Quand ils étaient encore gardés chez le surnommé Sindyumuceri, ils ne blessaient personne. Ils ne sortaient même pas des cages.»
Il estime que l’Etat devait d’abord aménager un lieu approprié pour ces crocodiles qui étaient gardés dans les ménages : « Dans ces conditions, ils pouvaient attirer même les touristes. »
Pour rappel, en 2020, plusieurs crocodiles qui étaient élevés en captivité dans les ménages ont été remis dans la Rusizi par l’Office burundais pour la protection de l’environnement (OPBE). Des sources sur place parlent d’une quarantaine de ces reptiles libérés.
Les sinistrés appellent à l’aide
« Que l’État mobilise des moyens pour faire le curage de cette rivière », assure Pierre Bamporubusa. Des tonnes de sable, de sédiments, explique-t-il, s’y sont accumulés et ont diminué sa profondeur. En cas de fortes pluies, poursuit-il, l’eau déborde et envahit les habitations.
Il signale que les habitants ont, à maintes reprises, essayé de bloquer ce débordement en installant des sacs de sable, en vain : « Nos efforts et moyens sont limités. Nous sollicitons actuellement l’intervention de l’État responsable et laborieux pour nous sauver de cette situation. » Il demande que les crocodiles soient capturés et remis dans un endroit contrôlé.
Sur la possibilité de délocalisation des habitants, les avis divergent. « Pas question ! Nous sommes habitués à Gatumba. Qu’ils nous protègent ici », insiste Yvette Kwizera, une sinistrée du quartier Kinyinya. Sa maison vient de s’écrouler à deux reprises en moins d’une année. Un jeune homme de Mushasha abonde dans le même sens : « Nous vivons surtout de la pêche et de ses produits.»
U.T. est favorable à cette idée de délocalisation : « C’est vraiment urgent de déplacer les gens de certaines localités de Gatumba car elles sont honnêtement inhabitables. Je trouve que ce serait une solution durable. »
Gatumba n’est pas la seule zone inondée. A Kajaga, des maisons sont inondées, des avenues devenues impraticables. On utilise des pirogues pour se déplacer. Certains habitants ont tenté de bloquer l’eau avec du sable, en vain. Ils ont finalement décidé de quitter le quartier.
Côté lac Tanganyika, la montée des eaux a commencé en avril 2020. Aujourd’hui, le mouvement se poursuit sous les yeux impuissants de ceux qui avaient construit des salles de réception, des bars, des lieux de loisir dans la zone tampon.
Des actions urgentes
Après une descente, mardi 12 janvier, dans les zones sinistrées, Anicet Nibaruta, secrétaire exécutif de la plateforme nationale de prévention des risques et gestion des catastrophes, a estimé qu’il est indispensable de passer à l’action. La pulvérisation des lieux est une des actions urgentes pour éviter des maladies infectieuses. « Il faut aussi organiser une distribution alimentaire pour les déplacés dans les sites temporaires». La délocalisation du site de Kigaramango vers Maramvya à l’endroit communément appelé Sobel est envisagée.
Pour le curage, il s’agit d’une action qui doit impliquer la République démocratique du Congo. M.Nibaruta est d’avis que le curage doit aussi concerner la Rusizi II. « L’autre action est d’aménager une digue de part et d’autre de la Rusizi». Une action qui, selon lui, demande beaucoup de moyens et qui doit être entreprise après des études. Ainsi, une équipe technique d’experts va être mise en place pour produire un rapport exhaustif de tous les besoins.
La plateforme prévoit d’élaborer un plan d’urgence qui servira de base pour toutes les actions à mener afin de rendre viable les deux zones.
Eclairage/ « Il n’y a pas de planification qui tient compte des zones à très haut risque »
Inondations récurrentes dans la commune Mutimbuzi, la montée des eaux du lac Tanganyika, etc. A la rencontre de professeur Jean-Marie Sabushimike, géographe et expert en prévention des risques et gestion des catastrophes.
Gatumba est encore une fois inondée. Pourquoi ?
C’est vraiment une situation inquiétante. Depuis 2016, ces inondations récurrentes ont été observées. Et plus les années passent, plus leur intensité et leur fréquence augmentent. Ces inondations sont liées au changement climatique comme facteur déclenchant. Il y a un autre facteur aggravant, le mauvais aménagement du territoire. En outre, il y a des faiblesses du cadre institutionnel et légal. Viendra aussi un autre facteur que je juge très grave : l’absence de culture du risque. L’autre élément non-négligeable est la pauvreté.
Comment est-il un facteur ?
Ces gens frappés par les catastrophes naturelles constituent une communauté de base pauvre. Ils se disent que tant qu’ils n’ont pas de moyens pour s’installer ailleurs, ils restent là. Ils ne changent pas de quartier.
Quid de l’aménagement à Gatumba ?
C’est déplorable ! Le constat est que les canaux construits à l’époque belge étaient là pour réguler les inondations de la rivière Rusizi ont été supprimés. On a construit là-dessus. Plus de signes de leur existence. Seul le troisième canal est encore opérationnel sur une petite partie de sa longueur.
Pouvons-nous espérer que des solutions durables verront le jour ?
Ne perdons pas espoir. J’apprécie d’ailleurs les efforts du gouvernement en la matière. Mais la solution la plus urgente est de faire déménager ces personnes affectées par ces inondations récurrentes.
Outre les dégâts matériels et humains, quelles sont les autres conséquences de ces inondations ?
Les impacts sanitaires sont aussi très importants. A l’hôpital de Gatumba, les personnes hospitalisées, celles venues se faire soigner ou les garde-malades peuvent attraper des maladies diarrhéiques parce que les toilettes sont inondées, des maladies de la peau, etc.
Les habitants de Mushasha I & II avaient été placés dans des sites. Comment se fait-il qu’ils soient de retour ?
C’est cela que je voulais souligner comme faiblesse institutionnelle et légale. Il faut que les décideurs politiques arrivent à prendre la décision de leur installation sur un autre site. A mon avis, elle est grave, mais s’il faut protéger la population, il faut le faire.
Les riverains de la Rusizi proposent le curage et la construction des digues comme solution. Qu’en pensez-vous ?
Si on le fait comme on l’a fait ailleurs, le curage risquerait d’aggraver la situation. Outre la délocalisation, l’autre urgence serait de remettre en l’état les anciens canaux de régulation des eaux de la Rusizi. Je pense que le curage viendrait après en terme de solution.
Ce n’est pas uniquement Gatumba qui est inondé, même Kajaga vit cette situation…
Il n’y a pas de planification urbaine qui tient compte des zones à très haut risque. Ce quartier haut standing était un écosystème naturel, un marais. Il a été aménagé sans penser aux canaux d’évacuation des eaux pluviales. Là aussi, il faut trouver des solutions pour évacuer les eaux. On sait qu’il y a eu des abandons forcés pour certaines maisons. Il faudra réfléchir de façon globale sur un plan d’urgence qui serait un outil efficace pour la prévention des risques et la gestion des catastrophes en cas de crise.
Quelle est l’importance d’un tel plan ?
Ce plan mérite d’être urgemment construit car il éviterait les improvisions, la panique.
Nous constatons aussi que les eaux du lac Tanganyika sont en train d’envahir le littoral…
Il n’y a pas très longtemps, j’avais dit que je n’étais pas surpris par les inondations de mai 2020, puisque l’IGEBU avait annoncé de fortes pluies dans la zone ouest du Burundi. Pour le lac Tanganyika, la menace reste permanente. Il faut réfléchir profondément sur comment gérer son littoral. Parce que nous avons remarqué un phénomène très dangereux, très difficile à corriger.
Lequel ?
Le phénomène de diffluence. Les canaux d’évacuation des eaux pluviales arrivent au lac et ce dernier retourne les mêmes eaux par les mêmes canaux. Ce qui signifie que le niveau du lac est plus élevé par rapport à la zone du littoral. Et des personnes se sont installées lorsque le lac a reculé. Elles sont venues occuper la zone anciennement lacustre. Aujourd’hui, quand le lac reprend ses droits, elles se retrouvent malheureusement victimes.