A la prison centrale de Ngozi, les détenus vivent dans un Burundi à part, avec une machine économique ahurissante : alors qur dehors on crie à l’inflation, chez eux, c’est la déflation qui fait rage.
<doc7741|left>Des groupuscules partout. Des jeux de hasard qui battent le plein. Des visages promenant des regards inquiets. Parmi eux, des détenus, sous les verrous depuis plus d’une année, voire plus, sans savoir à quoi ressemble la toge d’un juge. Comme pour se débarrasser de toutes ces frustrations, certains trouvent refuge dans le sport. Le foot n’en manque pas : "Il faut évacuer l’affliction que dégage cette {grotte} (surnom de la prison)", lâche un prisonnier qui s’apprête à mettre sa tenue de sport. La terre, elle, ne laisse pousser aucune herbe. C’est pierreux partout, laisse entendre un autre détenu. Les constructeurs de la prison, ou plutôt ses anciens gestionnaires l’auraient fait express pour éviter des évasions : "Même si on amenait une pioche pour tenter de forer, c‘est sa pointure qui perdrait son efficacité, laissant le sol intact", témoigne, à la rigolade, un autre condamné.
Quid des tarifs des divers services au sein de la boite ?
Dans cette ambiance frisant le Far West des frères Dalton (la chaleur en moins), tout vaut l’argent, ou vice-versa ! Des tarifs ? Il y en a pour tout le monde. Les grands comme les petits, les riches comme les pauvres, plutôt. Tenez : pour faire sa cuisine, une cuillerée de sel, une autre de l’huile, chacune pour 10Fbu, et tout est dans l’ordre. Même si avoir des ingrédients pose souvent problème. Encore fait-il disposer d’un braséro pour s’exempter de verser 50Fbu à celui qui, ayant eu le flair des affaires, s’en est procuré.
Celui qui n’a pas envie de tuer tout son temps à surveiller sa marmite, à polluer son organisme en aspirant la fumée du charbon toute la journée n’a qu’à piquer dans sa poche le petit billet de 100Fbu, seulement … Et il peut partir suivre les affaires du monde, pardon , de la prison, tranquille. A midi : le repas sera prêt.
D’autres, plus téméraires, qui n’ont apparemment plus rien à perdre, des condamnés, n’hésitent pas à échanger quelques centaines de grammes de ratio journalière contre une somme dérisoire. En revanche, pour calmer l’estomac, la formule est simple : encore avec 10 fbu, il se fait les miettes de la pâte, collées dans la marmite arrosées d’eau. Celle-ci est gratuite, mais pas le gobelet : c’est à louer.
Ici, l’on ne dira rien du quartier général des doyens de la prison, les escrocs chevronnés, mais … potentiels ‘millionnaires’. Vous avez un jour, peut-être, reçu leur coup de fil, vous proposant une affaire du siècle : les fameux nyokuru (grand-mère), aux voix enrouées, qui passent des heures et des heures avec un cellulaire au bout de l’oreille, à tripatouiller les grands businessmen, à leur guise, comme des marionnettes, se faisant passer pour des fantômes, vivant sur on ne sait quelle planète. Des millions de francs sont volés, plutôt donnés. Des jeeps 4×4, bling-bling, s’amènent volontiers, se garent dans un endroit convenu avec ‘nyokuru’. Le propriétaire sort, claque la portière, part bredouille, sans regarder en arrière, mais joyeux, avec la seule promesse que la voyante lui a faite en échange : que les affaires, par des pouvoirs mystiques attestés par la voix enrouée du mystérieux correspondant à l’autre bout du fil, vont quintupler. Et un nouvel acquéreur, de mèche avec le ‘magicien’ en prison, tournant la clé-contact sur son index, saute sur volant. Quel coup !
Les locataires de la {grotte} qui parviennent à rester sereins face à ce nouveau monde se rejoignent sur une conclusion : à la sortie, vaut mieux prendre sa plume, puis décrire, partager ce qu’on a vu, vécu et appris. Encore faut-il savoir écrire !