Samedi 23 novembre 2024

Économie

La Poste, au bord de la faillite ?

01/02/2022 5
La Poste, au bord de la faillite ?
Léa Ngabire : « Un grand nombre du personnel n’est pas compétent et productif.»

Un personnel pléthorique, incompétent et non productif, absence d’états financiers depuis les trois dernières années, concurrence déloyale. Quelques défis qui handicapent le bon fonctionnement de la Régie Nationale des Postes(RNP). L’Olucome déplore le manque de compétitivité de cette institution publique et recommande un recrutement sur des critères objectifs.

« Un grand nombre du personnel n’est pas compétent et productif, ce qui fait que les dépenses soient supérieures aux revenus », indique Léa Ngabire, directrice générale de la Régie Nationale des Postes (RNP), lors de la visite de la ministre de la Communication au sein de cette entreprise le 19 janvier dernier.
Elle a souligné que la RNP a 946 employés, dont 40 cadres. Ainsi, précise-t-elle, le nombre du personnel compétent qui peut concevoir les projets est considérablement bas. « Même lorsqu’un projet est élaboré, il y a toujours des problèmes dans son exécution ».

Cette autorité annonce qu’il y aura un licenciement de certains employés en vue de la redynamisation de la RNP : « Nous ferons une évaluation pour sélectionner les employés qui resteront et ceux qui seront renvoyés.»
Par ailleurs, elle s’est indignée du fait que la RNP fasse face à la concurrence déloyale : « Le code de communication postale fait que nous travaillons à perte et nous plonge dans la concurrence déloyale. Il y a d’autres entreprises privées qui font le transport des courriers sans être régies par aucune loi.» Et de déplorer que les lois de l’Union Postale Universelle les privent du droit de mettre en place leurs propres prix sur le transport des courriers.

En outre, la directrice générale de la RNP a fait savoir que les états financiers de son institution des trois dernières années ne sont pas disponibles. Ainsi, a-t-elle, ajouté, l’entreprise ne peut pas contracter une dette ou élaborer des projets à long terme sans ces états financiers.

Du respect de la loi

Gabriel Rufyiri : « Il faut éviter qu’il y ait des plaintes pour licenciement abusif.»

Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre les malversations économiques (Olucome) déplore la mauvaise gestion des services publics, plus particulièrement les institutions et sociétés personnalisées qui sont dotées d’outils qui, normalement pouvaient les aider à mieux fonctionner.

« La Poste a beaucoup de problèmes depuis qu’il y a eu des recrutements tous azimuts sans respecter aucune règle », déplore le président de l’Olucome. Il fait savoir qu’il a décrié depuis longtemps cette situation, tout en regrettant que le clientélisme, le militantisme ont été mis en avant dans le recrutement.
« Nous avons écrit plusieurs correspondances pour dénoncer cette situation mais malheureusement personne n’a levé le petit doigt. Plutôt, on nous a considérés comme des fauteurs de troubles ». M. Rufyiri suggère une politique globale de gestion du personnel pour éviter des chiffres pléthoriques.

Interrogé sur le projet de licenciement de certains employés, cet activiste de la société civile recommande le respect des procédures pour ne pas tomber dans l’arbitraire : « Il faut éviter qu’il y ait des plaintes pour licenciement abusif, car la Poste sera obligée d’indemniser les victimes.»

Mêmes inquiétudes du côté des employés. Certains employés interrogés s’accordent pour une restructuration de l’institution. Ils dénoncent eux aussi un personnel pléthorique qui reste improductif. Mais, font-ils observer, s’il y a un faible rendement, les responsabilités sont partagées. Ils réclament des formations pour plus d’efficacité.

Toutefois, ils demandent le respect du code de travail nouvellement révisé, notamment en ses dispositions relatives au licenciement. « En cas de licenciement, nous recommandons une analyse minutieuse des dossiers pour éviter des licenciements abusifs».

Manque de compétitivité

Selon M. Rufyiri, pour qu’une société soit rentable, il y a des principes à respecter. Il y a d’abord la planification stratégique. Des stratégies pour faire face à la concurrence, pour intéresser le personnel, pour cadrer les performances, pour capitaliser le potentiel dont dispose la société.
Quant à la concurrence déloyale évoquée, Gabriel Rufyiri épingle le manque de valorisation des services publics. Selon lui, il faut de la compétitivité. Les sociétés doivent faire preuve de performance.

Par ailleurs, il faut stabiliser des cadres de ces institutions. Ils sont nommés et ils ne savent pas quand ils pourront quitter leurs fonctions. Ils n’ont pas de stabilité. « Il y a concurrence parce que la Poste ne montre pas de performance. Par ailleurs, elle ne privilégie pas la stabilité et la compétence des gestionnaires. Il est difficile d’avoir un rendement dans un tel contexte ».
Il recommande que ces cadres soient recrutés avec un mandat bien précis et non sur base du militantisme. Un critère qui ne tient pas debout.

Quid des états financiers ?

« Si les états financiers sont annuels, ce n’est pas normal qu’une institution financière comme la Poste, qui tend à fonctionner comme une banque, ne dispose pas d’états financiers. C’est même illogique », s’indigne M. Rufyiri. Il s’interroge sur le rôle des organes de contrôle de la Poste. Et de marteler : « Dans des conditions normales, c’est inconcevable qu’une institution publique comme la Poste puisse passer toute une année sans présenter ses états financiers au conseil d’administration pour être validés.»

En principe, fait-il observer, le conseil d’administration ne devrait pas voter le budget de la Poste avant que ses états financiers soient validés et contrôlés par les organes compétents. Et de renchérir : « Il est difficile qu’une telle institution publique soit rentable et concurrentielle », avant de conclure : «  Il y a de la mauvaise gouvernance, de l’opacité dans la gestion de l’institution.»

Le président de l’Olucome suggère une réforme profonde dans la manière dont ces sociétés publiques sont gérées. Pour lui, il faut un recrutement transparent des hauts fonctionnaires avec un cahier de charges et un calendrier bien clairs, un indicateur des résultats bien clair. Cette réforme, fait-il remarquer, rendra ces sociétés plus performantes.

Au cas contraire, prévient-il, la Poste tout comme d’autres sociétés publiques risque de tomber en faillite malgré les subsides, les appuis multiformes de la part du gouvernement, des partenaires et de l’argent du citoyen.


Eclairage/ « Il faut rénover et innover »

D’aucuns s’interrogent comment rendre la RNP compétitive et rentable. Faut-il réduire son personnel comme le propose la directrice générale? Comment faire face à la concurrence ? Que faire pour produire régulièrement ses états financiers? Eclairage par Prosper Niyoboke, consultant économiste et professeur d’universités.

Prosper Niyoboke : « Les états financiers traduisent la réalité financière d’une entreprise.»

« On ne peut pas avoir un personnel pléthorique si on recrute en fonction d’une planification des besoins », fait observer Prosper Niyoboke. D’après lui, s’il y a des outils de planification, la priorité commence par les indispensables, c’est-à-dire si on ressent le besoin de recrutement, on recrute en fonction des besoins.

Ce professeur d’universités ne cautionne pas l’idée de procéder au licenciement. Pour lui, le licenciement n’est pas une solution. Il suggère l’analyse des causes de ce manque de compétitivité et de cette faible rentabilité.

Sinon, fait-il remarquer, le faible rendement n’est pas forcément imputable à ce personnel. Plutôt, ce sont des manquements qui doivent être corrigés, non par rapport à ce personnel, mais par rapport à la gestion de l’institution : « Si on remarque que ce personnel est pléthorique, il faut repenser, revisiter les critères de recrutement et voir s’il y a eu une instrumentalisation au niveau de ces critères ». Il ne faut pas recourir au licenciement, souligne-t-il, mais plutôt penser au renforcement des capacités.

Par ailleurs, reconnaît-il, la Poste est une institution qui génère de l’argent et qui dépend pour des raisons diverses des différents acteurs politiques. Ces derniers, déplore-t-il, peuvent prendre cette institution comme un canal pour remercier certains acteurs qui vont occuper différents postes, non pas pour des besoins techniques, mais pour avoir fait preuve de plus de militantisme.

Ce consultant fait un clin d’œil aux décideurs. Pour lui, si licenciement doit y avoir, il faut qu’il soit réfléchi et aussi penser aux mesures d’accompagnement. « Si tel ou tel a été recruté, ce n’est pas de sa faute. Il faut savoir situer les responsabilités », observe-t-il.

Pas de concurrence déloyale

D’emblée, Prosper Niyoboke écarte l’idée de toute concurrence déloyale : « Je ne pense pas que ces acteurs concurrents agissent de manière déloyale. Plutôt, ce sont des acteurs qui sont reconnus par la loi. Ils œuvrent sur un marché qui tend vers la libéralisation.» Ce dernier enfoncer le clou : « Il n’y a pas de concurrence déloyale parce qu’il n’y a pas de népotisme, de favoritisme de la part de ces autres acteurs concurrents.»
Plutôt, il relève que la RNP est en train d’être dépassée par ces autres acteurs simplement parce qu’ils sont investis de missions qui traditionnellement étaient dévolues à la Poste. Pour lui, la Poste tout comme les autres acteurs devraient s’investir davantage à rénover et innover pour être à jour avec les nouvelles TIC. « Il faut avoir les outils qui répondent à ces nouvelles réalités numériques».

Selon cet économiste, la Poste devrait se munir de tout ce qui est en vogue, ces avancées pour être plus compétitives vis-à-vis, non seulement de ces acteurs locaux, mais vis-à-vis d’autres au niveau régional, pourquoi pas international.

Il recommande à la Poste de renforcer les capacités de ces ressources humaines pour qu’elles soient plus compétitives. Par ailleurs, ajoute-il, la Poste devrait revenir à ces missions premières : « Il me semble qu’elle a tendance à dupliquer son identité. Il faut voir s’il n’y a pas chevauchement entre les missions de la Poste.» Et de s’interroger : « Est-ce qu’elle va rester la Poste ou elle va évoluer vers la banque ? »

Des états financiers irréguliers

« Il n’y a aucune entreprise qui puisse fonctionner sans pour autant statuer sur son passé, son présent pour espérer bien définir son devenir. Les états financiers traduisent la réalité financière d’une entreprise », indique le consultant.

Il fait savoir que c’est à partir de ces états financiers qu’on arrive à faire de bonnes projections. Les prévisions et la gestion ne se basent que sur ces états financiers. C’est à partir de là que l’on arrive à épingler les incapacités et savoir si ces dernières sont dues aux facteurs endogènes ou exogènes, explique-t-il, ce qui permet finalement d’agir pour réduire les écarts. « Bref, ce sont des outils qui permettent de prendre des décisions rationnelles».

Des conséquences

Cet économiste fait savoir que l’irrégularité dans la production des états financiers est lourde de conséquences néfastes : « L’entreprise peut chercher à faire l’extension, à accroître ces actions ou s’associer à d’autres acteurs. Les investisseurs ne pourront pas en aucune façon être intéressés en l’absence de ces états financiers.»

« Même si c’est l’Etat qui désire relancer cette entreprise, il va partir de ces états financiers », conclut-il.
S’il y a à agir sur les instruments de bonne gestion, tient-il à préciser, c’est toujours à partir de ces états financiers. « C’est un outil qui permet de savoir la santé financière de l’entreprise ».

Ce consultant recommande un audit des comptes sur les trois années pour bien connaître la situation de la RNP.

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Kimeneke

    Il est difficile de savoir qui a les compétences ou pas il faudra des examens et des entrevues pour tout le monde nobahanura mukoreshe abarundi bo muri diaspora bobishobora

  2. Jereve

    Rénover et innover, c’est bien sûr le leitmotiv de la survie de toute entreprise. Sur un aspect purement théorique, il est difficile d’avoir la motivation d’innover quand on a été engagé sur base de critères partisans et clientélistes. On se dit à quoi bon se casser les méninges quand on doit son poste à un parti, une personne influente, ou si on a obtenu le poste moyennant un gros pot-de-vin. La personne engagée sur base de compétence se dit je dois innover pour prouver mon efficacité et garder ma place et même obtenir une promotion. La personne engagée sur des critères hors compétence se dit j’ai une protection en haut lieu et me contente d’attendre la fin du mois pour toucher ma paye (et probablement céder une partie à son parti ou protecteur).

  3. Stan Siyomana

    1. Vous écrivez: « En outre, la directrice générale de la RNP a fait savoir que les états financiers de son institution des trois dernières années ne sont pas disponibles… »
    Mon commentaire
    Ce laxisme/incompétence dans la gestion de la RNP et la micro-gestion proposée dans l’administration des 119? communes du Burundi sont les deux extrêmes de la manière de travailler au Burundi.
    «  Tout employé de l’Etat, qu’il soit sous-contrat ou sous-statut, qui œuvre au sein de la commune, toi, l’administrateur, tu es tenu de savoir la tâche qu’il exerce dont il doit te dresser un rapport », estime le ministre de la Fonction publique, du Travail et de l’Emploi… »
    https://www.iwacu-burundi.org/reforme-administrative-les-pouvoirs-inquietants-des-
    administrateurs-communaux/
    Comme une bonne partie du personnel de la RNP (SI CE N’EST PAS TOUT LE MONDE EN CAS DE FAILLITE TOTALE DE L’ENTREPRISE) risque de perdre le boulot, normalement l’on devrait s’attendre à ce que chacun des 946 employés fasse tout ce qu’il peut pour sauver l’entreprise.

    Selon le minis

  4. Nkebukiye

    « Un grand nombre du personnel n’est pas compétent et productif, ce qui fait que les dépenses soient supérieures aux revenus »
    A qui la faute ? Hum ! Hum !

  5. Bakame

    Si les états financiers ne sontpas produits depuis 3 ans. A qui la faute?
    A ce que je sache, c’est en premier lieu la faute au Conseil d’Administration et à lADG.

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