La nomination de notre ancien chef d’état, le major Pierre Buyoya, comme Haut Représentant de l’Union Africaine pour le Mali et le Sahel peut paraître un grand paradoxe pour un grand nombre de Burundais.
Il s’agit d’une personnalité plus que controversée sur son sol natal, malgré les honneurs et les responsabilités sous lesquels il croule lui attribués sans compter par la communauté internationale. En effet, un faisceau d’indices plus qu’épais porte sur lui de lourds soupçons dans l’assassinat de son successeurs au pouvoir, Melchior Ndadaye, et une partie importante du leadership du parti Frodebu le 21 Octobre 19931. Officier formé dans les meilleures académies de guerre et d’études stratégiques occidentales, le major Pierre Buyoya est un homme discipliné et d’une discrétion tombale. Il a une capacité exceptionnelle de choisir ses collaborateurs et de les exploiter de la façon la plus efficiente qui puisse être. Il aura ainsi tout pour séduire la communauté internationale de Paris à Washington en passant par Bonn. Mais, dans ce « Far West » qu’est l’arène politique africaine de nos jours, il lui faudra l’étoffe d’un héros de western pour s’en sortir.
Esquissons rapidement le tableau tel qu’il se présente depuis les indépendances africaines :
Le Bon, la Brute et le Truand
En un siècle l’Afrique vient de connaître toutes sortes de leaders. A l’indépendance, presque partout avaient émergé de bons leaders prêts à servir la cause africaine et la liberté de leurs citoyens. Quand ils ne furent pas assassinés comme Rwagasore ou Lumumba, ils furent renversés et réduits à néant comme Kwameh N’Krumah ou Ben Bella. Un troisième groupe de ce même type de leaders, sous les coups de boutoir du néo-colonialisme, versa dans la tyrannie, la corruption et la paranoïa ; il se disqualifia petit à petit aux yeux de ceux qui les avaient adulés si longtemps2.
Vinrent des officiers à la tête de juntes militaires qui installèrent le parti unique et inique pendant les trois décennies suivantes. La liste est longue de ces généraux de pacotille qui ont tué, pillé et vendu à l’encan tout ce que l’Afrique avait de fierté, de savoir-faire et de bonnes dispositions à vivre dans le respect des lois et le partage civique. Ce furent des brutes sans foi ni loi3.
Vers la fin du 20ème siècle, des comètes traversèrent le ciel chargées d’espoir4. Mais, elles furent éteintes en un éclair pour être remplacées par des truands qui, sous la peau de mouton cachaient mal leurs babines et leurs crocs de prédateurs à l’appétit insatiable. Ils font encore florès malheureusement…
Tuez-les tous et revenez seul !
Dans cette jungle où l’on tue ses compagnons de lutte allègrement, où on accable ses amis historiques sans sourciller, où trouver l’homme que recherchait vainement le philosophe Diogène de Sinope5?
Pour une poignée de dollars …
Aujourd’hui, le principe est de servir n’importe quelle cause … pour une poignée de dollars6. Machiavel7 l’emporte sur notre « chien » de philosophe8.
A l’image des films westerns, l’aventure africaine est truffée de héros, bien sûr, mais aussi de hors-la-loi, de chasseurs de prime et autres desperados.
Souhaitons bon succès à Pierre Buyoya dans ses nouvelles responsabilités. Si ce n’est pas le meilleur des fils du pays qui a été choisi, ma foi il reste notre compatriote et … non des moindres !
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| 1. Cfr la « Commission internationale d’enquête sur les violations des Droits de l’Homme au Burundi depuis le 21 Octobre 1993 » de Janvier 1993 réalisée par 7 ONGs internationales et la « Commission d’enquête politique » commanditée par le Secrétaire Général des Nations Unies en Avril 1993 composée de l’ambassadeur Siméon AKE, l’ambassadeur Martin HUSLID et Mme Michèle POLIACOF
2. Sekou Touré en Guinée, Kenyatta au Kenya…
3. Parmi les plus représentatifs, on se souviendra de Mobutu en ex Zaïre et d’Idi Amin en Ouganda
4. Amilcar Cabral en Guinée Bissau et Cap-Vert, Thomas Sankara au Burkina-Faso, Melchior Ndadaye au Burundi …
5. Diogène de Sinope, philosophe cynique qui vécut de 413 à 317 avant l’ère chrétienne
6. Dieu sait s’il ne s’agit que d’une misérable litote !
7. Nicolas Machiavel, philosophe (1469 – 1527) à qui l’on prête l’idée selon laquelle la fin justifie les moyens en politique. Je m’en réfère ici dans le sens réducteur de sa philosophie sans tenir compte des concepts de « fortuna » ou de « virtu » qui sont si fondamentaux dans sa pensée
8. Diogène de Sinope était surnommé « Diogène le Cynique » ou « Diogène le Chien » ! |