Les propos de M. Manassé Nzobonimpa dans une interview publiée par le journal Iwacu le 2 juillet 2001, révèlent que le parlementaire ainsi que certaines formations politiques n’ont jamais renoncé formellement et définitivement à l’option de la guerre au Burundi. Puisque toutes les formations politiques burundaises affirment adhérer aux principes démocratiques, pourquoi ne s’engagent-elles pas à renoncer à jamais à l’option de la guerre comme solution pour résoudre les conflits au Burundi ?
A la veille du long processus électoral de 2010, le Burundi comptait, situation surréaliste, 43 partis politiques légalement enregistrés et par conséquent légitimement désireux d’exercer le pouvoir. Après les élections, la fragmentation des partis politiques continue. Elle provoque une situation chaotique marquée par des exclusions, des anathèmes et des procès en sorcellerie. Cette situation aboutit ainsi à l’atomisation extrême des partis politiques et à leur « Nyakurisation ». Au point qu’il faudra bientôt un microscope géant pour repérer certains partis politiques dans le paysage burundais.
Le conflit politique actuel est d’ailleurs aggravé par la fragilisation des partis politiques de l’opposition par le pouvoir actuel, lequel se prive, du coup, d’interlocuteurs responsables et respectés. En fait, tous les ingrédients semblent aujourd’hui réunis pour achever une concentration excessive des pouvoirs entre les mains d’un parti unique autour duquel graviteront des formations politiques satellites dépourvus d’assise populaire véritable.
L’UPRONA, à titre d’exemple, déchirée par un conflit entre factions rivales, est atteinte par l’épidémie qui frappe régulièrement les formations politiques burundaises. Si la guerre des courants au sein de ce parti ne se calme pas, si, malgré la pertinence et la légitimité supposées des critiques adressées à la direction de ce parti par ses adversaires, la durée légale du mandat de celle-ci n’était pas respectée, il est à craindre que ces querelles de courants antagonistes aboutissent à l’affaiblissement définitif de ce parti et privent le pays d’une politique alternative crédible et d’une l’alternance démocratique possible lors des échéances électorales futures.
En réalité, toutes les formations politiques au Burundi vivent, depuis plusieurs années, sous la menace permanente de mini coups d’Etat internes, parfois suscités et encouragés par les pouvoirs successifs. Cette instabilité constitue une fragilité typique de la démocratie burundaise. Les propos de M. Manassé Nzobonimpa ravivent cette fragilité quand le député évoque l’option de la rébellion et du coup d’Etat pour améliorer la gouvernance au Burundi. Au parlementaire de la Communauté Est-Africaine, à toutes les formations politiques, à tous les Burundais qui oublient trop rapidement les leçons tragiques de l’histoire du pays, il convient de rappeler la célèbre sagesse de Jean de La Fontaine : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. »
Le match jusqu’à la fin du temps réglementaire !
Même si comparaison n’est pas raison, l’élection de George W. Bush, lors de son premier mandat, a été fortement contestée. En effet, l’ancien président américain a été élu grâce à des machines défaillantes et incapables de faire des trous de façon propre et incontestable dans les bulletins de vote des électeurs de Floride ? L’élection de George W. Bush a été entachée par une fraude électorale manifeste mais sa légitimité a été validée par la Cour Suprême des Etats Unis néanmoins. Pour autant, Al Gore, le candidat démocrate à qui ces machines archaïques ont volé la victoire, n’a pas appelé le peuple à se soulever, à constituer une rébellion et n’a pas préconisé un coup d’Etat pour faire le ménage à la Maison Blanche. L’honneur de la politique consiste à sauvegarder la paix sociale à tout prix.
L’intelligence et la sagesse en politique consistent aussi à évaluer le rapport de force, à rechercher et à accepter des compromis honorables avec les adversaires et à préparer le combat politique et pacifique pour gagner les prochaines élections. Pour autant, il faut le réaffirmer avec force, les gouvernements démocratiquement élus peuvent et doivent être combattus politiquement et pacifiquement, en cours de mandat, lorsqu’ils bafouent les règles de la bonne gouvernance et foulent au pied les droits humains. Et quand leur bilan est médiocre, en fin de mandat, les mandataires politiques doivent être congédiés par la sanction de l’électeur. Mais ils peuvent aussi être reconduits si leur bilan est positif.
Les Burundais ont inventé une nouvelle mesure de leur espérance de vie. Depuis la dernière guerre civile qui a ravagé le pays entre 1993 et 2006, celle-ci est estimée, semble-t-il, à 24 heures renouvelables. Du coup, parce que l’horloge biologique les taraude et leur rappelle qu’ils n’ont que 24 heures renouvelables à vivre, certains Burundais semblent beaucoup trop pressés et n’acceptent pas que les institutions élues au cours d’un processus électoral, contesté par certaines formations politiques, aillent jusqu’au terme légal. Du reste, beaucoup de Burundais sont trop pressés même dans la vie courante car ils n’acceptent pas de discipline élémentaire.
A titre d’exemple, certains Burundais ne se mettent pas spontanément dans une file d’attente dans les lieux publics. Ils remontent en double, voire triple file, une rue déjà embouteillée et créent ou aggravent ainsi un embarras majeur de la circulation. Ils roulent à tombeau ouvert, surtout lorsqu’ils assurent le transport en commun de passagers dans des minibus bleus-blancs qui ne respectent généralement aucune règle du code de la route. Ils génèrent un chaos indescriptible devant le marché central de Bujumbura, chacun espérant égoïstement, tirer son épingle du jeu.
Ils saccagent l’environnement, rivières, forêts, espaces publics et zones protégées, estimant qu’après eux le déluge. Ils s’engagent dans une course folle contre la montre et s’organisent pour gagner vite et beaucoup d’argent, même illégalement, surtout lorsqu’ils occupent de hautes fonctions au sein de l’appareil de l’Etat. Car demain, car dans 24 heures, qui garantira la pérennité de leurs positions et donc la longévité de la vache à lait ? Beaucoup de Burundais sont donc trop pressés et veulent tout, tout de suite comme des gamins impatients. Ils n’acceptent pas de respecter le rythme de la démocratie. Ils ne souhaitent pas donner « le temps au temps » pour améliorer et consolider progressivement le système démocratique au Burundi.
Le temps, enseigne un proverbe, ne respecte pas ce qui a été construit sans lui. Pourquoi respecterait-il la démocratie burundaise si elle est sans cesse menacée par des remises en cause brutales et violentes, par des assassinats d’élus, de Louis Rwagasore à Melchior Ndadaye en passant par Pierre Ngendandumwe, par des coups d’Etat et des rébellions, par une instabilité politique chronique ? Et pourtant, M. Manassé Nzobonimpa, comme tout Burundais d’ailleurs, admet que même lorsqu’un match de football est désespérément mauvais, l’arbitre doit laisser poursuivre le jeu jusqu’à la fin du temps réglementaire. Pourquoi une règle de simple bon sens, si évidente dans un match de football, ne s’appliquerait-elle pas aux institutions démocratiques au Burundi ?