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La musique burundaise scrute l’Afrique de l’Est

05/05/2013 Commentaires fermés sur La musique burundaise scrute l’Afrique de l’Est

Comment la musique burundaise peut-elle pénetrer le marché est-africain ? Deux facteurs importants interviendraient : la langue, et le secteur privé.

<doc4127|right>Il y a comme un refrain repris à chaque fois que l’on discute avec les musiciens burundais sur leur domaine : « Si nous étions au Kenya par exemple », entonnent-ils, dès qu’on évoque leurs carrières au futur … Le nom du pays pouvant être variablement remplacé par Rwanda, Tanzanie, Ouganda, pour ne citer que les voisins.

Il y a comme une envie de partir vers ces scènes de l’Afrique de l’Est, si proches, si prometteuses, visitées par ailleurs par bon nombre des membres de l’Amicale des musiciens du Burundi. Ce n’est pas seulement {l’herbe qui est toujours verte ailleurs.} C’est plus profond : la rage de voir, par exemple, des artistes rwandais naguerre au même niveau il y a sept, huit ans, et qui maintenant, parviennent à se produire avec des célébrités mondiales, citant, foi de fan, Sean Kingston à Kigali en septembre 2011. Ne parlons pas de Jay-Z en Tanzanie, de Sean Paul à Kampala, ou des jeunes adolescents kenyans du groupe [Camp Mulla nominés aux BET Awards 2012->http://allafrica.com/stories/201205240420.html], et qui représenteront à la Mecque de la musique noire l’Afrique de l’Est.

La rage de ne pas faire autant… alors que l’essentiel est là. Le talent. N’a-t-on pas hurlé de fierté quand, au soir du 22 janvier dernier, les meilleurs talents de 2011 s’affrontaient au large du Tanganyika pour décrocher une collaboration avec Kidum, « le grand-frère », l’exemple à suivre, la référence. « Nous sommes les meilleurs », scandait la foule quand Yoya, puis Rally Joe chauffèrent la scène, avec derrière eux un orchestre live où tout était joué avec justesse : « Pas de CD ce soir », avaient signifié pompeusement les organisateurs de la rencontre. Quatre heures de concert en direct, instruments en mains, sans fausse note, pour des musiciens dont la tranche d’âge tourne autour de trente ans, « c’est qu’il y a un grand potentiel en la matière », avaient juré les mélomanes. Et de compléter cet enthousiasme par les récentes incursions d'[Emelance->http://www.rfi.fr/emission/20111116-2-couleurs-talent-2eme-partie] et [Francis->http://www.rfi.fr/emission/20120118-2-couleurs-talent-2eme-partie], deux autres chanteurs burundais, dans les concours musicaux sur RFI.

Alors, toutes proportions gardées, qu’est-ce qui manque, pour que les boîtes de nuit des capitales des pays de l’EAC proposent des tranches « made in Burundi », comme le fait les adresses burundaises en proposant systématiquement de la musique ougandaise, kenyane, rwandaise et tanzanienne ? Trois facteurs semblent entrer en jeu.

La question de la langue

Mkombozi, l’une des dernières grandes révélations du rap burundais en parle si bien : « Depuis que j’ai décidé de chanter en kirundi, je n’ai plus de proposition de concert à Bukavu et Goma (RDC). Le public attend des titres en swahili », précise ce jeune talent de 24 ans, dont près d’une dizaine passés dans les camps de réfugiés de la Tanzanie. Pourtant, l’une des plus importantes chaînes de télévision congolaise titrait, fin décembre 2011: « Les musiciens burundais ont du succès à Bukavu. »

En la matière, il suffit de voir l’engouement suscité par Kidum auprès du public swahilophone et qui roule désormais sa bosse dans le top des tubes est-africains : [{Mulika mwizi}->http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=wB-RCa3H53o] (Montre le voleur), [{Haturudi nyuma}->http://www.youtube.com/watch?v=SJOohsYX1Qo&feature=related] (Nous ne reculerons pas), [{Nitafanya}->http://www.youtube.com/watch?v=WmuR1NUrvR0&feature=related] (Je ferai), … tous ces gros succès sont en swahili. Avec, à la clé, la nomination de l’enfant de Kinama comme meilleur artiste de la Communauté de l’Afrique de l’Est aux Kilimandjaro Awards, en 2010. Si donc nos chanteurs veulent s’exporter dans la sous-région, il faudra se plier à la loi du marché : l’offre se fait en swahili. Le kirundi ne peut se vendre, au mieux, qu’à Kigali. Et même là, concurrence oblige …

Le {mood} des chansons

L’autre grand « défaut » des musiciens burundais serait « le sérieux que dégagent, souvent, leurs œuvres », analyse Landry Mugisha, célèbre chroniqueur musical de Bujumbura. En clair : au lieu de composer de belles ballades largement travaillées à l’auto-tune (procédé numérique qui permet de corriger les imperfections des cordes vocales), certains de nos grands talents s’évertuent à travailler leurs voix, accompagnés par de jeunes musiciens qui tiennent à manier la guitare, le synthétiseur ou la batterie. Leurs aînés les y encouragent, par ailleurs. Car dans le droit fil du grand Canjo Amissi ou du regretté Nikiza David, on tient encore à avoir des textes « profonds », avec une histoire, et une morale…

Hélas !, ironie du sort, le marché musical de la sous-région souhaite des textes « légers », sur lesquels se trémousser, « comme partout ailleurs, d’ailleurs », note Landry Mugisha. Les tubes nigérians, jamaïcains ou américains sont là pour expliquer le phénomène.
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{ Au niveau de l’EAC … Les pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est prévoient la mise en place d’un Conseil de la Culture et du Sport, dont les missions sont, entre autres, l’harmonisation des politiques culturelles dans la sous-région, la création de fonds de soutien aux deux secteurs ou encore … la promotion du swahili comme langue véhiculaire.}
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Côté burundais, cela montre le manque d’une « étude du marché », au sens commercial du terme. Étant en face d’une véritable industrie musicale dans la sous-région, avec ses acteurs, ses produits et ses modes de consommation populaire, il ne suffit pas de faire de la musique. Encore faut-il qu’elle soit « efficace », c’est-à dire vendable… Détestable loi du marché.

La question des moyens

Mais de manière plus récurrente, le grand handicap de la musique burundaise reste le manque d’engagement du secteur privé dans le soutien aux artistes. « Tant qu’il y aura peu de compétition entre les entreprises locales, les artistes continueront à percevoir quelques centaines de dollars pour organiser un concert par ici, un spectacle par là », commente Bruno Simbavimbere, à la tête de l’Amicale des musiciens. Avec comme conséquence, des événements où la sonorisation ne profite qu’aux premières rangées des spectateurs, sans chorégraphie, etc.

À la décharge de ces potentiels investisseurs tant incriminés, on pourrait s’interroger sur les garanties présentées en retour par les musiciens demandeurs de fonds. Une question soulignée en décembre dernier par les experts de la Francophonie venus former les entrepreneurs burundais en élaboration de projets.

Et c’est ici qu’intervient le rôle, essentiel, du producteur, qui assure la liaison entre l’artiste (le talent) et ses moyens (financiers et promotionnels) de réalisation. Or, de tous les musiciens opérant actuellement au Burundi, seuls deux groupes tout au plus en possèdent. La marche qui reste est longue …

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