Bientôt un mois que le journaliste Jean Bigirimana est porté disparu. Le directeur du Groupe de Presse Iwacu, Antoine Kaburahe, tire quelques leçons de cette enquête difficile.
La disparition de Jean Bigirimana me rappelle un éditorial que j’avais écrit en juillet 2008. J’évoquais ces corps torturés, décomposés, flottants dans la Ruvubu, au nord, dans la province de Muyinga que l’on avait trouvés durant l’été 2006.
Morts anonymes, cadavres non identifiés… La victime est niée dans la mort elle-même. Elle bascule dans le rien. La victime est littéralement effacée. Souvenez-vous du corps de Patrice Lumumba dissous dans l’acide. Ou encore en Argentine, durant la dictature, des personnes disparaissaient sans laisser aucune trace.
Jean Bigirimana n’est pas mort. Il est… porté disparu. C’est terrible, car la représentation de la mort permet une forme – certes toujours insatisfaisante – de réparation symbolique. Ceux qui ont perdu les leurs mais qui n’ont pas pu les pleurer et les enterrer connaissent ce terrible sentiment.
L’effacement des traces s’attaque déjà à ce que Freud appelle « le travail de deuil. » Ce processus ne s’enclenche pas sans l’épreuve de la réalité. Ne pas voir le cadavre conforte « follement » le déni de la mort. Ainsi, la pauvre épouse de notre confrère, après cette terrible « identification » à laquelle elle a été soumise, quitte Muramvya avec « l’espoir que son mari est encore en vie. » , dira-t-elle aux journalistes. Comme elle n’a pas vu son corps, on peut la comprendre. Et on espère que cela soit le cas.
Effacer la trace de la victime donc. Par cet acte on quitte l’humanité en refusant une inscription (rituel funéraire, récit) à ceux qui basculent ipso facto dans le rien.
Une commission en hauts talons
Les journalistes d’Iwacu ont été aussi loin qu’ils pouvaient dans leur enquête, très difficile. Grâce à leur courage, deux corps qui avaient basculé dans ce « rien », jetés dans une rivière,au fond d’une falaise, ces corps ont été découverts et remontés.
Certains nous ont reproché d’avoir été naïfs, d’avoir fait trop confiance à la CNIDH notamment. Oui, c’est un peu vrai. Mais nous avons pensé que c’était l’institution à laquelle nous pouvions compter pour nous aider, pour faire pression sur la police. Dans cette affaire, la police, on s’en souvient, n’a jamais brillé par sa réactivité. Il a fallu plusieurs jours par exemple pour remonter les corps découverts par les journalistes.
Nous avons cru que cette commission allait se saisir du cas, enquêter, se poser en leader dans les recherches, nos reporters étaient prêts à collaborer. Mais nous avons eu la triste impression que l’on forçait la main à la CNIDH, à vrai dire peu engagée. L’épisode de cette « enquêteuse » de la commission qui est venue se joindre en hauts talons aux journalistes sur les pistes rocailleuses des bords de la Mubarazi ferait sourire s’il n’y avait pas disparition, voire assassinat d’un homme. Bien sûr elle n’ira pas loin et préférera « attendre le retour des enquêteurs » dans la Jeep 4X4. Cette anecdote est en réalité révélatrice d’un état d’esprit d’une commission qui faisait plus de la communication que de l’investigation. On se souviendra aussi de cette « descente » de la commission annoncée, tenez-vous bien la veille, pour « enquêter » à Muramvya.
Après cette « enquête », la CNIDH fera une conférence de presse pour dire qu’elle a visité la maison du responsable des services de renseignement, et qu’elle n’a rien trouvé. Faut-il en rire ou en pleurer ? Par la suite la CNIDH ne daignera même plus faire suite aux correspondances d’Iwacu. Même le courrier de HRW qui demandait, comme Iwacu, que l’on ne s’empresse pas d’enterrer les corps de Muramvya est resté également sans réponse.
Alors que des cas de disparition, de torture, d’assassinats sont rapportés presque au quotidien, l’histoire jugera sévèrement la passivité de la CNIDH en cette période terrible pour notre pays.
Certains misent sur le temps, sur le tassement. On laisse les journalistes et autres « droits-de-l’hommistes » s’agiter. Il y a un joli refrain bien rôdé, une épitaphe que l’on devrait écrire sur tous nos charniers : « Baracabitohoza » (Les enquêtes se poursuivent).
Malgré nos faibles moyens, cependant avec une grande détermination, nous avons essayé de découvrir la vérité sur la disparition de notre collègue.
Il convient de remercier tous ceux qui ont soutenu les journalistes. C’est la grande leçon que nous tirons de cette tragédie : cette enquête nous a permis de comprendre que nous ne sommes pas seuls, malgré tout.
Les Burundais que l’on pense à tort léthargiques et sans ressort voient et comprennent. « U Burundi bugona buri maso ». (Les Burundais ne dorment que d’un œil). Ceux qui kidnappent, torturent et tuent ne devraient pas l’oublier.
Extraits de lettres d’Iwacu au Président de la CNIDH
Iwacu avait notamment informé la commission que des partenaires étaient prêts à apporter une aide scientifique pour l’identification formelle des corps. Iwacu n’a jamais reçu de réponse. Chacun appréciera
Premier message
« Nous avons appris que l’épouse de notre collègue disparu, Jean Bigirimana, a été emmenée à la morgue de Muramvya pour « reconnaître » les cadavres que les journalistes ont découverts dans la Mubarazi. La CNIDH était présente dans cette équipe. Iwacu qui a toujours partagé avec la CNIDH les résultats de ses enquêtes aurait apprécié être informé de cette démarche afin de pouvoir être aux côtés de Mme Bigirimana pour la soutenir dans cette pénible tâche. (…)
Nous pensons que la CNIDH ne va pas s’arrêter sur cette unique constatation visuelle d’une épouse sous le choc. Afin de lever le moindre doute, il faut vous en conviendrez avec nous je pense, une confirmation scientifique. »
Deuxième message
« Des informations nous parviennent qu’il y aurait déjà eu hier une tentative d’enterrer en catimini les corps découverts par les journalistes à Muramvya. Nous vous prions d’user de votre pouvoir pour interdire cette inhumation à la sauvette puisque le Groupe de Presse Iwacu souhaite s’assurer formellement que le journaliste Jean Bigirimana ne figure pas parmi les deux corps. »
Une question: Muramvya c’est pas a la frontiere d’avec le Rwanda? Parce que ces corps en rapellent d’autres…
Aujourd’hui c’est Bigirimana Jean, hier c’etait Hafsa Mosi, avant hier c’etait Kararuza et sa famille pour ne citer que les tragedies les plus recentes. Dieu seul sait comment ces tragedies ont choque les burundais de coeur et la communaute internationale. Quoique l’on fasse ,demain Bigirimana Jean sera oublie,bien sur pas par sa famille, ses collegues et amis. L’on se demande qui ‘autres vont subir le meme sort prochainement. Il y en a. Les signaux sont la . Prions pour Bigirimana Jean, et sa famille tout en cherchant la justice des notres et en pensant comment faire faces a ces criminels connus qui ne revent que nous enterer tous.
Tristesse et dégoût. Colère. Et une grande admiration pour la démarche intelligente d’IWACU, qui a mis les instances compétentes devant leurs responsabilités.
Le résultat est, hélas, révélateur – d’un grande incompétence. Les règlements, les lois, la constitution ne s’appliquent que dans un Burundi virtuel, qui n’a existé que dans la pensée des médiateurs d’Arusha I. Dans le Burundi réel, l’arbitraire et les dérives d’une dictature de fait font le quotidien du pays.
Même si le régime se targue encore d’être issu de « processus démocratiques ». Savez-vous ce qu’elle vous dit, Zazie ? « Démocratiques, mon … oeil ». La démocratie et ole respect des lois et des citoyens
Il n’y a rien à espérer du régime en place. Et hélas, beaucoup à craindre des résultats d’une résolution de cette crise par les armes. On entend des rumeurs, et on se dit – européen naïf et ignare – que mettre un militaire à la place d’un autre risque de ne pas changer pas grand’chose.
Place à des forces « civiles », pour changer un peu de musique.
La démocratie et le respect des lois et des citoyens sont encore nécessaires *après* la tenue des élections.
Mr Kaburahe, je remercie Dieu quand je pense que vous n êtes plus au Burundi. Lui seul sait, si on aurait été en mesure de lire de tels articles. Un jour toute ceci va cesser…j’espère…ngo nta mvura idahita harya? Hope I am right.
Les historiens, les criminologues en diront long sur cette police debrigan
Mon Burundi, Burundi qui souffre, ce Burundi mal aimé, haï, trahi, détesté, pointé du doigt,…mais ce pays est aussi verdoyant comme les autres, avec un peuple généreux, souriant, accueilli mais un peuple meurtri. Est-ce par ce fameux 3ème mandat de la discorde? L’histoire le dira en même temps qu’elle donnera la réponse à tous ces maux dont souffre le Burundi et son peuple!
Et oui, chacun y va avec ses explications, ses commentaires,
Il n y a plus la vérité, mais les vérités,
Un objet est blanc et il est vu noir par les autres,
On fait parler les morts selon ce que l’on est et ce que l’on croit..
Bien, prions le Seigneur!
C’est très décevant, voire meme revoltant mais courage ne baissez pas les bras car, à la fin c’est ce serait faire acceder les bourreaux à leur souhait escompté, que tout le monde se lasse, abandonne et qu’ils dictent leur lois(qui n’est rien d’autre que la mort et la desolation). Courage vous n’etes pas seul, car nous les citoyens lambda sommes derrière vous.
Mon cher Antoine,
Je ne voudrais pas faire un procès d’intention à quiconque. Cependant, depuis le début de cette tragédie, depuis la disparition de Jean Bigirimana, le comportement de la police et du CNIDH, en particulier, n’a jamais été à la hauteur de ce drame.
Cette visite sur le terrain « en hauts talons » et « en 4X4 de luxe » sur les rives de la Mubarazi où les deux corps étaient signalés constituent une blessure supplémentaire infligée à la famille, aux collègues de Jean et à toute la profession des journalistes.
Les citoyens burundais et la communauté internationale ont assisté, médusés, à une incroyable incompétence dans la gestion de cette terrible disparition. On n’ose pas penser que ces deux institutions sont complices de ce crime. Probablement que les hauts fonctionnaires du CNDIH dont les salaires mirobolants, trois millions de francs par mois pour les conseillers, semble-t-il, préfèrent préserver leurs avantages et leurs privilèges et continuer à acheter des hauts talons en quantité et à rouler dans les carrosses rutilantes de l’État.
Mais jusque quand peut-on s’assoir sur les valeurs fondamentales humaines et sur les droits des gens ?
On ne parle pas la bouche pleine, dit l’adage populaire. Alors bon appétit, messieurs, dames du CNIDH !
Athanase Karayenga
@Athanase Karayenga,
Bien dit, Monsieur KARAYENGA. Le Burundi, en quelques années, et particulièrement depuis avril 2015 est un pays où les polices, quelques militaires, bref une poignée de gens qui sert aveuglement le pouvoir de Nkurunziza, disposent de droit de vie ou de mort sur tous ceux qui sont soupçonnés a tort ou à raison de pas soutenir le 3ème mandat sanglant de Monsieur Nkurunziza. Tuer est devenu une arme avec laquelle on combat et neutralise ses adversaires politiques. J’ose simplement espérer que les commanditaires des crimes inqualifiables au Burundi, y compris celui subi par Jean BIGIRIMANA, n’auront pas le dernier mot. Il y en a qui risquent de finir leurs jours à La Haye comme Milosevic.