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La leçon morale et politique de Louis Rwagasore

20/09/2011 Commentaires fermés sur La leçon morale et politique de Louis Rwagasore

Les élections communales de mai 2010, contestées par l’opposition regroupée au sein de la coalition ADC-Ikibiri ont provoqué un contentieux électoral qui s’enfle et s’envenime chaque jour davantage. L’opinion est exaspérée par les éliminations physiques de militants, l’exil de certains chefs politiques de l’opposition et la résurgence d’un langage politique violent.

De toute évidence, la classe politique burundaise peine à renouer avec l’esprit des Accords de Paix d’Arusha, à privilégier le respect mutuel, le partage du pouvoir et la résolution pacifique des conflits. La rébellion, le coup d’Etat et les éliminations physiques de personnes apparaissent même à une certaine classe politique et à une certaine jeunesse comme l’ultime et inéluctable solution pour changer la donne politique au Burundi. Dramatique !

En 1961, le prince Louis Rwagasore et ses compagnons qui luttaient pour l’indépendance du Burundi ont été victimes d’une persécution politique inouïe et ont géré un grave contentieux électoral à leur détriment. Rien ne lui fut épargné. Une loi inspirée par la Tutelle interdisait aux membres de la famille royale, jusqu’au deuxième degré, de s’engager dans le combat politique. De ce fait, Louis Rwagasore, Conseiller Général de son parti, n’en fut jamais le président officiel et ne put jamais se porter candidat aux élections communales et législatives. En outre, Louis Rwagasore n’était pas autorisé à faire publiquement campagne. Il faisait des apparitions furtives qui suffisaient à galvaniser les foules.

Le soutien indéfectible des femmes

Les pompes à essence auraient même reçu l’ordre de ne pas approvisionner son véhicule en carburant. Qu’à cela ne tienne ! Des femmes militantes du parti Uprona portaient des bidons d’essence sur le dos comme des bébés et la voiture du prince était quand même approvisionnée. Les services de renseignement de la Tutelle étaient tout le temps aux trousses du prince pour l’attraper en flagrant délit de campagne électorale. Des témoins indiquent que Louis Rwagasore a été déguisé parfois en femme afin de passer inaperçu ou, pour échapper aux tracasseries des services de renseignement, aurait été caché, in extrémis, sous un lit dans une famille où il se trouvait. Enfin, la Tutelle a demandé au roi Mwambutsa de désavouer son fils et de le dissuader de faire campagne. Cependant, ni publiquement ni en privé, le roi Mwambutsa ne désavouera jamais le combat de son fils.

Avant les élections communales de 1959, Louis Rwagasore a été assigné à résidence à Bururi, Paul Mirerekano et André Muhirwa ont dû s’exiler au Congo. Louis Rwagasore sera libéré le lendemain des élections communales marquées par la victoire du Front Commun animé par le Parti Démocrate Chrétien (PDC). Le parti Uprona n’avait recueilli que 19% des voix. En réalité, le calcul de la Tutelle belge était de coincer le parti Uprona dans un étau constitué d’un côté par des partis politiques animés par des Ganwa, le PDC de la famille Baranyanka (Batare) et le Parti Démocrate Rural (PDR) de Pierre Bigayimpunzi (Bezi) et de l’autre côté, par le Parti Populaire d’Emmanuel Nigane, financé et animé par Albert Maus, le propriétaire du fameux Castel de Resha sur les rives du lac Tanganika près de Rumonge. Le Parti Populaire avait une parenté idéologique avérée avec le Parmehutu de Grégoire Kayibanda au Rwanda. Albert Maus, un ancien prêtre belge que Jean-Paul Harroy nommait « l’Apôtre des Hutu », ne cachait d’ailleurs pas son agacement. Il déclarait ne pas comprendre les Hutu burundais qui adhéraient massivement aux partis politiques animés par des aristocrates au lieu d’adhérer au Parti Populaire qui représentait mieux leurs intérêts.

Le lendemain de sa libération, Louis Rwagasore rend une visite de courtoisie à Jean-Paul Harroy, histoire de le narguer avec élégance et courtoisie néanmoins.

Le combat politique feutré et poli n’empêcha pas Louis Rwagasore et le parti Uprona de contester les résultats des élections communales et de demander aux Nations Unies, au nom desquelles la Belgique exerçait la Tutelle sur le Burundi et le Rwanda, de faire pression pour que la date des élections législatives soit repoussée. Ce report permettait à Louis Rwagasore et à ses compagnons de prendre le temps de s’organiser et de se lancer dans la bataille décisive. A l’inverse, la Tutelle et les partis du Front Commun souhaitaient que les élections législatives soient organisées dans la foulée des communales afin de confirmer la défaite définitive de l’Uprona.

Les Nations Unies enverront la fameuse commission constituée par l’Ambassadeur Dorsinville de Haïti, M. Majid Rhanema d’Iran et M. Gassou du Togo. A la suite de cette visite, les Nations Unies ont effectivement demandé à la Tutelle belge de repousser la date des élections législatives comme le réclamait l’Uprona. En outre, événement majeur dans l’histoire du Burundi, les Nations Unies ont validé la demande de Louis Rwagasore et du parti Uprona pour que les femmes participent au vote pour la première fois. Après la victoire triomphale de l’Uprona et au moment de nommer le premier gouvernement, Louis Rwagasore ne souhaitait pas devenir Premier Ministre. Il souhaitait garder son poste de Conseiller Général de son parti. Mais sur pression des députés et des élus locaux réunis en conclave quasiment papal à Gitega, il a accepté d’assumer les responsabilités de Premier Ministre. Dans la première équipe gouvernementale qu’il composera, il était titulaire du poste de Ministre des Affaires Etrangères.

Un gouvernement d’union nationale

D’après plusieurs témoignages, dans un esprit d’ouverture, de partage du pouvoir et de respect de l’opposition, Louis Rwagasore, allait proposer à ses adversaires des postes de haute responsabilité. Jean Ntidendereza, le président du PDC était pressenti pour un poste d’Ambassadeur dans un pays important en Europe. D’aucuns pensent à la Belgique. Joseph Cimpaye, Premier Ministre Hutu désigné pour diriger le gouvernement intérimaire par le Front Commun et Pierre Bigayimpunzi du PDR étaient pressentis pour des postes de responsabilité également, mais au Burundi.

Par ailleurs, sur les dix ministres composant son gouvernement, quatre provenaient de petits politiques qui n’étaient pas dans la mouvance de l’Uprona. Parmi ces quatre ministres, une personnalité était récompensée par Louis Rwagasore pour les renseignements qu’il lui fournissait sur les plans de la Tutelle belge pour déclencher une guerre civile en 1959, au Rwanda et au Burundi. En vérité, Louis Rwagasore a inventé, longtemps avant les Accords de Paix d’Arusha, un système de partage du pouvoir, de respect de l’opposition et de rejet de solutions violentes pour résoudre les conflits.

Après la désignation de Louis Rwagasore comme Premier Ministre, son père le roi Mwambutsa a validé le choix des élus de l’Uprona, selon les termes de la constitution, et ensemble, le roi et le Premier Ministre ont rendu une visite de courtoisie à Jean-Paul Harroy pour lui indiquer que la volonté du peuple burundais s’était exprimée. Bon démocrate malgré tout, le Résident Général, n’a pu qu’accepter le choix du peuple burundais pour l’indépendance immédiate, un choix qu’il avait pourtant combattu de toutes ses forces.
Ainsi le roi Mwambutsa et son fils, Premier Ministre, fermaient le livre de l’histoire de la colonisation au Burundi. En effet ils vengeaient en quelque sorte le roi Mwezi Gisabo qui avait été contraint de signer le traité de Kiganda en 1903, traité prenant acte de la domination coloniale allemande. La démocratie et la lutte pacifique peuvent déplacer des montagnes !

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