Réagissant à la tenue du sommet mondial de la jeunesse sur le climat, le Dr Samuel Ndayiragije a alerté sur la disparition de la forêt de la Kibira à l’issue d’un entretien accordé à Iwacu ce 02 Octobre 2019 à Bujumbura.
A l’ONU, lors d’un sommet mondial de la jeunesse sur le climat, Bruno Rodriguez, un jeune militant argentin de 19 ans, a déclaré que les jeunes sont les premiers investis de la mission de sauvegarde du climat, êtes-vous d’avis ?
Tout à fait. En effet, les jeunes sont les plus concernés par les problèmes que posent les perturbations climatiques. Par manque de conscientisation sur ce sujet, leurs parents et grands-parents se sont retrouvés assez vite impliqués et embarqués comme dans une éprouvette dans ce processus de changement climatique déjà à l’œuvre aujourd’hui. Et dans les nations développées, les adultes ont souvent des intérêts économiques et industriels à défendre (Ex. Des industries polluantes qui veulent préserver leur activité économique) et par conséquent, ne sont pas prêtes à en finir avec un modèle économique dont ils tirent profit. Par contre, la jeune génération, voyant que son futur risque d’être hypothéqué, estime qu’elle doit se mobiliser car elle sera la seule à assumer les conséquences de cette dégradation climatique. Elle se bat pour sauver son avenir.
Le thème du réchauffement climatique est aujourd’hui devenu un sujet de débat majeur à l’échelle mondiale. Pourtant, au Burundi, ce sujet semble passer au second plan. Pourquoi?
Avec une population à 90% rurale et donc non éduquée, on peut comprendre assez vite pourquoi les gens ici sont peu au fait de ces questions et subissent les conséquences de la dégradation climatique sans en connaître l’origine. A titre d’exemple, le paysan sur la colline va constater le retard des pluies au mois de septembre et fera la comparaison avec les périodes antérieures pour se faire une idée du changement climatique. Dans notre ministère, quand nous intervenons auprès des agriculteurs pour échanger avec eux sur les bouleversements climatiques, ils nous disent que «c’est passager» et semblent inconscients que ces perturbations climatiques s’inscrivent dans un processus long datant de plusieurs décennies et qui n’est pas prêt de s’arrêter. Pour leur expliquer ce qui leur arrive, nous nous voyons souvent recourir à du réel concret pour qu’ils comprennent ce qui est en train d’advenir.
Contrairement à la jeunesse d’autres pays, la jeunesse burundaise n’est pas beaucoup mobilisée sur les thématiques liées l’environnement, qu’est-ce qui, selon vous, pourrait être fait pour sensibiliser la jeunesse burundaise sur ces questions?
Je pense qu’il faut nuancer ce constat. L’environnement est un domaine assez vaste et qui embrasse des angles aussi épars que la biodiversité, l’hygiène, la cuisine ou la salle de bain. C’est ainsi que certains jeunes ont pris la voie de la propreté des rues, d’autres la voie du reboisement des collines, …
Quel bilan faites-vous aujourd’hui à la suite de l’atelier de réflexion que vous avez initié le 26 juillet 2018 sur la lutte contre la désertification au Burundi?
Le Burundi a souscrit à un projet de reboisement de 8000 hectares d’arbres avec des partenaires. Cela couvre à la fois la lutte contre le changement climatique, mais aussi le piégeage du carbone au niveau des forêts. Au sommet de l’Etat, le président de la République a lancé un vaste projet intitulé «Ewe Burundi urambaye» destiné à reboiser toutes les zones «dénudées». Deux ans après le lancement de ce projet, des quantités non négligeables de pépinières ont été installées sur les collines et au niveau des savanes. On constate que toutes les couches de la société burundaise, des forces de l’ordre jusqu’aux civils en passant par l’administration, se sont approprié ce projet. Au niveau du ministère de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’élevage, il a été initié un projet de creusage de fosses antiérosives sur les collines pour essayer de piéger les eaux sur les bassins versants. Ainsi, plusieurs kilomètres de fosses antiérosives ont déjà été creusées sur les collines et notre ministre s’apprête à faire une évaluation sur cette activité. L’autre projet en exécution de mon ministère est celui de déssoucher toutes les essences forestières qui absorbent beaucoup d’eau à commencer par les eucalyptus qu’on trouve tout près des zones de captage d’eau. Enfin, des campagnes de sensibilisation sont menées auprès des agriculteurs, dans les écoles, etc.
Si rien n’est fait, quelles sont les conséquences possibles de la dégradation du climat au Burundi?
Avec les menaces qui pèsent sur la Kibira, il se pourrait que cet écosystème disparaisse et les conséquences en seraient fatales pour notre pays: le réchauffement climatique qui en résulterait serait source de maladies pouvant mettre en danger la santé des populations. Sans oublier l’oxygène qui en viendrait à manquer, cette forêt étant «notre poumon vert». Avec le réchauffement climatique, il se pourrait que des régions comme la plaine de la Rusizi deviennent désertiques! A côté de cela, d’autres zones comme les dépressions du Bugesera connaîtraient des soucis majeurs en termes de précipitations.