Les mécanismes de justice transitionnelle ne sont pas abordés de la même façon par le gouvernement et les autres acteurs socio-politiques. L’opinion du gouvernement et du Cndd-Fdd sur ce point est bien arrêtée et ils suivent une ligne bien tracée. Ils semblent faire fi du Tribunal Spécial, en insistant sur le pardon comme meilleure solution.
<doc2556|left>L’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi stipulait la mise en place de deux mécanismes : la Commission Vérité et Réconciliation(CVR) et le Tribunal international pour le Burundi(TPIB), en vue de solder un long passé de divisions et de violences politico-ethniques. Mais à la suite des négociations entre le gouvernement et les Nations Unies, l’option du TPIB a été abandonnée au profit du Tribunal spécial, sur le modèle de celui qui a été créé pour la Sierra Léone. Car la formule des tribunaux internationaux n’est plus de mise aujourd’hui en matière de justice transitionnelle. Ils se sont avérés inefficaces, notamment à cause de l’éloignement des populations auxquelles ils sont censés rendre justice.
La question qui se pose est de savoir si les décideurs et les différents partenaires socio-politiques ont la même conception et la même vision du processus de justice transitionnelle.
Pour le consultant Gérard Nduwayo, certains défis se dressent encore sur le chemin du processus : il s’agit notamment de l’ambigüité qui transparait dans la position gouvernementale sur les rapports entre la CVR et le tribunal spécial et qui risque de compromettre l’indépendance des mécanismes. Il explique cette position dans un rapport publié en avril dernier sur le processus de justice de transition au Burundi.
Le 2 février 2006, le gouvernement a rendu public un « Mémorandum » indiquant que l’orientation du mandat de la CVR doit être la recherche de la vérité et la réconciliation et non la justice qui n’interviendrait que si le pardon s’avérait impossible. « Dans le mémorandum du gouvernement, on remarque une manipulation du concept de réconciliation dans le lien établi entre la CVR et le Tribunal spécial et qui n’est pas tout clair. La place de la justice dans le processus de réconciliation n’est pas définie », indique Gérard Nduwayo.
Un tribunal prévu, mais pas essentiel…
Ainsi, la disposition 65 du Mémorandum indique « qu’aucun acte, aucun fait établi par la commission n’est d’avance exclu du processus de réconciliation », pour autant que le présumé coupable ait fait des aveux complets et circonstanciés.
Dans ce cas, précise le consultant, la CVR sera habilitée à initier des arrangements à l’amiable, même en matière pénale, à des fins de réconciliation. « C’est surtout au niveau du règlement de procédure et de preuve que l’on remarque la place minime du Tribunal spécial qui est confiné à un rôle de figurant », souligne Gérard Nduwayo. Selon lui, la disposition 106 précise que le président de la CVR ne transmettra au Procureur que les dossiers pour lesquels la réconciliation se sera avérée impossible. « Or il apparaît dans le mémorandum qu’il y aura très peu de probabilités d’avoir des cas de gens réticents ou réfractaires à la procédure de réconciliation. »
Mieux, la disposition 70 stipule qu’un mécanisme de réconciliation proposé par la commission et accepté par le coupable prend force de jugement et devient exécutoire. La disposition 62 indique qu’au cas où les conclusions de la commission seraient en contradiction avec les décisions judiciaires, la commission propose des mesures susceptibles de promouvoir la réconciliation nationale. Même si le Mémorandum mentionne formellement la création d’un Tribunal spécial, la relation entre la justice et la réconciliation reste floue.
Privilégier le pardon
Le même défi est posé à propos de la notion et la procédure de réconciliation. Le point 70 du Mémorandum indique qu’un mécanisme de réconciliation proposé par la commission et accepté par le coupable prend force de jugement et devient exécutoire : « Ceci veut dire que si le coupable présente des excuses aux victimes, la réconciliation sera ainsi établie et il ne sera plus question de justice », explique le consultant. Dans un autre mémorandum publié le 05 mai 2007, le Cndd-Fdd affirmait que, « au lieu de privilégier la répression par la simple procédure judiciaire, le pardon mutuel est la voie la mieux indiquée pour garantir la réconciliation nationale et une paix durable. »
Par conséquent, le parti qui est sorti vainqueur des élections de 2005 et de 2010, estime que « c’est sur la base des conclusions de la Commission Vérité et Réconciliation qu’on décidera ou non de l’opportunité de mettre sur pied un tribunal spécial ». Dès lors que l’auteur du forfait reconnaît le mal causé à sa victime et demande pardon à celle-ci, et que cette dernière lui aura pardonné sans réserve, le parti Cndd-Fdd estime qu’il ne servira à rien de poursuivre l’auteur du forfait, car « il n’y aura pas plus idéal que cette forme de réconciliation et de pardon »
Des missions pourtant précises
Le Cndd-Fdd admet les poursuites par le TS sur proposition de la CVR, au cas il y aurait absence de reconnaissance des faits dues au refus du présumé coupable de crimes, de comparaître ou de coopérer. Rien ne semble avoir été prévu pour les victimes qui auraient été incapables de pardonner ou qui pardonneraient sans renoncer à saisir la justice.
Cependant, la mission de la CVR est précisée dans l’Accord d’Arusha. Elle n’a pas de compétence juridictionnelle.
Il faudrait donc éviter de créer cette confusion qui risque de faire croire aux victimes que la Commission sera une instance de jugement. Le tribunal spécial devrait fonctionner en toute indépendance. Compte tenu des risques de chevauchements dus aux frontières de compétence qui ne sont pas nettes entre les deux mécanismes, il est important de distinguer dès le départ leurs rôles et leurs buts respectifs.