Mardi soir 18 décembre : au camp Gakumbu, le 19ème bataillon de l’Amisom s’apprête à s’envoler pour la Somalie. Il reçoit ses dernières instructions. Malgré les risques que comporte la mission, c’est la joie pour les militaires burundais en partance. Depuis Kayanza, un caporal a rejoint le bataillon et sa liesse est grande … Reportage.
<doc6521|left>Juste à l’entrée, il règle une "dernière facture de 100Fbu" à un marchand ambulant auquel il vient d’acheter des arachides : "Il ne faut pas prendre un avion en laissant derrière soi des dettes", lance-t-il à la ronde, tout sourires. La majorité des passagers dans le bus en partance pour Bujumbura s’étonnent de l’humour de ce militaire en treillis, deux insignes noires en forme de baïonnettes aux épaules, s’esclaffant sur le "moral de ces hommes qui côtoient pourtant souvent la mort".
Quelque part au fond de ce bus de marque ‘Coaster’ qui offre une trentaine de places, on s’amuse de ce soldat qui confond voiture et avion.
Sauf que le caporal parle de son prochain voyage vers la Somalie. Jusque-là, personne ne le sait. Il ne l’a pas encore dévoilé : secret militaire oblige.
Puis le bus démarre. Le militaire ne tient pas sur place, tournant la tête ici et là, offrant un voyage plutôt en allégresse alors que le reste des passagers, dans le bus, est fatigué déjà par le voyage.
Soudain, le caporal se lève et commence à prêcher les Écritures. Ça y est !
Il s’étend aux sourates du Coran, revient à des versets bibliques, face à des passagers qui sont perdus ! On ne comprend plus le gentil soldat : "Laisse-le, il est un peu fou", murmurent certains. Le caporal change de gamme et introduit des refrains de chants religieux : stupéfaction dans le bus !
Pour apaiser la tension, en bon acteur, le militaire lâche la phrase qui permet à tout le monde d’être à jour sur les enjeux du présent voyage : « Dans quelques heures, je serai dans l’avion. Destination : la Somalie ». Le mystère dévoilé, on peut rire à gorge déployée, se taper dans le dos pour se rassurer, et bientôt engager la conversation avec ce brave caporal qui, jusqu’ici, menait un monologue un peu inquiétant. Les passagers veulent savoir un peu plus sur les conditions des militaires burundais en Somalie, ou le sens qu’il donne aux incantations religieuses qu’il vient de lancer. Les échanges sont d’un tel comique, les dames sont en larmes, de rire, on ne s’ennuie pas. A Bugarama, alors que le bus fait une petite escale, le caporal en profite pour acheter une brochette, et tous ceux qui sont à ses alentours ont droit à un morceau : la charité est à l’honneur !
Car, apparemment, le caporal est déjà dans l’après-mission, loin, loin des risques qui l’attendent, demandant à ses compères de voyage : "Que vais-je faire de ces dollars au retour ?"
Les propositions fusent de partout, hilares : "Il te faut une maison, lui disent certains", avant que d’autres l’invitent "d’abord à revenir sain et sauf". Malheureusement, le bus arrive trop tôt à Bujumbura selon les passagers qui commençaient déjà à aider "le plus sympathique des soldats burundais que nous ayions croisé" à établir un plan d’affaires ("Juste au cas où" lui glisse une malicieuse dame), les besoins élémentaires d’un mariage réussi ("C’est la priorité numéro une!", lui suggère un monsieur à moustaches), etc.
A la descente du bus, tous les passagers tiennent à exprimer leurs meilleures vœux de santé et de succès au nouvel émissaire de l’Amisom : "Excellente prestation en Somalie et surtout, fais gaffe aux terroristes !"
Le caporal serre les mains, souriant, heureux, fier, puis, presqu’inconsciemment, alors que des "Au-revoir ! " fusent toujours, s’empare de son téléphone pour s’assurer que l’avion n’est pas encore parti …
________________
> [Gitega : le quartier « Somali », ou les dividendes de l’Amisom->http://iwacu-burundi.org/spip.php?article4191]