Les débuts de la musique numérique au Burundi, c’est lui. Voici Jérémie Hakeshimana, chantre du mariage entre le synthétiseur et l’univers musical traditionnel burundais.
Une gifle, deux, trois, plusieurs, chaque fois que le crime se reproduit : « Mais tu es sourd ou quoi ? » hurlent les deux grands-frères de Jérémie, pasteurs. Ils ne savent plus comment gérer ce bout d’homme de 7 ans, né en 1975 et grand chenapan devant l’Éternel. Imaginez : il se faufile dans le magasin des instruments de musique de l’Église Pentecôtiste de Kibenga pour jouer de la guitare, « sans autorisation ! » Et il est si facile de savoir que le petit y est passé : suffit juste de vérifier les accords des cordes …
Les gifles : Jérémie en a marre, à la fin. Il décide de se fabriquer une guitare artisanale en taillant dans un boîte 5 litres d’huile de palme industrielle « Oki », qui fera office de caisson.
A côté de maman, Marie Nzikobanyanka, agricultrice, papa s’appelle André Misigaro, technicien à l’Office national des Télécommunications – Onatel plus de trente ans durant : « Mes premiers contacts avec les fils électriques et les câbles d’alimentation viennent de lui », se rappelle Jérémie d’un père qui n’est plus. « Il avait un surnom : Camarade. Il était très cool, surtout quand il jouait de l’ikembe lors des fêtes. » De quoi renforcer la réputation des natifs de l’Imbo, cette région du Burundi qui borde le lac Tanganyika et où l’on chante les vertus de la vie joyeuse au rythme de poisson braisé malmené à la pâte de manioc froide (uburobe).
La famille, qui comprend sept enfants, vit à Kanyosha, au sud de Bujumbura. « Tout cela, ce sont les racines de mon aventure dans la musique » explique l’artiste, toujours souriant après 7 ans d’absence au Burundi.
En cet été 2014, il est de retour pour participer à la levée de deuil définitive de son père.
La rencontre avec les aînés
Jérémie donc. A 12 ans, il est à la tête de la chorale (et en profite pour y débusquer sa future épouse … ). Un missionnaire suédois lui apprend les bases de la guitare professionnelle. Avant de s’approprier l’instrument à 15 ans, dans la riche bibliothèque musicale de Minani Jonas, directeur d’alors de l’École primaire de Kibenga (« Chez Johnson »). A 17 ans, il rencontre le directeur de l’Orchestre national Muco Wera, qui l’introduit aux grands musiciens burundais d’alors pour une longue formation.
En 1993, il sera recruté dans le projet « Campus pour Christ » lancé par les églises protestantes pour une campagne nationale d’évangélisation avec musique et cinéma : « J’y joue pour la première fois à la guitare électrique. »
Le projet dénommé « Rythmes Didizo », offrira le premier spectacle à l’Institut Français du Burundi en 2006, avant que l’artiste ne quitte le Burundi pour une formation en Espagne. son travail de recherche a notamment été salué par le cinéma, puisque Jérémie composera la bande-son du court-métrage Na Wewe nominé aux Oscars en 2011.
Puis la guerre. Bujumbura se divise, il y coule du sang. En 1995, alors que les sans-échecs et autres mouvements de jeunes tuent, violent, rançonnent et sèment la terreur, les musiciens burundais décident de créer le « Lions Band. » On y croise le futur président de l’Amicale des musiciens, Memba, à la batterie, le bassiste Vicky Lufombo, le chanteur Thierry Kijanya, ou le DJ Nicholas.
Le groupe est multiethnique. Il est enthousiaste. Aux citadins bercés par le bruit des rafales et autres éclatements d’obus plus ou moins lointains, le Lions Band propose le concept de « live-concert », qui survivra une dizaine d’années plus tard sous le terme de « karaoké. »
Précurseur
En 2001, parce qu’il en a marre qu’on l’apostrophe dans la rue par « Lucky Dube », du nom du célèbre rastaman sud-africain tué en 2007, qu’il interprète à merveille, Jérémie quitte les live-concert.
Entre-temps, avec deux amis croisés quatre ans auparavant à l’École Belge où il enseigne la musique, c’est la création de l’Association Menya Media, qui va se doter d’un studio de production audiovisuelle.
Puis, pour signer ses œuvres, le musicien, qui passe facilement du piano à la guitare et à la batterie lance le label Jeremie’s Production, qui va signer les premiers albums de musique numérique au Burundi.
La suite est connue : sous le nouveau label, la musique urbaine explose avec Fariouz et son cultissime Niwanyemera (Si tu m’acceptes), Lolilo avec Saga Plage, Uncle Crazy dans Ari trop sexy (Elle est trop sexy), Soso K, Utujede, Ndiza Désiré, etc. Et surtout, Jérémie Hakeshimana parvient à moderniser la musique traditionnelle en la digitalisant. Tous les groupes culturels de l’époque, de Higa (avec la célèbre Yoronimu) aux Lacs aux Oiseaux, ou encore Abagumyabanga y passeront.
Ironie du sort : bien des années plus tard, c’est ce rêve d’adaptation de la musique burundaise à l’ère numérique qui se retrouve en procès, les chanteurs préférant désormais les sons pré-enregistrés du synthétiseur au travail manuel des instruments …
Et voilà CQFD. Même pour la musique du «monde», il fallait qu’un mukizwa vienne vous aider. Wewe ga Jérémie, ingabire Imana yaguhaye zo kuyikorera watwaye muba pagani, tu seras jugé plus sévérement, et tu sais pourquoi. Ap 19
Jeremie pour President! Serieusement on devrait etre fier des patriotes comme Jeremie. Pleins succes et bien merci pour cet article
Quel coup de pub! j’espère que ce n’est pas gratuit