De la monarchie à la veille de l’ère démocratique, la gestion du pouvoir au Burundi connaît des tourbillons. A l’origine des conflits ethniques, certains Burundais pointent du doigt la tutelle belge avec la réorganisation de l’administration. Cependant, une autre opinion voit derrière la question ethnique la main de ce Conseil supérieur du pays.
« Le roi ne naissait pas avec les semences comme le veut la légende », révèle Simon Simbarokoka, 80 ans, originaire de Kiganda à Muramvya. D’après lui, tous les rois du Burundi proviennent du clan des Baganwa et des familles proches de la cour royale. Selon l’octogénaire, il est assisté par les Bashubi, Babibe, Bahanza, Bagani et les Banyakarama. Toutes les composantes ethniques burundaises, rassure-t-il, y trouvaient leurs comptes. Son pouvoir, insiste-t-il, est sacré : « A chaque intronisation, le roi doit se rendre à Rubumba (Kiganda) pour y planter l’arbre marquant son règne. »
Entre les mains de cette lignée pendant plusieurs siècles, le Burundi parvient à se constituer en Etat-nation. Ses fils et filles partagent le petit pain et défendent ensemble leurs intérêts. Si la mémoire de M. Simbarokoka est bonne, il affirme que le roi régnait pour tous ses sujets : « Il détient la terre, le bétail et en offre à qui veut s’en procurer moyennant quelques cruches de bière. »
Qui s’y frotte s’y pique, dit-on. Le Prince Charles Baranyanka, fils de Pierre Baranyanka, à la tête de la chefferie Mugamba- Nkiko (Kayanza, Cibitoke, Kayanza et Ngozi) dans les années 1920 garde aussi des souvenirs de cette période monarchique. « A l’arrivée des Blancs, le roi Mwezi Gisabo demande à son peuple de se défendre. Organisés et unis, les Burundais engagent alors une vraie bataille jusqu’à ce que les Allemands acceptent le dialogue», vante-t-il. Le Burundi, explique-t-il, reste le seul pays africains sous système monarchique au moment où ailleurs, ces régimes étaient tombés.
Le roi Mwezi Gisabo a beau combattre. Mais en 1908, son pouvoir est limité avec la signature du Traité de Kiganda. « Il n’est pas autorisé par exemple à se rendre à Bujumbura. Kirima et Maconco, opposants incontestables du roi se voient attribuer le contrôle de Bukeye et Muramvya », Jimmy Elvis Vyizigiro, historien.
Au cimetière des Allemands à Cibitoke ©IwacuUne résistance vaine
A la défaite de l’Allemagne à la 1ère guerre mondiale, précise M. Vyizigiro, elle perd aussi ses anciennes colonies dont le Burundi au profit de la Belgique. Le Prince Baranyanka fait savoir que les tous premiers affrontements entre les Allemands et les Anglais ont eu lieu à Ruvunge : « C’est là où le résident allemand a été tué. » Mais il retient aussi ceux de Jurwe à Ruganza (Kayanza) où la Belgique enregistre de grandes pertes en vies humaines et de Cibitoke. On peut toujours y voir leur cimetière. Ainsi, les Allemands se retirent en Tanzanie en passant par Nyakazu (Rutana) où ont eu lieu les derniers affrontements avec les Belges. Ils laisseront comme souvenir des constructions à l’instar des bâtiments abritant aujourd’hui le parquet de Gitega, le cachot du commissariat connu sous le nom de Baumann, etc.
Bonjour la Belgique …
« C’était la corvée, les œuf et le beurre pour le Muzungu », amorce un vieillard de Rutana comme tout ce qu’il a gardé comme mémoire. 1916, les Belges s’installent sur le sol burundais. Au départ, Jimmy Elvis Vyizigiro indique qu’ils se préoccupent de l’occupation militaire. C’est en 1925, le 21 août plus exactement, raconte-t-il, que la Belgique réorganise le Burundi administrativement.
A l’époque, le pays compte 550 chefs locaux. La majorité de ces chefs locaux sont des Hutu : « Mais en 1948, plus de leur moitié est tutsi. On fait allusion à la théorie en vogue au Rwanda selon laquelle les Hutu ne sont pas faits pour gouverner. Ce sont les Tutsi qui ont un charisme politique et la capacité de mobilisation». Il constate que le Burundi s’achemine dans le processus de recouvrement de son indépendance dans un contexte où les hutus développent un esprit de vendetta contre les Tutsi pour les avoir détrônés.
Des partis politiques et des divergences naissent
Entre les années 1958 et 1959, le Burundi assiste à une émergence des partis politiques. Dans la foulée, le parti Uprona voit aussi le jour. A la tête, le fils du roi le prince Louis Rwagasore passionné de voir le Burundi un jour indépendant. En vérité, confie Bernadette Bankumuhari, le PDC et ses partis satellites sont à la solde de la tutelle belge : « Ils plaident pour une indépendance tardive parce qu’ils estiment qu’il n’est pas encore temps. » Mme Bankumuhari déclare toutefois que l’Uprona et sa mouvance politique ont une autre vision : « Il n’y a pas de temps à perdre au moment où les autres pays africains réclament leur autonomie. » Elle fait savoir que la majorité des fonctionnaires ne se rangent pas officiellement derrière l’Uprona de peur de se voir virer.
Bernadette Bankumuhari : « La majorité des fonctionnaires ne se rangent pas officiellement derrière l’Uprona de peur de se faire virer de leurs postes » ©IwacuCependant, Léon Manwangari, ancien homme fort du parti, le fustige : « Une certaine opinion pense que les partis en coalition avec le PDC dont le PP ne voulaient pas l’indépendance. C’est faux. » Il reste convaincu qu’il fallait du temps pour avoir des cadres dans l’administration et à tous les postes occupés par les Blancs. M. Manwangari remarque que leur souhait, c’est aussi de recouvrir l’indépendance tout en ayant des fonctionnaires compétents. Ainsi, il ajoute que c’est à cette même époque que naissent les deux tendances Casablanca et Monrovia, regroupant d’une part les Hutu et d’autre part les Tutsi.
Le fameux Conseil supérieur du pays
13 octobre 1961. Le héros de l’indépendance est assassiné. Léon Manwangari, Bernadette Bankumuhari et Marc Manirakiza s’accordent pour dire que jusque-là, tout va bien. Néanmoins, Léon Manwangari révèle la goutte qui fait déborder le vase : « Pierre Ngendandumwe, adjoint du prince Louis Rwagasore est pressenti pour lui succéder au poste de premier ministre puisqu’il est le seul licencié du gouvernement Rwagasore. »
Cependant, lâche M. Manwangari, le conseil supérieur de la couronne, constitué des proches du roi, converge sur André Muhirwa, un Ganwa, gendre de Mwambutsa. Pour ce conseil, regrette l’ancien du PP, un hutu de si petite taille que M. Ngendandumwe ne peut pas remplacer le fils du roi. « Éclaboussent alors des frustrations, des mécontentements généralisés de la population. Ainsi naît la question ethnique au Burundi qui jalonnera la gestion du pouvoir au fur des années », lance Léon Manwangari. Et Bernadette Bankumuhari d’emboîter le pas à Léon Manwangari : « C’est à la disparition du prince que j’ai entendu pour la première fois ces histoires de hutu-tutsi.»
Du coup, dit-il, presque tous les partis satellites de l’Uprona et du PDC disparaissent : « Seul le parti PP se bat, il participe aux élections de 1965 et gagne quelques sièges de députés.» Cette disparition, M. Manwangari l’explique par le fait que le PDC est accusé d’avoir trempé dans l’assassinat de Rwagasore : « Il était donc difficile pour lui et les partis satellites de continuer la lutte, les Burundais ne pouvaient plus les écouter, non plus les suivre. »
Mgr Simon Ntamwana : » Les gens n’oublieront pas le président Bagaza pour ses embrouilles avec l’Église catholique… » ©IwacuLes fruits de la révolution de 1966 ou la catastrophe
« Nous avons vu nos voisins fuir chez Nyerere et chez Mobutu, du moins ceux qui n’ont pas été tués. Peut-on être fier de ça ? », déclare le vieux Simbarokoka de Kiganda. 1966, le roi Mwambutsa vient de passer deux ans à l’étranger pour « se faire soigner ». Il est renversé par son propre fils Ntare V. Il n’a que 17 ans.
28 novembre 1966, Michel Micombero, son premier ministre, le destitue à son tour. Il évoque parmi tant d’autres raisons que le roi Ntare est encore jeune pour gouverner le pays. En outre, le président Michel Micombero, tutsi du clan des Bahima, appuyé par son entourage estime que le pouvoir est dans la rue. Il proclame le parti Uprona parti unique ou parti-Etat. Pour une large opinion, ce changement est synonyme de revanche, les hima ayant été exclus de la cour depuis belle lurette. Un retour du balancier.
Dix ans à la tête de la République du Burundi, des souvenirs de l’ancien chef d’Etat ne manquent. Thérèse Bucumi, octogénaire originaire de Rutana se lâche : « Ce n’est pas un secret, c’est sous le régime Micombero, le pays est mal dirigé car il commence à massacrer tous les enfants du roi.» Selon cette vieille dame, des intellectuels hutu sont tués, même des élèves. Pour quels mobiles, elle se le demande toujours. Néanmoins, ce qui est sûr, insinue-t-elle, des mobiles ethniques ne sont pas à écarter.
Pour Kajekurya, 100 ans, de Gishora, la guerre de 1972 n’a rien de commun avec la récente. Pour lui, 1972 est sélective : « Des fonctionnaires hutus y ont péri. L’administration de l’époque est responsable car elle convoque des gens mais ne reviennent plus. »
Bon départ mais …
Assassinats, relâchement dans la gestion de la chose publique, etc. tout se confond. Les Burundais, indique Vyizigiro Jimmy, en ont mare mais personne n’ose lever son petit doigt. 1er novembre 1976, Jean Baptiste Bagaza, aussi tutsi du même clan que son prédécesseur prend les affaires en main par un coup d’Etat militaire. « Il fait planter des caféiers, abolit le servage, etc. », se réjouit Kajekurya.
« Si ma mémoire est bonne, les débuts de Jean Baptiste Bagaza sont irréprochables », soutient également Mgr Simon Ntamwana, archevêque de Gitega. Selon lui, le président Bagaza trace des routes, des citoyens burundais se stabilisent un tout petit peu et tout change. Néanmoins, très vite, explique-t-il, on assiste à une forme d’exclusion « Les gens de Bururi se démarquent. Ils raflent tout, s’accaparent de toutes les compagnies au vu et au su de tout le monde, etc. » Les Burundais, précise Mgr Ntamwana, ne sont pas si dupes que ça, ils enregistrent.
Selon lui, le pouvoir Bagaza atteint son paroxysme quand il s’attaque à l’Eglise catholique. Il s’en prend d’abord aux bergers, dit-il, et le simple chrétien n’est pas épargné : « Des gens sont persécutés pour leur appartenance religieuse. » A Gitega, Mgr Ntamwana fait savoir qu’on refuse la messe matinale aux vieillards de plus de 70 ans : « Je veux bien que Bagaza fasse du développement son cheval de bataille, mais en quoi ces gens qui ne produisent presque plus gênent-ils ? » Les gens n’oublient pas ses embrouilles avec l’Eglise catholique et les retraites anticipées des militaires. D’après l’archevêque de Gitega, des gens se fatiguent alors car leurs droits sont bafoués, ils aspirent au changement.
Puis vient le « réconciliateur »
3 Septembre 1987, le Major Pierre Buyoya renverse par un coup d’Etat militaire le président Bagaza, une année après les tueries de Ntega et Marangara éclatent. C’est un message, le président mettra sur pied un « gouvernement d’unité nationale » de parité hutu–tutsi. Le « vent de La Baule » (19 juin 1990) souffle sur le Burundi. Buyoya crée la Commission Constitutionnelle qui proposera en 1992 une Constitution consacrant le multipartisme. Mais avant cela, il y a en février 1991 un Référendum sur la Charte de l’unité nationale.
L’ancien président Sylvestre Ntibantunganya est un acteur et un témoin de cette époque, il raconte : « Le Sommet de La Baule a été déterminant dans le processus de démocratisation. Après l’agrément du Frodebu en 1992, nous avons demandé au président Buyoya d’organiser une rencontre entre les hommes politiques et d’autres acteurs pour bâtir la démocratie. Nous lui avons même proposé de mettre sur pied un gouvernement de transition pour 3 ans », fait savoir le Sénateur Ntibantunganya.
Selon lui, c’était pour analyser toutes les questions cruciales comme la question des forces de l’ordre, la question de la justice, la question des réfugiés et la question de la mise en place des institutions démocratiques.
« On a finalement mis en place un gouvernement de transition mais c’était après avoir perdu combien de vies humaines ? Les Burundais se sont réveillés de leur torpeur après un bilan de 300.000 morts », déplore-t-il. « J’ai toujours dit que c’était impossible pour Buyoya de gagner les élections de 1993, compte tenu du passé de ce pays », insiste l’ancien président Sylvestre Ntibantunganya.
La ligue Iteka pour renforcer et faciliter le pluralisme politique
En 1992, la ligue Iteka est créée. A la tête, Mgrs Simon Ntamwana et feu Bernard Bududira respectivement vice-président et président de la Conférence des Evêques du Burundi. D’après Mgr, c’est le cadre d’expression par excellence des fidèles laïcs face au retour au multipartisme et non celui de l’Eglise catholique. Soucieux de la future gestion du pays et de sa gouvernance face aux questions relatives au respect des droits de l’homme, ils s’investissent et donnent leur petite contribution. Certains fonctionnaires conscients, toute tendance ethnique représentée, poursuit Mgr Ntamwana, y adhèrent et y développent le sens du respect des droits de l’homme. C’est parti : « Elle ouvre les portes aux futures associations de la société civile parce que plus tard la ligue Sonera voit aussi le jour. »
Cependant, Mgr Ntamwana fait savoir que les débuts n’ont pas été faciles. Leur ligue est vue d’un mauvais œil par le pouvoir : « Ce dernier craint qu’elle ne contrecarre ses actions suite à ses premières déclarations. » La fierté de Mgr Ntamwana aujourd’hui, c’est que la ligue formera des leaders politiques parmi lesquels des ministres, des personnalités influentes et même des présidents de la République, Sylvestre Ntibantunganya et Melchior Ndadaye ont fait partie de cette ligue.
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